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Photo du rédacteurNenad Popović

Journal de guerre en Ukraine : 15e semaine









vendredi 3 juin 2022, le 100e jour de guerre


Ceci, je l’écris un peu avant une heure du matin. Comme chaque jour, vers vingt-deux heures s’abat sur moi quelque chose entre la tristesse et le désespoir, alors je reste assis dans la cuisine et le regard fixe dans le vide. Ne pensant qu’à « nos Ukrainiens » qui Dieu seul sait comment ils vivent tout ça. Ça arrive lorsque Slađana s’installe au lit avec l'ordinateur portable et les chats s’installent autour d’elle prêts à s’endormir. J’ai évidemment honte de ces assauts, car le traumatisme n’est pas le mien mais de cette famille de Kharkiv qui est restée coincée dans le nulle part d’un village en Istrie. Ma tristesse est du luxe. La méthode pour me remettre de telles soirées : mâcher du Xanax (mâché, il agit plus vite) et deux verres de puissant vin rouge, puis attendre que les yeux se referment. Ce n’est qu’à ce moment que je peux aller me coucher et sous la lampe me mettre à lire quelque chose de tout à fait différent. Hier et avant-hier, des histoires de la jeunesse slovène de Paul Parin, là un livre volumineux d’une professeure américaine, Nationalism. Je remercie le ciel que le livre sans avoir été lu attendait dans la bibliothèque.


Michael Thuman dans Die Zeit tient (disponible sur internet) sa rubrique sur la Russie qu’il connaît comme sa poche. Il dit que les Russes vivent une vie tout à fait normale, et que les nouvelles d’Ukraine leur sont lointaines comme si elles arrivaient de Syrie. Les soldats sont mobilisés au loin à l’est et dans des provinces profondes. On les appelle les kontraktniki et ils font partie de l’infanterie militairement et faiblement formés. La guerre durera tant que Poutine est en vie, pendant des années encore.


Parallèlement d’odieuses et inexplicables nouvelles sur des massacres tous les deux, trois jours dans les États-Unis. Dans des écoles primaires, devant les églises, dans les hôpitaux, discothèques. L’armement des attaquants suit les standards, le fusil d’assaut automatique et le parabellum semi-automatique, le revolver lourd donc. On l’obtient au magasin en présentant sa pièce d’identité dès qu’on atteint dix-huit ans.



samedi 4 juin 2022, le 101e jour de guerre


« Nos Ukrainiens » qui sont maintenant à Kukci nous aident à remettre en ordre la maison lorsque les touristes partent dans la matinée et que les nouveaux arrivent vers quinze, seize heures. Rire ou pleurer ? J’apprends que la deuxième famille qui est partie pour l’Allemagne, dans un coin à côté d’Essen, a l’intention de rentrer le plus tôt possible à Kharkiv car suite à trois grenades, il ne leur reste qu'une chambre « qui pourrait être aménagée » pour y vivre. Comment le savent-ils avec autant de détails ? Les époux et les frères sont là-bas pour défendre et du coup jour après jour leur donnent des nouvelles avec précision. Par SMS ou photos, le roaming rendrait les conversations trop coûteuses. Nous ici, nous sommes réduits à la symbolique : depuis des jours, les immenses grues dans le chantier naval de Pula sont illuminées par les couleurs du drapeau ukrainien.



mardi 7 juin 2022, le 104e jour de guerre


Hier, sur un des sites internet (Associated Press ?) l’enregistrement de Volodymyr Zelensky à Severodonetsk devant des immeubles démolis. Il paraît épuisé de fatigue, porte un gilet pare-balles usé, l’air absent regarde dans la direction de l’objectif du photographe. Là où il se trouve, on mène des combats de rue. Qui sait comment est-il arrivé, en train, en bagnole, combien d’heures le trajet a-t-il duré ? C’est que les Russes lancent des roquettes, mitraillent tous ceux qui ne serait-ce que tentent de décoller. Cet enregistrement m’impressionne tout particulièrement, car quelques mois en arrière, Zelensky était beau avec son sourire plaisant, il était tout entier dans un understatement soyeux. Tandis qu’aujourd’hui, il est cet incroyable chef d’un grand pays, il est en action, même si le ciel s’est abattu sur lui. Tous les autres Premiers ministres et Présidents « mondiaux » brillent de mille feux, resplendissent, toujours aptes à répliquer, bien habiles dans les cocktails, ils se charment mutuellement lorsqu’il faut poser pour la photo de groupe, pètent la forme, et sur le représentant croate même les boutons de la veste montrant combien il est comblé corporellement. Alors que Zelensky, ils le prenaient, tout en l’étant jusqu’à récemment, pour un troisième couteau, tout comme cette Ukraine, son pays à lui : tiens, par mégarde le comédien devint président, alors que eux… quoi ?


Des bureaucrates insipides, membres du parti avançant dans la hiérarchie depuis leurs vingt ans pour se transformer en fonctionnaires de leurs méga-parties. Biographies vacantes, mais l’avancement dans le parti s’accompagne de cravates de plus en plus coûteuses, jusqu’à pouvoir s’enfiler les costumes signés Brioni. Et c’est bien le terminus de cette route et son sommet. Alors dans ces costumes, ils se désignent en tant que « leaders ». Tandis que Zelensky, c’est comme s’il sortait du livre Les Marginaux de Hans Mayer, surtout du passage sur la « double marginalité ». Zelensky est comédien, ce qui est même dans la coterie méprisé d’artistes, des écrivains et personnes semblables quelque chose on ne peut plus bas, « le comique », l’amuseur, le blagueur - et Juif par dessus tout. Donc difficile d’imaginer plus méprisable. Je suis avec un immense plaisir à quel point les « vrais présidents et Premiers ministres » ne savent comment discuter avec lui, en les voyant lui sourire bêtement en ajustant leurs expression sur un mode sérieux, démontrant à quel point les visites à Zelensky sont pour eux une « véritable aventure ». Et à quel point sont-ils seulement sérieux dans leurs costumes Brioni lorsqu’ils visitent Yed Vashem. Avec dans la poche l’excellent discours que quelqu’un a écrit pour eux, qui leur sert ensuite pour agacer la Knesseth.



jeudi 8 juin 2002, le 105e jour de guerre


Nacional informe qu’en Russie est lancé un mandat d'arrêt contre le romancier Dmitri Gloukhovski prétextant, paraîtrait-il, des publications sur Instagram où il exige l’arrêt de la guerre dirigée « contre une nation entière ».



Traduit par Yves-Alexandre Tripković






Journal de guerre en Ukraine


est simultanément publié en croate

sur les pages du magazine politique et culturel en ligne Forum TM




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