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Photo du rédacteurNenad Popović

Journal de guerre en Ukraine : 27e semaine







25 août 2022, 183e jour de guerre

Colonie pénitentiaire n° 6 : Alexeï Navalny a été puni de cinq jours de cellule d’isolement car en marchant dans le camp, pendant trois secondes, il n’avait pas ses mains derrière le dos. Il dit avoir récemment passé trois jours dans la cellule d’isolement car un de ses boutons n’avait pas été correctement boutonné. La cellule d’isolement mesure 3 x 2,5 mètres. La colonie pénitentiaire se trouve à Melekhovo, environ à 260 kilomètres de Moscou.


Bataclan : hier en Ukraine l’armée russe a frappé un train de voyageurs tuant 25 personnes. Le lieu du massacre se nomme Tchapliné.


Le massacre de Salman Rushdie vu du public, 4e rangée, Teresa Hors Owens : « Le modérateur venait de commencer à faire la présentation de monsieur Rushdie. Soudainement nous avons vu quelqu'un courir sur la scène. Il venait du côté gauche et criait quelque chose que je n’avais pas compris. Mais j’ai clairement vu le couteau et monsieur Rushdie levant ses bras pour se défendre. Tout comme les mouvements de l’attaquant. Je savais qu’il poignardait monsieur Rushdie. Tous ceux assis suffisamment près de la scène criaient : Non ! … Ce qui m’est le plus dur après l’attentat sur Salman Rushdie ? Chasser de ma tête ces horribles images ! Le sang sur la scène, le paravent et le podium éclaboussé de rouge et le couteau. »


Les derniers jours du mois d’août lorsqu’à Pula les touristes se dispersent tout doucement et se réinstallent la paix de la petite ville et son rythme lent du quotidien, je me donne des petits cours sur la connaissance de l’Europe centrale et l’Europe de l’Est, autant que cela puisse être fait à l’aide de Google maps, Wikipedia et les sites internet du transport, qui nous informent sur la durée du voyage en voiture, en train voire en bus et les kilomètres à parcourir. Ces derniers, comme celui de Michelin, m’aide à acquérir une perception spatiale « comme si j’étais sur place ». Sur la plupart des pays, je savais peu, à vrai dire - rien. Rien pour quelqu’un qui se pensait sacrément Européen, sauf que là je me rends compte que c’était ma position politique. Je le vois clairement sur Google maps comme si j’étais en CE1. Ce qui me justifie quelque peu est que de la moitié du continent s’était brusquement retiré l’épais océan soviétique et ont surgi des villes, des pays, des villages et des rivières. En tant qu’archipel. Là en tant qu’espace européen consistant que rien ne distingue de l’espace français. Et qu’en serait-il si la Biélorussie était libre ? Elle est conséquente. Sur la carte, j'ai l’impression que la capitale Minsk n’est qu’à deux cents kilomètres de Vilnius. Sauf qu’au-dessus d’elle a été construit l’immense sarcophage tchérnobilien soviétisé duquel les voix ne surgissent pas.


Sur l’espace européen « là-bas » : un institut militaire a aujourd’hui annoncé que le 24 février l’armée ukrainienne avait repoussé les forces russes d’un territoire qui dans sa totalité couvre autant que la surface du Danemark.



28 août 2022, 186e jour de guerre

Il y a quelques jours, Alina est partie pour Lavov. « Pour voir », et sûrement pour rejoindre son mari qui défend Kharkiv. Un bien long trajet en voiture de Poreč à Lavov. Celui qui a parcouru ce chemin ne serait-ce que jusqu’à Berlin peut se le représenter. La seule chose positive est que les Ukrainiens peuvent se mouvoir à travers l’Europe sans être maltraités aux frontières. La situation américaine est à l'œuvre. Une fois sur le sol de l’USA, tu t’engouffres et plus personne ne te demande quoi que ce soit. Ce qui est aussi bien, c’est que pour les Ukrainiens le fait de se réfugier n’est pas aussi radical comme c'est le cas pour les Rwandais et les Irakiens.


Dans la chambre sourde de la Croatie où, mis à part quelques journalistes enfilant la casquette « d'analystes militaires », on continue à ne pas discuter sur l’Ukraine, je me sens de plus en plus comme the fool on the hill, ce qui m’est en rien compliqué vu que nous vivons sur la colline sous laquelle s’étend la ville Pula. Ça me frustre de devoir m’orienter vers les médias et publications étrangères. Entre les quelques réfugies « en chair et en os » que je connais et que je suis et ces médias internationaux, un espace vide béant, ça m’énerve de connaître par cœur des mots tels que « wounded », « blessées », « feriti ». Mais je ne me laisse pas distraire par la question pourquoi ici l’Ukraine n’est pas un gros problème, en quoi m’aide Vladimir Poutine qui a retourné l’histoire de l’Europe (comme jadis Hitler) : alors les hommes et les femmes croates ont-ils ou pas à dire quoi que ce soit à ce sujet m’est complètement égal. Pour le dire le plus précisément possible, ce qui me manque ce sont les sons et les mots de ma langue sur cette question. Dans la langue croate se sont tout de même accumulées les expériences dramatiques et extrêmes de la négation de populations entières, violences de toutes couleurs et gradations, auto-créées de l’intérieur, et imposées de l’extérieur sous forme du paternalisme, de la colonisation et de l’occupation.


Mais si ça se trouve, ces débats ukrainiens ont lieu sauf qu’ils m’échappent.




Traduit par Yves-Alexandre Tripković





Journal de guerre en Ukraine


est simultanément publié en croate

sur les pages du magazine politique et culturel en ligne Forum TM




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