J’ai écrit Le Journal ukrainien car j’avais du mal à croire qu’en Russie surgirait une nouvelle forme du fascisme hitlérien
Nenad Popović, écrivain et éditeur, annonçant son nouveau livre sur l’agression russe sur l’Ukraine explique être déçu par la rhétorique du président croate Milanović sur la guerre qui dure depuis deux ans et analyse les corrélations entre Adolf Hitler et Vladimir Poutine.
Deux années se sont écoulées depuis que le président de la Russie Vladimir Poutine a donné l’ordre d’une invasion massive sur l’Ukraine, guerre face à laquelle le conflit sur le territoire de l’ex-Yougoslavie dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, dans lequel ont été tués cent mille personnes, semble n’être qu’une querelle d’armée locale. L’écrivain Nenad Popović à ce propos publiera bientôt le livre Le Journal ukrainien (Ukrajinski dnevnik) déjà paru en feuilleton sur les sites forum.tm et Le Fantôme de la liberté. Sur ce livre et l’influence dévastatrice de l’agression russe sur l’Ukraine et toute l’Europe, le journaliste de Nacional Boris Pavelić discute avec Nenad Popović, germaniste de 74 ans, écrivain et rédacteur en chef qui a publié plus de quatre-cent titres.
Il est né en 1950 à Zagreb. À la Faculté de philosophie et lettres de Zagreb il obtient son diplôme des études germaniques, des littératures slaves du sud et de la langue croate, ayant étudié aussi à Coblence, Bonn et Fribourg. Il traduit de l’allemand, depuis 1978 écrit occasionnellement pour les journaux, revues et les émission radiophoniques, et depuis 1985 collabore avec de nombreux médias allemands. En tant que rédacteur il est engagé dans la maison d’édition Grafički zavod Hrvatske, puis il est en 1990 un des co-fondateurs de la maison d’édition Durieux, une des premières maison d’édition indépendante en Croatie, qui a rapidement gagné ses galons d’éditeur culte publiant la littérature contemporaine et les livres non-fictionnels de toute l’ex-Yougoslavie, ce qui à l’époque de Franjo Tuđman est loin de lui avoir assuré les faveurs des autorités, bien au contraire. Malgré cela, comme il le raconte dans l’interview pour le site Telegram, Popović tenait pour son obligation morale de publier les travaux des auteurs qui vivaient dans des conditions de guerre immédiate. « Il fallait les aider car ces intellectuels et écrivains étaient là-bas pointés du doigt en tant que traîtres ou encore étaient proclamés ennemis d’État. » Il est intéressant que ce « modèle de comportement dans des situations exceptionnelles », Popović l’ait repris du fils de Thomas Mann, Klaus, écrivain allemand dont Popović a traduit et publié la biographie Le Tournant chez Grafički zavod Hrvatske. En effet, Klaus Mann avait fondé à Amsterdam la maison d’édition Querido, destinée aux écrivains allemands et autrichiens qui face à Hitler partaient en émigration.
Nenad Popović est le détenteur de plusieurs récompenses dont celui du Citoyen d’honneur de la ville de Sarajevo, du prix de L’Institut culturel italien à Zagreb, du Prix du livre de l’entente européenne de la Foire du livre de Leipzig, de la Médaille Hermann Kesten du Centre PEN allemand, et avec Freimut Duve du Prix Bruno-Kreisky pour le livre politique. Il a écrit les livres Le monde dans l’ombre (Svijet u sjeni, 2008), L’essai sur les habitants (Ogled o stanovništvu, 2014), Journal de la ville P. (Dnevnik iz grada P., 2017) et La vie avec eux (Život s njima, 2021). Ces dernières années il vit en Istrie.
Boris Pavelić : En novembre 2022 vous avez publié sur le site forum.tm Les Notes ukrainiennes (Ukrajinske bilješke / Journal de guerre en Ukraine), votre journal personnel de la guerre en Ukraine. Les Notes ukrainiennes vont-elles être publiées en Croatie en tant que livre ?
