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Photo du rédacteurYves-Alexandre Tripković

Grimaces et misères


Fernand Pelez, Grimaces et misères, 1888






Lorsque la météo est quelque peu capricieuse pour ne pas dire peu clémente, j’ai pris pour habitude de rejoindre le musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris niché dans le Petit Palais, où au gré des envies ou de l’inspiration il nous est donné de déambuler librement parmi les collections qui traversent l’histoire de l’art. Le génie créatif à portée de main (des yeux pour être plus précis, mais à vrai dire du cœur et de l’intellect, ipso facto de l’esprit) déroule toute une palette de nobles préoccupations d’artistes qui nous lèguent leurs visons du monde. Lors d’une de ces escales, le ciel étant bien déchaîné, je me suis abrité sous le toit du Petit Palais et je suis tombé nez à nez avec un garçonnet, qui l’air bien triste, accoudé à son tambour et la baguette dans une main paraissant éloignée de la vie, avait trouvé son appui près d’un poteau en bois soutenant probablement le chapiteau d’un cirque. Pourtant il n’était pas seul. Deux perroquets, un singe et toute une troupe d’artistes de cirque partageaient l’estrade, et en s’attardant quelque peu on pourrait s’identifier avec chacun d’entre eux, tellement les expressions qu’ils figuraient sont universelles. Quelques touches de pinceau et voici l’émotion. Mais pour cela il faut certes la main d’un maître, en l’occurrence celle de Fernand Pelez (1848-1913), qui en 1888 réalisa cette prodigieuse toile qu’est Grimaces et misères. Les Saltimbanques. Mais pourquoi ai-je avant tous les autres remarqué ce garçonnet visiblement au bord du précipice émotionnel, et non pas le grand clown blanc qui domine la toile voire son acolyte dans la peau du bonisseur de la troupe ou encore ce nain couronné qui vous fixe droit dans les yeux, ou qui que ce soit d’autre, mais ce garçon dont le tambour n’était pas d’humeur à tambouriner ?

Le ciel était toujours bien déchaîné, et cette rencontre était dans sa simplicité comme un tout petit pansement recollant jusqu’à la prochaine averse mon ciel en me rappelant que si tristesse, dépression ou mélancolie il y a, elles ne peuvent pas être que miennes, mais celles de tant de petits batteurs aux tambours brisés dans n’importe quelle troupe de cirque en quoi tôt ou tard se transforment la plupart des assemblées humaines.

Puis, mon jukebox intérieur s’est mis en marche. Mr. Tambourine Man de Bob Dylan : Hey, Mr. Tambourine Man, play a song for me / I’m not sleepy and there is no place I'm going to / Hey, Mr. Tambourine Man, play a song for me / In the jingle jangle morning I'll come following you… Ensuite, c’était le tour à Nina Simone de chanter sa sublime Ain't Got No, I Got Life (Je n’ai rien, J’ai la vie) et le ciel s’est lentement dégagé laissant passer de fins rayons de soleil, et j’ai pensé que toutes les peines et tous les massacres que l’humanité provoque est ce vaste champ de fumier duquel surgissent de fascinantes plantes dont sont chargées les œuvres qui traversent le temps et en petits pansements recollent toutes ces crevasses dans le ciel.

Qui sait, peut-être que la prochaine fois je me reconnaîtrai dans ce clown blanc ou le nain couronné, ou les deux à la fois ? Quoi qu’il en soit, comme dirait l’autre : l’art c’est la vie, coach !










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