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Photo du rédacteurLeo Rafolt, Srećko Pulig

Leo Rafolt : J’ai peur de l’absence d’un scénario positif relatif à la coronacrise


Photo : Sanjin Strukić / Pixell



Notre interlocuteur est Leo Rafolt, théatrologue et théoricien qui enseigne à l’Académie de l’art et de la culture d’Osijek en Croatie. Son nouveau livre Virus in fabula (Meandar Media, 2020) vient de paraître en tant que réaction quasi immédiate à la crise provoqué par la pandémie de coronavirus. Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur le coronavirus ? Dans celui-ci vous interrogez la procédure-même de la motivation en tant que processus parallèle avec l’évolution de la maladie ?

La motivation d’écrire un tel livre est arrivé tout à fait naturellement, même si le contexte dans lequel il avait été écrit me semble maintenant, a posteriori, surtout par rapport à certaines coutumes académiques, dénaturé. Jusqu’à présent tout mes livres je les ai écrits m'appuyant sur des recherches approfondies. Même lorsque j’écrivais sur les sujets de la modernité récente, y précédait une sorte de lecture minutieuse, l’établissement d’une niche méthodologique distincte dans laquelle je tentais de m’intégrer. Le conducteur motivationnel de ce livre, me semble-t-il, réside dans son quatrième chapitre où je parle de la différence entre l’isolation et le retrait, le temps pour soi, ce faisant critiquant l’idée néolibérale de ′l’exploitation maximale′ de ce temps-là, on dirait que je suis tombé dans le piège de cette même exploitabilité, tout en étant en même temps académiquement exploité. Mais d’un autre côté, je pense, justement par l’(auto)-thématisation de la méthode dont avait été écrit le livre, avoir habilement évité ce piège, bien qu’admettant parfois que le temps pour soi est en vérité avant tout un temps d’un surplus de soi. L’incontrôlable existence À quoi pensiez-vous en intitulant ′hashtag sémiose′ ? Qu’est-ce le monde du hashtag, métadonnées et comment s’enferme-t-il sur lui-même ?

Ce phénomène métainformatique me fascine depuis un temps, et j’avoue ne pas savoir comment m’y confronter pour le fixer. À un niveau tout à fait basique, nous pouvons en effet facilement supposer que le virus dans le monde d’il y a quelque décennies aurait dans l’espace médiatique circulé avec bien plus de lenteur. Ce n’est pas pour autant que toutes les informations sur le phénomène tel que la Covid-19 auraient été exacts, entièrement vérifiés, clairement présentés ou intelligibles. Là je ne pense pas uniquement au phénomène de fakenews, qui remonte à plusieurs décennies. Une des plus grosses erreurs dès les débuts de l’ère de l’internet était justement celle de la ′recherchabilité′ et de la grande disponibilité des informations. Le monde des informations est aujourd’hui en surchauffe, comme le remarque Thomas Hylland Eriksen. Il me semble que cet état de crise à justement démontré que nous sommes tous, en tant que simples récipients d’informations, condamnés à un processus phagique tout à fait excessif, où une information enfante une autre etc. L’information à endossé la contagiosité du propre virus, s’écartant avec violence de son signifiant primaire, toujours dans cet état d’à côté, d’au-delà. Ce cauchemar d’Umberto Eco et des théoriciens enclins à la socio-sémitique fait aussi surface en temps de corona. La phénoménologie du hashtag juste en apparence plaide pour la ′signification pure′, tandis que dans la réalité elle devient la métaphore de la production égoïste de la signification en tant que telle, et cela sans aucune source, sans récipient final, comme dans un musée que plus personne ne veut visiter à cause d’un trop d’artéfacts et un surplus de sens.

Que sont les identités prédatrices, celles dont la construction et la mobilisation exigent l’extermination d’autres catégories sociales (Arjun Appadurai) ? Les minorités sont une invention assez récente, qui devait se former en rapport à la phénoménologie de la nation. Peuvent-elles être déconstruites ou d’une manière être remises en question ? Quel en est le lien avec la ′peur du petit nombre′ ?