Nenad Popović : Oui, sous le titre Le Journal ukrainien, chez l’éditeur zagrebois Durieux, où j’ai travaillé pendant longtemps et où je suis pour ainsi dire chez moi. Le manuscrit est actuellement dans la dernière phase des corrections pour être prêt pour l’impression. Quand ? Cette année, quand Durieux aura « déniché » de l’argent pour l’imprimeur. Le livre n’a aucune subvention ou quelque chose de tel. Ce qui était déjà le cas lorsque je travaillais là-bas. Comme qui dirait affaire à suivre… Au départ c’étaient mes notes personnelles, puis des fragments ont été publiés sur forum.tm et ailleurs, et cela me suffisait en terme de leur vie public. C’est Ivan Lovrenović qui sans relâche m’incitait le plus pour qu’advienne le livre. Et c’est une personnalité trop importante pour que je ne l’écoute pas, sans oublier qu’il était durant sa carrière un des plus importants rédacteurs en chef en Yougoslavie, jusqu’à ce qu’autour de l’immeuble Svjetlost à Sarajevo où étaient leurs bureaux les bombes ne se sont pas mises à pleuvoir.
Quels étaient les retours sur Les Notes ukrainiennes, en Croatie et à l’étranger ?
Je publie sur les sites dont je me sens proche, littéraires et ceux pour les « intellectuels » : Radio Gornji grad, Le Fantôme de la liberté, forum.tm zagrebois et pour certains sujets le Regional express istrien dirigé par le fameux rockeur Dr. Fritz. Les retours dont j’ai connaissance sont les lettres privées que j’ai reçues des gens qui suivent ces sites. L’une est arrivée du rédacteur en chef de la revue d’émigration La Parole ukrainienne qui paraît depuis longtemps, aussi de Gabor Csordas, important éditeur et traducteur hongrois, et quelques-unes me sont parvenues de gens qui ne foulent pas la scène littéraire. Je n’en revenais pas que Ivan Lovrenović ait publié des fragments du journal sur son site personnel ivanlovrenovic.com, sans parler de Dražen Katunarić qui a publié des passages dans la revue Le Messager européen (Europski glasnik).
Pourquoi rédigiez-vous le journal de la guerre en Ukraine ?
Car je ne pouvais pas en croire mes yeux voyant ce qui se passait, du coup je me suis mis à noter les nouvelles, souvent des détails, pour que par la suite je puisse croire à ce qui s’est passé. Tout d’abord, avec le temps l’homme refoule ses mauvaises expériences, et d’un autre côté, depuis notre guerre des années quatre-vingt-dix je sais qu’au bout de deux à trois ans les événements choquants et importants sont mis sous le tapis, comme s’ils n’avaient plus aucune importance. Par exemple, toute l’histoire autour de HOS (Hrvatske obrambene snage, Force de défense croate), la mort d’Ante Paradžik, devrait être raconté à nouveau d’une façon réaliste, car après tout officiellement ne demeure que ce problème idiot du slogan de HOS « Prêts pour la patrie » (Za dom spremni). Sans parler du meurtre du chef de la police à Osijek, Josip Reihl-Kir. « A reçu une résolution judiciaire » signifie : oublie. C’est pour ça que j’ai commencé à noter ce qui se passait en temps réel en Ukraine. Pour que dans quelques année on ne vienne pas me dire que c’est elle qui a attaqué la Russie, et que les Ruses se défendaient. La troisième raison est qu’à cette époque j’ai rencontré des réfugiés-exilés ukrainiens. C’était bouleversant. Tu aides autant que tu peux, regardes leur souffrance. L’aide leur a été envoyée aussi par deux de mes amis, les écrivains Dalibor Šimpraga et Branko Čegec, tout comme par Christiane, la veuve du journaliste Egon Scotland, tué à Glina. Je savais qu’il me fallait le noter, à la lettre, avec des prénoms, noms de famille et dates.
Écrivez-vous toujours le journal ? Avec quel sentiment de base ? Quels tons prédominent ?
Non, j’ai lâché prise à la mi-mars de l’année dernière. Nerveusement je n’avais plus de force de noter les horreurs infligées aux Ukrainiens : tirs systématiques sur les supermarchés bondés de gens pendant qu’ils font leurs courses, enlèvements de milliers d’enfants et leur expédition en Russie pour qu’ils soient adoptés là-bas et russifiés dans des maisons – ce qui veut dire qu’on efface aux enfants toute identité, tout souvenir. Le poser sur une feuille est un dur labeur, après onze mois on est bien abîmé. Car dans le même temps tu n’y peux rien. Que dalle. En plus, je m’étais inscrit à la newsletter du PEN ukrainien, terrifiante chronique criminelle d’homicides et culturocides. Là, il ne me reste qu’à me marmonner dans la barbe ce qui se passe là-bas, je suis ce qui s’y passe et me le répète au quotidien. Car depuis rien n’a changé : le sadisme de Moscou ne faiblit pas.
