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Photo du rédacteurPetra Sigur

Au cœur du séisme




Donc, le plus grand choc de ma vie depuis la guerre. Alors que j’étais ici tout le temps de l’occupation. Les villes Petrinja, Sisak, Glina et ses villages environnants ont souffert à nouveau, là pire que jamais. Hier après midi quand ça s’est mis à trembler j’étais au travail, à la bibliothèque. Au matin nous sommes toujours secoués et chacun à sa manière matériellement blessés avec ces deux impacts sismiques compte les dégâts en nous confiant nos sensations imprégnées d’effroi, craintivement convaincus que le pire est derrière nous.


Les gens dans la soirée notaient l’agitation de leurs animaux domestiques et cela maintient ma prudence plus que n’importe quelle annonce humaine. La veille au soir sifflant soufflait le sinistre sirocco, pendant que la Lune matait de sa tête ronde par toutes les fenêtres par lesquelles je regardais, et le Soleil s’est une fois surgi étalé dans l’atmosphère dans un jaune maladif et me fixait des yeux pendant que je fermais à clef la porte de l’entrée en allant au travail. Peu importe, je planifiais comment aider les parents dont le mur de la maison avait craquelé d’une façon inquiétante.


J’ai laissé ma fille faire sa grasse matinée, elle est en vacances, et le fils je l’ai emmené à la maternelle. Les gens venaient, empruntaient, rendaient, prolongeaient les prêts des livres comme d’habitude, puis dans le coup de la routine ça s’est mis à trembler. Nous, trois jeunes employés dans la partie de la salle au rez-de-chaussée, nous nous sommes instantanément précipités à l’extérieur trébuchant sur nos propres jambes pendant que sur nous et tout autour s’écroulaient les étagères et tombaient les livres. Des immeubles environnants les gens coulaient tels de l’eau, et en passant par la porte de la sortie j’étais désarçonnée par le tonnerre du mur du magnifique édifice de l’hôtel de ville.


Nous avons couru à travers le nuage de poussière qui s’était dressé vers la pelouse de la rangée d’arbres, le plus loin de l’immeuble. Impuissants, on se retournait témoignant que tout ce que nous connaissions était en train de s’écrouler. Je pliais les genoux, grimaçais du visage et prise de panique jurais à gorge déployée. Puis ça s’est arrêté, relativement rapidement. Je suis au travail, je sais, là-dedans tout est démoli, mais l’immeuble se tient, rien ne s’est détaché, on entend les voix du désarroi passant par les petits balcons des studios d’ouvriers au-dessus, mais la seule chose à laquelle je pense sont mes enfants et mes parents. Je sais que ma maison va bien, c’est une construction récente, mais l’enfant est seul et je m’inquiète de sa réaction. Le fils est dans la maternelle nouvellement construite avec les maîtresses, je me dis qu'ils seront prioritaires. Les parents s’installent dans la pensée avec anxiété, le lieu est éloigné et probablement frappé plus fort encore. Et leur maison déjà entamée… En courant, je retourne à l’intérieur, contourne et saute par-dessus les affaires et livres éparpillés, me saisis du portable sur le bureau, du blouson sur le dossier de la chaise et du sac à dos posé sur le vieux catalogue alphabétique. Pendant que je cours vers l’extérieur, je me rappelle de la clef contenant tous les textes, y retourne et la sors de l’ordinateur.


De l’étage descend le vieux professeur du lycée qui enseignait le latin et qui depuis des décennies au quotidien séjourne à la bibliothèque, calmement, la mallette rangée. Nous nous approchons au même moment de la petite muraille avec son banc devant l’institution et pendant qu’il marmonne quelque chose, je fouille la clef de la voiture en jurant sur la vie et tout ce qui suit. Je n’avais jamais imaginé la voir ainsi ma ville natale. Qui pourrait ? Chacun de sensé évite le mal. Je me faufile entre les façades détruites, briques éparses, tuiles et bouts du toit sur le trottoir, au bord de la route à travers les habitants désœuvrés, étourdis regardant vers le haut, dans les poutres brisées et les menaçantes ruines. Les portables sont dans les mains, sur les oreilles, mais ça ne capte pas.