Dans le livre je me suis le plus servi de la syntagme d’Appadurai de la peur du petit nombre pour pointer le cauchemar néolibéral le plus terrifiant, en tête de liste, cette existence incontrôlable qui peut surgir en forme de terroriste, ou encore en forme d’une existence vivante et inanimé à la fois tel qu’est le virus. Son terme de la prédation est spécifique, surtout lorsqu’il l’emploi dans la syntagme des identités prédatrices, qui naissent justement dans l’interstice entre l’identité de la majorité et une certaine totalité abstraite. Dans ce sens, tout à fait paradoxalement, l’angoisse est plus présente chez les identités majoritaires que chez ceux au socle minoritaire, ce qui voudrait dire que la majorité s’accorde le droit d’une sorte d’extermination des catégories sociales qui sont tout à fait à son image. Ses thèses peuvent facilement être appliqués aussi sur le rapport envers les émigrants dans nos contrées, qui bien souvent, et hélas avec pas mal de succès s’imbriquent dans des clusters identitaires, puis sont stéréotypés, en tant que violeurs, pédophiles, sodomistes. Le terme de la minorité surgit de la tension, primo, envers les modèles dépassés de la globalisation et de l’impérialisme culturel et secundo, par rapport au système de plus en plus complexe de la société moderne, qu’il faut séquentialiser en divers sous-systèmes. L’imaginaire global de la sociabilité a depuis longtemps remplacé la porté locale, ce qui amène à la deterritorialisation en tant qu’un des phénomènes contemporains dominants. Vous êtes critique envers les écrits de Giorgio Agamben, Slavoj Žižek et Alain Badiou sur la crise provoqué par le coronavirus. Mais votre critique est partielle, vous vous saisissez de ce qui vous convient et rejetez ce qui ne vous convient pas chez chacun d’entre-eux. Comment décrieriez-vous brièvement la position de chacun d’entre-eux individuellement et quel est le problème de base ?

À vrai dire non, je ne dirais pas être critique envers eux. Je m’appuie sur nombreux de leurs concepts théoriques pour aussi pouvoir relativiser ma position. Je ne pense pas qu’on doit leur reprocher d’avoir agit immédiatement sur la corona-crise, quasiment ad hoc. D’ailleurs, c’est ce que je fais moi-même. Ce qui m’est bien plus problématique c’est que ′l’état de crise′ ils tentent de l’intégrer par force dans leurs niches théoriques. La réaction d’Agamben je la trouve intéressante surtout par rapport aux réactions qu’elle à conséquemment provoqué, étant probablement la plus précoce. Le philosophe italien avance que la substance biopolitique de la corona-crise a forcé l’individu à négliger toutes autres formes de sociabilité et d’acuité politique, mais cela il le souligne au moment quand aussi bien la science que la médecine ignorent tout sur ce agent chimico-biologique et sa info-virulence (Franco Berardi Bifo), et qui enclenche tout un tas de psychoses, aussi bien dans la sphère de la santé public que dans d’autres segments de la société. Le cadre légal, il nous faut l’admettre, n’avait pas été brisé, je dirais non plus négligé. Agamben s’intéresse aux possibles conséquences de la radicalisation des rapports surgis dans la période pandémique. La critique du modelé italien du traitement de la crise, il l’entame avec Foucault, sa thèse du constant dénombrement biologique, la localisation, la détection des mouvements individuels et l’état de la santé publique. Toutefois, il est envisageable que le système justement par la panique nourrit l’étatisme et ainsi, au moins de ma perspective, renforce la communauté ′blessée′. D’un autre côté, la réaction de Žižek m’est sympathique dans sa porté utopique, mais je ne peux la lire qu’en tant que jolie métaphore d’un navire commun vers une globale, universelle solidarité post-pandémique. La réalité, même si toute récente, après l’apparition du livre de Žižek, à démontré que la thèse échoue et que les intérêts particuliers des États ne font que se renforcer, même si leurs modèles de la défense contre le corona commencent à se ressemblent de plus en plus. Je me sens le plus proche de l’argumentation de Badiou sur la double métaphysique de ce virus, quelque part sur l’axe homme-animal, dû à sa étiologie controversé, et homme-homme, à cause de la fascinante vitesse de propagation, tout comme sa critique de l’embrassement médiatique des nouvelles négatives et de l’énumération constante des morts, statistiquement quasi parfaite, qui comme s’ils étaient devenus la seule métaphore de la santé public de cette crise. Les procédés que vous utilisez en écrivant ces essais vous les décrivez en tant que pop-académisme. Que dénotent ces procédés ? Juste le style de l’écriture ou aussi quelque chose de plus profond dans l’approche des phénomènes du monde et la réaction sur eux ?