Êtes-vous en contact avec les réfugiés ukrainiens en Croatie ?
Oui, entre-temps nous sommes devenus amis. C’est une jeune famille avec un enfant. Ils se sont installés à Vodnjan et sont très bien acceptés là-bas. Nous sommes amis aussi avec une famille de Kharkiv qui était avec nous dans l’appartement. Là, nous correspondons car ils sont retournés là-bas. Lorsque nous leur envoyons quelque chose, surtout pour la fillette, rien ne leur parvient. Mais eux ils nous envoient des cadeaux et viennent nous voir. Ça nous fait rougir, bien entendu. Ils nous ont écrit que ces derniers jours ils vivent avec des valises toute faites dans le couloir, car les Russes préparent une grande offensive pour conquérir la ville. Kharkiv est à trois-quarts d’heure de route de la frontière russe.
Avez-vous des relations personnelles avec quelqu’un en Ukraine ou votre intérêt pour cette guerre a-t-il été provoqué par le choc émotionnel et intellectuel à cause d’une nouvelle guerre en Europe, une guerre d’une telle envergure ?
Je n’en ai pas. Je connaissais à peine deux Ukrainiens : l’un est leur plus important écrivain Iouri Androukhovytch et moi j’étais membre d’un jury, du coup nous nous sommes formellement serrés la main. Mon intérêt pour cette guerre a été provoqué par le Russe Vladimir Vladimirovitch Poutine. Là j’en connais quelques-uns de plus, toujours grâce à lui. Bien sûr que ça m’a choqué que la guerre en Europe soit à nouveau possible, à cette échelle et dans une forme aussi épurée. Intellectuellement ça m’a stupéfait que cela se déroule comme si c’était le scénario copié des années trente lorsque Adolf Hitler s’est mis à « libérer » avec ses chars pays après pays jusqu’à ce que tout se soit embrassé dans un immense brasier. Qu’en Russie surgisse une nouvelle variante, toute aussi meurtrière, variante du fascisme agressif, ça je ne le pensais tout de même pas. Et ça je ne peux pas me le pardonner aussi facilement car j’avais vu à la télévision comment sur la place Maïdan on faisait couler à fond le sang des manifestants.
Dans les années trente du siècle dernier les gens avaient un certain droit à l’incrédulité que les nazis allaient faire tout ce qu’ils annonçaient, mais quatre-vingt-dix ans plus tard moi je n’ai plus ce droit. À l’époque, à peu près jusqu’en 1940 même les Juifs en Allemagne ne croyaient pas que les nazis allaient tous les tuer, même ayant été exposés à la ségrégation depuis 1933, aux interdictions d’endosser des fonctions publiques, de se consacrer aux professions libérales, de s’assoir sur des bancs dans des parcs ou les places assises dans les tramways. Ils étaient naïfs, dirions-nous. Les autres tout autant naïfs : Danois, Norvégiens, Français… Ils pensaient que ce qu’Hitler disait n’était que de la rhétorique. C’est une leçon d’histoire générale que nous pensions tous avoir assimilé, à jamais. Alors que non. Poutine a par exemple dans le parlement allemand ouvertement parlé de la Russie en tant que futur patron de toute l’Europe, et ça fait au moins dix ans qu’il parle de l’Eurasie avec Moscou en son centre. Et nous on fait la sourde oreille. Qu’en passant il mène des guerres dans sa « zone d’intérêt », qu’il arrache la Crimée et la moitié du Donbass, cela n’avait pas préoccupé l’Europe, tout comme lorsque la Tchéquie avait été livrée à Hitler. On exhaussait à Hitler ses petites envies, jusqu’à ce que les chars de la Wehrmacht se sont mis à pivoter sur les places de Varsovie et Paris et que se sont mis à rouler les wagons pour Auschwitz.
Comment avez-vous ressenti l’invasion russe ? Comment pourriez-vous la contextualiser dans l’histoire européenne à partir de 1989, lorsqu’il semblait que la menace russe à l’Europe enfin et définitivement entre dans l’histoire, mais aussi de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours ?
