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Photo du rédacteurLeo Rafolt

L’insoutenable densité de l’existence : Mataković en tant que performeur


La couverture de la Monographie (Monografija, Gradska knjižnica i čitaonica Ðakovo, 2022) de l'immense artiste Dubravko Mataković







« Septica est une bande de joyeux lurons exaspérés. »


D. M.




Lorsque l’ancien président Donald Trump avait à un moment donné annoncé sa plainte contre Facebook, Twitter et Google, il s’est servi d’une expression qui est devenue une sorte de symptôme de la politique moderne, cancel culture, la culture de l'effacement ou culture de l’annulation. Aussi absurde que sa déclaration eut été, surtout si considérée sur le fond des changements des idéologies au vingtième siècle et l’aura du politiquement correct qui régulièrement avec ces idéologies avance bras dessus, bras dessous — « Nous exigeons la fin de l’interdiction dans l’ombre, la fin de la réduction en silence et de la mise sur liste noire, des expulsions et des suppressions » — en elle se reflète malheureusement ce qui pourrait arriver aux « langues » et « arts » dont le sens critique, la subversion et la transgression par la dérision, le cynisme, l’ironie et/ou l’incorrect pour ainsi dire, coule dans leurs veines depuis leurs création.

Ce terme, « l’effacement », est devenu central dans le débat actuel sur les effets des discours et de qui en tire le profit. Des modestes chamailleries sur Twitter, il s’est hissé jusqu’à la plus haute position dans le pays, et traduit en réalité la discussion culturelle entamée il y a trois décennies. À savoir que, déjà en 1991, le Commandement de Mataković signale que ce n’est pas recommandé aux personnes au cœur fragile, nerfs tendus et mineurs. Le monde auquel Mataković fait allusion ressemblera souvent à la tue-cochon, non pas uniquement dans le sens de la constance de l’exploitation des ressources culturelles, politiques, sociétaux, identitaires, artistiques, médiatiques et autres, mais tout autant dans le contexte de la fin ou de la marge où se retrouve l’homme moderne, à qui il ne reste plus rien si ce n’est de s’hypertrophier soi-même et de se naturaliser, avant de s’engager dans la lutte finale, partant de la marge bien entendu. De l’iconologie du contrepoint de Protpikčers¹, avant tout envers tout ce qui serait commercial, puis seulement ce qui aurait trait au consumérisme-américano-capitaliste, jusqu’aux Œuvres choisies, et ses variations — où l’auteur souvent « s’autoanthologise » lui-même — jusqu’aux cycles de guerre et le cycle sur Dezmozgenes, où par exemple le naturalisme initial de Mataković se superpose et focalise à la violence, l’absurde et la réalité grotesque, qui est si douloureusement actuelle — car continuant à permettre aux gens « écervelés » de régner — par l’œuvre de l’auteur Mataković défilent d’innombrables personnages avec leurs faces et revers, le plus souvent dans la lumière d’une hypertrophie de certains vices. Même si un des idoles de Mataković est bel et bien Reiser², son écart vers une sorte de « néo-underground » est autrement plus intéressant et puissant, car incluant souvent des niveaux que l’ancrage profond de la poétique de la bande dessinée « underground » dans la culture populaire négligeait parfois, à côté de la classe, la marge de la société des démunis, et plus exactement — une certaine « esthétique de la ruralité » et ainsi de suite. Le personnage d’Ivica traverse ainsi toutes les phases, celle de l’expérimentation initiale avec ses vices, le tabac par exemple ou encore la drogue et le jeu, ou encore l’hyperintellectualité jusqu’à sa phase punk, qui s’oppose au bourbier de l’obéissance libérale et le grotesque des personnages de l’Étron³, Nous avons Les Proutes⁴ etc. Ce sont justement ces « contextes » que Mataković dépeint et qui souvent empestent la « pourrifaction », comme ses personnages aiment à le dire, et la période depuis le début des années 1990 jusqu’au cruel présent, dans lequel il situe Les aventures et les mésaventures d’Ante Pavelić (Zgode i nezgode Ante Pavelića), offre plus que nécessaire des matériaux pour une représentation cynique des points névralgiques de la société dans nos contrées. Si le cycle protopikčerien sur le petit Ivica, dans ces années 1980 de contre-culture, publié dans la presse de jeunesse de l’époque, montrait la face cachée du système socialiste de l’époque, alors ses ramifications depuis 1990 à nos jours démasquent avec succès, tout d’abord, le capitalisme néolibéral, et puis tous les « messages cachés » dans l’espace médiatique overclocké. C’est pourquoi le monde dans lequel évoluent tous ses personnages ressemblent aux « déhanchements désenchantés » après lesquels il faut se soûler dans les règles de l’art pour que le monde puisse être revu d’une manière plus juste. Ainsi ses personnages sont dans la veine d’un Woody Allen ou d’un Bruce Willis, parfois en débardeur, en culotte etc. Tout le potentiel du mécanisme du grotesque s’active pour pouvoir pointer du doigt l’absurdité de ce « contexte » dans lequel se trouve la société moderne, privilégiant l’hypocrisie et le « fake », au détriment de vraies valeurs. C’est pourquoi