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Photo du rédacteurNenad Popović

Journal de guerre en Ukraine : 24e semaine









6 août 2022, 164e jour de guerre

Dû à un urgent examen ophtalmologique, le mercredi dernier, Višnja n’était pas à Kosinožići mais à Pula. Là-bas se trouvaient Adrian et Ninja avec les enfants, pour les vacances. À un moment est apparue une des familles, celle de Victoria qui était chez nous quelques mois auparavant, pour partir ensuite en Allemagne près de Essen. Ils sont tombés sur Ninja, se sont présentés et lui ont donné une magnifique et élégante corbeille de fleurs pour Višnja, avec une petite lettre de remerciements. Aujourd’hui, on apprend par ceux d’Alina que l’homme était le mari de Victoria, qu’il est sorti de Kharkiv et qu’ils partent pour l’Amérique. C’est un entraîneur d’escrime réputé. Ninja me dit qu’il lui semble que le monsieur mentionnait la ville de Seattle, mais ainsi surprise elle n’avait pas tout compris. Le père d’Alina a décroché à Poreč le poste de chauffeur ce qu’il faisait toute sa vie à Kharkiv et jusqu’à peu roulait souvent en Russie.


Selon mes calculs, c’est la troisième diaspora ukrainienne en cent ans. De trois familles kharkoviennes que nous avons accueillies, deux ont été catapultées jusqu’à la côté pacifique, une, pour l’instant, seulement jusqu’à l’Istrie. Des onze émigrés/réfugiés qu'ils sont, sept rejoignent donc le Pacifique. Et je les connais par leur prénom et nom de famille, eux avec qui nous avons partagé un peu de pain en nous prenant dans les bras. Ça ne me sert à rien de me dire que ce sont des « fins heureuses » au sein d’une catastrophe nationale, du fait que ces onze têtes ne se sont pas détachées des cous. Les Ukrainiens sont maintenant les nouveaux Juifs qui face au monstre sauvaient leur tête fuyant par dessus l’Atlantique ou au moins enjambant La Manche.


Dans le cas de Victoria, il s’agit d'un sauvetage, d’assurer un avenir à ses deux fils, quatre et neuf ans. La maison à Kharkiv a été touchée par trois grenades, la guerre va s’éterniser (tout le monde le prévoit), alors que les gosses doivent aller à l’école. Du coup Seattle.


God bless America, la voix serrée chantent les blessés et humiliés dans la scène finale du Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. Et avec eux, à nouveau seulement en tant que public, quelque peu moi aussi.




Traduit par Yves-Alexandre Tripković





Journal de guerre en Ukraine


est simultanément publié en croate

sur les pages du magazine politique et culturel en ligne Forum TM




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