Je l’ai vécu, tout d’abord, comme si je regardais une science-fiction de série B. Dans la paisible Ukraine soudainement des détachements en uniformes noirs faisant irruption dans Kyïv en se mettant à tirer sur les gens qui choqués les filment avec leurs portables. Ils prétendent que le Juif Volodymyr Zelensky est un
nazi et qu’ils sont venus le chercher pour pouvoir libérer les Ukrainiens et s’occuper d’eux. Un bien mauvais film, avec Poutine dans le rôle principal, qui en plus est un mauvais acteur même pour un politique. L’année 1989 nous l’avions vécue comme un miracle, mais c’était en fait l’écho du « printemps russe » qui avait démarré avec l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir et se poursuivait sous Boris Eltsine. Nous, tout comme les Russes, ne vivions pas à l’époque dans une quelconque illusion : c’était la réalité aux noms de Gorbatchev, Eltsine, Havel, Walesa, chez nous Milan Kučan ou Azem Vllasi… Mais à quel point ce printemps avait été écrasé par Poutine et le KGB, cette leçon nous l’avons reçu sur le dos de l’Ukraine en vivant une anachronique mais réelle résurrection de la « menace russe à l’Europe ».
La guerre dure depuis deux ans. Il semble que les USA et l’Europe relâchent dans l’effort d’aide à l’Ukraine et que la Russie évite avec succès les sanctions. Comment expliquez-vous la lassitude de l’Occident et ce qui paraît être une vitalité militaire de la Russie ?
Les USA sont déterminants, avec la Grande-Bretagne et la France. Qu’arrivera-t-il si Donald Trump est réélu ? Emmanuel Macron est à son deuxième mandat. Les premiers ministres hongrois et slovaque, Viktor Orbán et Robert Fico, ne se cachent pas d’être les joueurs de Poutine, sans parler de Vučić et Erdoğan. Ça donne la chair de poule : des Dodig tout autour. Donc, à l’âge mûr je prie Dieu que Joe Biden garde sa santé et que les Américain qui votent pour les républicains retrouvent leurs esprits. La lassitude de l’Occident envers l’Ukraine est la lassitude de l’Occident de lui-même. Les extrémistes de droite comme l’Alternative pour l’Allemagne ou Marine Le Pen s’en servent bien habilement, en organisant leurs parties comme des machine activistes pour la prise du pouvoir à n’importe quel moment. La vitalité militaire des Ruses, comme vous dites, m’est mystérieuse. Par dizaine de milliers plonger avec discipline dans la mort sous les canons ukrainiens est un phénomène massif aussi inexplicable qu’effrayant.
Comment aider les Ukrainiens et comment rendre cette aide permanente ?
C’est une question pour les chefs des partis au Parlement. L’aide ne peut être qu’étatique. Je n’ai pas remarqué que Peđa Grbin ait élaboré un plan dans ce sens. Au contraire, le Parlement a voté que de quelque façon que ça soit l’Ukraine ne soit pas aidée militairement, même pas d’une manière immatérielle, par l’éducation de leurs soldats. Alors qu’ils sont en guerre, et face à quel ennemi !
Avons-nous proposé à Chakhtar de Donetsk de s’installer en Croatie ? Si l’État croate ne sait pas ce qu’est Chakhtar qu’il appelle Stipe Pletikosa ou Dario Srna, et les numéros il l’obtiendra du club de foot Hajduk. Avons-nous ouvert nos universités aux Ukrainiens, leurs avons-nous assuré des bourses, pour qu’ils ne meurent pas lorsqu’à Kharkiv ou à Kyïv ils vont à la fac ? Avons-nous invité les comédiens, les metteurs en scène, les techniciens de plateau de Marioupol à venir dans nos théâtres ? Vu qu’on est si délicats qu’on ne peut même pas leur assurer une foutue kalash. Tandis qu’en même temps notre peuple normal, anonyme, pour ce que je vois, est bien favorable aux Ukrainiens et aide autant qu’il peut. Je fais appel à nous tous les impuissants de poursuivre ainsi. La plupart d’entre nous n’avons pas d’argent pour les aider avec des cadeaux, mais avec de la compassion et du respect – ça nous le pouvons.
Craignez-vous pour l’Europe ? Comment vivez-vous la peur qui la traverse ?
