L'Amante
Toi, autrefois glace et maintenant eau,
Moi, j’étais soufre, et suis maintenant feu.
Je te rends l’os que je te dois depuis des temps immémoriaux.
Toi, autrefois larme et maintenant sel,
Toi, fer rouge de mon être même,
Toi, l’éternité de l'unique mer,
Tu deviens humide et sèche.
Dis-moi que j'ai le cœur qui bat le plus fort dans le noir.
Je me suis entièrement transformée en cœur.
***
Tu m'inspires par la peur
Toute mon excitation vient de la peur
Un lapin passionné
Deux gorilles
Des loutres câlines
Nous sommes des animaux
C'est tout
***
Ton « je te veux » quand tu me possèdes
Crée l'illusion de nouvelles frontières
Que je n'ai pas encore traversées
Que peut-on faire d'autre avec un corps humain ?
***
Tout ce que nous faisons est terrible
Et même interdit dans certains livres très anciens
C'est peut-être pour ça que je l'aime autant
***
Mes rêves - la scène d’antiques tragédies.
D'abord nous nous aimons, puis les lumières s'allument et c'est mon frère.
Les rêves se déroulent toujours derrière les rideaux.
Mes souffleurs - voix de famille.
Je vais mourir sur les planches en jouant au guéri imaginaire.
***
Elle m'a dit que j'étais différente des autres femmes
Certes, elle me disait souvent aussi que je devrais aller voir un psychologue
C'est tellement dur d'être un lapin au pays des chasseurs
Elle le sait et compatit avec moi
Elle, cette mère adoptive
Elle dit
C'est dur de comprendre ce qu'il y a dans ta tête
Et elle le dit comme si c'était un secret que je lui cachais
À elle
Au monde
Moi, je ne sais plus quoi dire
***
À la fin, elle était moi
Et c'est ce qui nous lie si fort
J’ai pensé qu'elle était une voyante qui sait tout
Une sage vieille femme
J'attendais d'elle le salut
Qu’elle démêle ma pelote emmêlée
Mais ce n'était qu’une petite fille
Qui jouait
***
Dis-moi que tu me veux littéralement et pas autrement
En rêve, tu as mis le préservatif dans ta poche et tu as dit
Allons-y
Je ne t'ai pas dit que nous n'en aurions pas besoin
Je t'ai suivi
Je le sais déjà
Je perdrai ma virginité au Danemark
Ensuite emmène-moi quelque part où c'est toujours l'été
Où les gens ont une peau différente de la nôtre
Où les villes portent des noms que nous ne pouvons pas prononcer
Emmène-moi quelque part où c'est toujours l'été
Que je pense que le temps s'est arrêté
Que n’existe que
Cet unique et éternel été
***
Le fleuve asiatique coule lentement
L'air est humide
Et moi, je suis une petite Française lubrique
Qui aime les amours interdites et les chapeaux d'hommes
Toujours cette image
On n’échappe pas aux vies passées
***
Nos passions se sont embrassées
Quelque part dans l'hémisphère nord
Il embrassait mon autre bouche
Pendant que mon autre visage pleurait sanglotait
De deuil ou de plaisir
Je ne sais pas
Je pensais à Hélène Lagonelle
***
C'était à en mourir
J'ai découvert que mon corps avait une vie à soi
traduit par Nikolina Oljača
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Vladana Perlić est née en 1995 à Banja Luka en Bosnie-Herzégovine. Écrivaine et poète, diplômée en langue et littérature françaises, elle a publié deux recueils de poèmes : „Frapper à la porte de la tour“ (Zaprokul, 2020) et „Jésus entre les seins“ (LOM, 2020). Plusieurs prix littéraires lui ont été décernés : „Novica Tadić“ (2020), „Aladin Lukač“ (2021), „Anka Topić“ (2021), „Ratkovićeve večeri poezije“ (2020), „Ulaznica 2021“ et „Mak Dizdar“ (2018 et 2020). Lauréate de la résidence Q21 à Vienne (2022), elle se trouvait la même année parmi les finalistes du festival romain MArteLive Europe. Ses poèmes ont été traduits en plusieurs langues : français, allemand, polonais, anglais, hongrois, italien et hindou.
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Nikolina Oljača a terminé ses études en langue et littérature françaises à Banja Luka, et est actuellement en deuxième année de master dans le domaine de la traduction littéraire à l’Université Sorbonne à Paris.
Dans le cadre de la rédaction de son mémoire de fin d'études, elle travaille sur la traduction du roman Jefferson de Jean-Claude Mourlevat du français vers le BCMS.