C’est une sorte de cynisme par lequel avant tout je tentais d’affirmer cette thèse de Habermas sur les incroyables portés de nos ignorances sur l’ignorance. Au début je pensais que j’allais écrire une sorte de journal de quarantaine ou d’un retrait volontaire, de l’isolation. Pourtant, avec le temps ce projet à dépassé, au moins dans le sens théorique, la porté d’un écrit de mémoire sur une tranche de temps. Je voulais tout de même garder cette dose de relativité, comme quelque chose qui oscille sans cesse au-dessus de toutes mes thèses, quasiment comme dans une sorte de manifeste avant-garde ou politique. Comme un des modèles je pense au blog en forme d’un journal théorique du philosophe italien Franco Berardi. Là il révise sans-cesse ses propre thèses.

La courbe de l’accès des pays surtout développés envers le phénomène de la pandémie semblait au départ particulièrement individuelle et différente dans chaque État, pour qu’avec le temps les procédures commencent à coïncider. À quoi l’attribuez-vous ?

Il faut avoir à l’esprit que chaque virus a une existence bien incertaine, à mi-chemin entre le vivant et l’inanimé. Il est en constant va-et-vient, il peut être brièvement présent, peut aussi se cristalliser et durer. Comme dirait Nancy son existence est intrusive, oscillante ou, comme je tente de l’expliquer dans le livre, sur la piste de la de-domestication. L’approche de nombreux États, me semble-t-il, n’ont qu’en apparence été différents, surtout au tout début de l’épidémie. La plupart des États avaient d’une manière assez peu critique suivi les recommandations de l’OMS, et par moment c’était même drôle de voir les rapports plagiés, les attentes, les instructions et les prévisions dans des différents pays. Au début ce sont en quelque sorte cristallisés les modèles ′suédois′, ′chinois′, ′coréen′ et encore certains modèles de confrontation contre la crise, mais avec le temps leurs stratégies se sont aussi adaptés. Dans le livre je me sers de la métaphore d’un grave problème de Timothy Morton pour indiquer que le corona peut vraiment être rationalisé, il est plus contagieux que la grippe, mais ce fait ne dévoile aucune solution rationnelle. Ensuite, il est difficile de le prévoir entièrement, dans un sens il est aussi alogiques, du coup les approches de la santé publique à l’épidémie il est difficile de les caractériser en tant que justes ou entièrement erronées. Les reliques du contrôle Nous avons les évaluations officielles de l’état épidémiologique, c’est le QG qui les communique chez nous, tout comme les évaluations alternatives de vrais experts et amateurs. Vous n’êtes pas pour la censure dans les approches, même si elle peut, et selon vous amène à la confusion et l’impossibilité à se retrouver dans ce magma d’informations contradictoires. À quel point le danger de la surveillance et du suivi sont-ils plus importants que la nécessité à délivrer les recommandations, même obligatoires, en vue d’éviter la contamination ? Est-ce que la biopolitique est au cœur de ce phénomène ou les théoriciens qui y ont recours en font trop ?