La peur qui se propage est à vrai dire une bonne chose. De plus en plus de personnes comprennent qu’il est question de leur style de vie qui se nomme la vie dans la liberté. C’est-à-dire que l’agression sur l’Ukraine n’est pas une quelconque question militaire ou diplomatico-politique. Dans l’ouest européen tous deviennent quelque peu Lituaniens qui craignent jour et nuit, à la portée du fusil de la soldatesque russe. Les gens comprennent peu à peu que leurs politiques locaux de la droite extrême sont bien impatients et qu’ils se préparent pour le jour J quand ils prendront le pouvoir, deviendront les vassaux de Poutine et arrangeront les choses. Lui il les finance déjà copieusement. Cette nouvelle inquiétude est donc productive. Dieu merci. La liberté démocratique n’a pas de prix. On le voit avec la Suède qui n’avait d’autre choix si ce n’est d’entrer dans l’OTAN. Ce qui pour les Suédois était inimaginable il y a cinq ans. Et si on se concentre un instant en se rappelant – rappelant ! – que la Biélorussie est une terre européenne tout comme d’ailleurs la Russie, nous voilà face à l’exemple de ce qui peut arriver à tout un chacun. La frayeur se répand à travers l’Europe, ce qui est bien. Elle se répand de Moscou. La génération de mes parents avait été couverte par le même spectre de Berlin. Mais c’est la même chose.
Juste avant le Nouvel An, vous avez publié sur le site Radio Gornji grad la carte de vœux adressé à l’homme politique russe de l’opposition Alexeï Navalny (Sretna Vam Nova godina, Aleksej Navalni! / Bonne année à vous, Alexeï Navalny !). Pourquoi avez-vous publié ce bref texte émotif ?
J’admire Navalny. Car il traverse le véritable Chemin de croix, tel Jésus de notre époque. Le Jésus de la démocratie. Car ils ont d’abord tenté de le tuer lâchement avec le mortel novitchok, puis il a guéri par miracle pour rentrer dans son pays, comme n’importe quel citoyen, par un vol tout ce qu’il y a de plus régulier. Arrêté déjà à l’aéroport Cheremetievo, depuis il ne vit que derrière les barreaux et dans des cellules d’isolement. Là, il est dans un camp de concentration au-dessus du cercle polaire, dans le noir total, comme avant lui les écrivains Ossip Mandelstam et Alexandre Soljenitsyne. Pour lui chaque jour est Une journée d’Ivan Denissovitch. Alors je lui ai souhaité que cette année lui soit meilleure. En vain, bien sûr. Mais c’était la période de Noël et du Nouvel An, lorsque les émotions privées sont fortes.
Que pensez-vous de l’attitude de la Croatie envers la guerre en Ukraine : la relation du pouvoir – du gouvernement et du président – et de la société, de la vie publique, des gens… ? L’intérêt de la Croatie envers cette guerre correspond-il aux proportions de sa destructivité ?
Andrej Plenković, pour qui je n’ai pas voté, avec sa politique de soutien à l’Ukraine a son moment de gloire. Zoran Milanović, pour qui j’ai voté avec enthousiasme, a complètement échoué, et son souci principal est la Republika Srpska. Alors que je me disais que la Croatie, vu la nature de ses expériences, sera l’allié le plus ardent et le porte-parole de l’Ukraine dans l’Union européenne. Mais – niet. Celui qui nous représente, Milanović, s’attire en Europe le boycotte tacite – pas de visites, pas d’invitations – c’est clair. Lorsqu’en 2008 a démarré la crise économique mondiale, Ivo Sanader, le premier ministre et le chef de HDZ répétait que la crise n’allait en aucun cas affecter la Croatie. Puis la spirale de la pauvreté durait dix ans. Que font le gouvernement, le HDZ et leur patron pour qu’on ne soit pas brisé par la crise à cause de l’Ukraine, ça je ne le sais pas. Il me semble plutôt qu’ils sont préoccupés par la destruction de la Croatie, de son économie et de sa société. Et voilà qu’ils veulent maintenant cette loi contre la liberté des journalistes. Vous allez bien pouvoir fermer boutique, puis enfoncer vos têtes dans les bennes à ordures ou postuler pour des postes de femmes de ménage. J’aimerais bien savoir comment voteront les Serbes au Parlement : SNV publie son journal Novosti. La vie publique ? Les médias suivent l’Ukraine et sont principalement de son côté, mais je ne me souviens pas que quelqu’un d’entre eux ait envoyé un reporteur là-bas, ce qui a pu tout aussi bien m’échapper. D’accord pour les journaux privés, ils n’ont pas les moyens, mais ceux de l’État…
traduit par Yves-Alexandre Tripković
Initialement publié sur Nacional.hr le 12 février 2024