Dans la course vers la voiture je ne parviens pas à parler aux miens. Le trafic est chaotique. Pendant que je me garais avant le départ pour le travail, je regardais instinctivement voulant éviter chaque mur de tout immeuble, pour qu’il nous reste au moins la voiture. Ce qui m’inquiète c’est comment dans une telle tourmente vais-je me frayer le chemin jusqu’à la maison, mais même dans une telle folie les gens parviennent à s’organiser, se laissent passer, les feux rouges sont HS, respectent la priorité, conduisent prudemment dans des colonnes qui s’allongent de plus en plus. Dans la rue, je ne remarque rien qui sera particulièrement endommagé, contourne les voitures détruites par des cheminées et les voisins qui se consolent mutuellement. Dans mon champ visuel ma maison semble entière, je me précipite à l’intérieur, les affaires sont au sol éparpillées, brisées, ma fille n’est pas là. Je regarde la montre et me rappelle que la mamie qui devait la récupérer avec son frère de la maternelle puis les amener chez elle est sûrement arrivée plus tôt. Je referme à nouveau la maison à clef et me faufile avec ma voiture par la route de la ceinture urbaine dans un autre quartier où se trouvent mes enfants, je l’espère. Le réseau n’est toujours pas rétabli. De la voiture, comme au cinéma ou en rêve, je regarde tout autour les dégâts et les visages ensanglantés. Les employées d’un grand centre commercial en gilets rouges et bleus s’éloignent visiblement crispées de leur boîte grise. Partout pareil, les briques éparpillées, toits endommagés, cheminées broyées qu’il faut contourner sur la route avec les autres voitures et les gens. Ouf, les enfants sont là, c’est bon, ils attendent avec la grand-mère, le grand-père et leurs voisins sur la pelouse. Je les enlace et lance à la mère de mon mari que je vais chercher les miens, qu’elle me les garde.


Les colonnes de voitures sont vers le centre de plus en plus denses, quelques policiers dirigent le trafic interdisant la route vers le centre historique qui lugubrement s’approche du tas de plus en plus important de cette ruine de matériaux de construction. Il me faut d’une façon ou d’une autre atteindre n’importe quel pont, traverser la Kupa, je me demande aussi comment je vais pouvoir traverser Petrinja pour rejoindre les miens, là-bas ça a dû être pire encore. Je ne peux passer par la ville en traversant le Nouveau pont (Novi most), il est toujours en reconstruction et la voie ascendante est fermée depuis un temps. Tout de même je décide de passer par la Prva ulica malgré le pressentiment que la route n’est pas praticable dans la direction du Vieux pont (Stari most). Notre vieux cœur historique dans la Rimska ulica est terrifiant. Il n’y a pas de maison haute qui ne serait pas gravement endommagée ou carrément démolie dans sa partie supérieure. Je jette un coup d’œil à l’intérieur, par une chance folle il n’y a personne. Au vieux pont en briques, le symbole de la ville, j’accède seule, personne d’autre en voiture.


Me passe par l’esprit si celui-ci est sûr après tout, et à ce moment-là je remarque un immense vide, un trou à la place de sa balustrade rouge bordée par de la pierre blanche. Stari most, le Vieux pont est gravement endommagé, putain ! À travers la fenêtre fermée pendant tout le trajet je scrute les expressions des autres. Un spasme aussi constant, et ce vide et cette inquiétude je ne les ai vus qu’à la télévision dans les films de catastrophes. Jusqu’à Petrinja le trafic se densifie, mais coule tout de même au son des sirènes.


Le portable capte enfin le réseau et maman répond avec une voix ferme. On va bien, dit-elle, nous avons réussi à nous échapper, mais la maison s’est écroulée, nous n’avons plus rien.


À nouveau Sisak, Petrinja et Glina, l’état de guerre et de la destruction. Mais bien pire, pire que jamais. Cinquante fois, disent les sismologues, le tremblement de terre plus puissant que celui du printemps à Zagreb. Ces mêmes endroits, misérables, blessés, jamais reconstruits jusqu’au bout n’ayant rien à voir avec ceux avant la guerre. On nous demande de partout si nous allons bien et si nous nous sommes calmés. Ça nous secouait toute la nuit et voilà là au matin sous les coup progressifs dépassant la force 4 selon l’échelle de Richter. Il est difficile de se détendre et calmer dans une telle ambiance, et de la restauration sous-entendue on réfléchira plus tard. Pour l’instant on se retape en espérant avoir traversé le pire. Si ces villes nous les voulons à nouveau en Croatie, il nous faudra nous accrocher pendant des mois, des années, diriger le flux de l’argent pour compenser, car même après la guerre nous n’y sommes pas parvenus jusqu’au bout.


Et sur l’oubli et la débrouillardise à laquelle on est condamné une fois le pire passé nous ne dirons rien. Pour ne pas les provoquer.





traduit par

Yves-Alexandre Tripković





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