Je ne suis en aucun cas pour la censure des approches, même si un bon nombre d’arguments et même de recommandations d’épidemiologues en service paraissent illogiques. S’ouvrent plusieurs problèmes. Tout d’abord, le QG émergeait en tant qu’organisme apolitique et expert, dévoué à la santé publique, même si je pense qu’une telle chose n’existe pas, appelant à une espèce de solidarité. Cet appel parvenait aussi des élites politique, ce qui me semblait d’autant plus hypocrite et peu convaincant. À un moment donné toutes les ′autres approches′ avaient été déclarés cruelles et quasi génocidaires. Rappelons-nous juste de l’insanité sur le bioterrorisme. Nombreuses sont les énoncés paradoxales et contradictoires ou encore les pronostiques de nombreux scientifiques qui ont pas mal détériorés la plateforme déjà entamé du rationalisme des Lumières dans la société moderne. Peu nombreux sont ceux qui dans le discours public se sont décidés à parler de la responsabilité du fait scientifique, surtout lorsqu’il est placé dans le discours public ou médiatique. Jadis la particularité des sciences, surtout dures, était la cohérence, la progression, et là les scientifiques se sont, dans ce frénétique, hyperactif contexte de la crise, quasiment mis à concourir dans les médias, comme s’ils tentaient de décrocher des subventions sur un potentiel marché du corona. Les recommandations étaient bien entendu inévitables. Mais je ne suis pas, même de cette position de la sagesse ultérieure, critique du lockdown généralisé d’il y a quelques mois, même s’il s’est avéré tout à fait raté, et dans de nombreux aspect même hypocrite. Agamben a là quelque peu raison, même si, par le vocable derridien, avait été ′enrayé′ la force de loi, selon moi, l’interprétation du scénario italien est trop radicale. Il m’est par contre bien stimulant de réfléchir sur les reliques du contrôle qui une fois que tout ceci passera, possiblement demeurera, survivra en tant qu’un petit dispositif du pouvoir du système.

Dans votre livre vous percevez la situation réelle du phénomène du corona avec une fin ouverte. Vous intitulez ironiquement le dernier paragraphe Et si tout allait bien ?

Pendant le corona, sur ma page Facebook je m’adonnais à une performance que de nombreux avaient reconnus. En effet, pendant ces quelques mois j’avais décidé de ne partager que les nouvelles positives sur l’issue de la corona-crise, quelque qu’elles soient. Dans cette dynamique-là il m’était impossible d’en vérifier la véracité de certaines. Mais j’avais du mal à croire que dans le discours actuel il n’existait aucun scénario positif de l’issue de cette crise. Et à vrai dire je ne le trouve toujours pas. Il est toujours refoulé. Le biovirus, comme le dit Berardi, est un organisme vivant émanant des êtres inanimés, qui se transforme en info-virus qui par contre agit sur la psycho-sphère, arrêtant par la suite le fonctionnement abstrait de la machine,

alors les corps ralentissent leurs mouvements, renonçant à la fin à l'action. Ce type de résignation et du ralentissement funeste, qui s’apparente à la démission, Berardi le nomme la psycho-déflation. Suivre les recommandations qui nous sont imposés par les hautes institutions, même étant contradictoires, émanant du QG ou de l’Organisation mondiale de santé ou encore de la Commission européenne, est envisageable en parallèle avec la création de son propre proactive management épidémiologique, qui mène à un scénario positif. L’absence d’une telle lueur dans l’avenir dans le discours public autour du Covid et l’incapacité de la science et de la politique de mettre le doigt sur un scénario positif m’effraie plus que le virus en soi.

Propos recueillis par Srećko Pulig pour l’hebdomadaire Novosti le 28 juillet 2020 Leo Rafolt: Plaši me izostanak pozitivnog scenarija oko korona-krize Traduit par Yves-Alexandre Tripković

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