les noms de ses nombreux personnages sont façonnés par le procédé de l’ironie, d’une façon plus globale encore - de la parodie, et sont souvent déterminés par l’axiomatique négatif, comme le discours médiatique errant pars pro toto, Zdena, ou encore Protman, qui est tout autant un « moins fois plus égal moins », l’anti-super-héros, et l’Ami d’État n° 1, avec toutes les caractéristiques d’un super-héros, qui vole à l’aide du jet du pet, a une cape, sait se battre. Une chose semblable s’opère dans son BD-discours avec le politiquement correct, et cela bien avant la « culture de l’annulation », dont on discute aujourd’hui de positions innombrables. Chez lui, depuis belle lurette, par exemple, les Gitans montent au ciel, et les gros Russes errent ; tout fourmille de pédés qui ne voudraient que « chevaucher », ou ceux de la foi opposée, soit en Slobo⁵ en tant que Père Noël ou faibles enfants serbes, Crniljko, Izmet, Ngovno etc. ; on lit des magazines pour la femme arriérée ; on trouve aussi des portraits haut en couleur de toutes sortes de diplomates et fameux politiques de « guerre » internationaux, Hante Marković⁶ et Alojzije Moka, Kinkel⁷ et Akaši⁸ (qui se bat comme Bruce Lee), Tuđman tout en muscles, jusqu’à la démolition de différentes structures idéologiques ou mythologèmes, comme le Mouvement d’Istrie pour la Yougoslavie ou Svinjska alka⁹. Même en « ombrageant les jurons », ils ne perdent pas en perspicacité. Il se moque tout autant des théories de complot de la droite, où la NASA truque la gravitation, et les Amerlocs n’ont pas atteint la Lune, où la Terre est plate comme une crêpe sur le dos d’un orang-outan sur une poutre, et Hitler est toujours vivant. Le monde de Mataković est la représentation de la lutte de différents groupes et forces, dans le sens le plus rudimentaire qui soit, où il n’y a guère de place pour le politiquement correct, surtout pas celui qui souvent ne se résume qu’à la question, « alors, as-tu le droit d’être offensé si cela signifie que moi je n’aurais pas le droit de dire quoi que ce soit ? » L’idée qu’on se doit d’être « politiquement correct », avoir la pensée morale la plus correcte qui soit sur des sujets complexes, ainsi que la langue la moins offensante avec laquelle cela peut être articulé, a gagné en popularité dans les années 1990, lorsque Mataković écrivait déjà beaucoup sur ces sujets, avant que les gens de l’extérieur ne se sont armés contre la communauté du « populaire », de laquelle elle émerge à vrai dire — tout comme l’idée qu’aujourd’hui le droit pour que quelqu’un soit « incorrect » lui soit tout simplement « annulé ». L’idéologie conservatrice a accepté la critique du politiquement correct non seulement pour marquer le boycott, mais pour avertir sur « l’impopularité » de la pensée impopulaire. Mais ce ne sont pas uniquement les idéologies conservatrices qui estiment qu’une telle culture de l’annulation est allée trop loin. Vu que cet effort que les gens soient invités à endosser la responsabilité pour leurs œuvres s’est politisé et a à ce point perdu le contrôle, ainsi les genres marginaux, comme la bande dessinée, se sont mis à le traiter comme une espèce d’industrie, en se moquant cela faisant, comme les médias et autres effets secondaires du mainstream capitaliste. Le film d’animation de Mataković La Brique¹⁰, par exemple, représente bien habilement les personnages ravivés du Protpikčers, en couleur, avec le petit Ivica, la mère célibataire stérile Veresija, le voisin insupportable et ses enfants retardés, la nonne avec ses culs de bouteille et sa dent unique, le four volant avec lequel les extraterrestres voyagent à travers l’univers etc. Ni son film, tout comme ses bandes dessinées, tout simplement ne mesurent pas leurs procédés, mais au contraire se basent toujours sur l’affirmation de la responsabilité construite pendant des années dans la culture populaire, comme un domaine pour la catalyse de ce qui pourrait arriver à la culture officielle. L’hypertrophie ainsi devient le symptôme, tandis que la caricature est son plus puissant instrument. La seule annulation sur laquelle insistent les personnages de Mataković est celle qui découle de l’expérience du contre-discours, de l’expérience de l’annulation de l’obéissance, mais aussi de l’attribution de l’étiquette de la culture à un tel (courageux) type de l’endossement de la responsabilité. Une des raisons pourquoi la culture de la bande dessinée est devenue à ce point « désobéissante », « bouillonnante », est aussi que le sujet du pouvoir — ou comme Mataković l’aurait dit, les gens en position — ne sont pas habitués de répondre aux groupes marginalisés, qui les critiquent dans des formes diverses d’engagement, et leur portée avec les nouveaux médias est plus importante que jamais. La trivialisation sur laquelle Mataković écrit, et dessine, est pour cela souvent cruellement grossière, comme chez l’ouvrier croate, qui n’a rien à manger, du coup ne peut offrir l’échantillon de sa selle, et se met à réfléchir s’il ne devrait pas gratter un échantillon de son slip. La relation de Mataković envers le politiquement correct peut être suivie d’une façon linéaire, mais en aucun cas dans un sens d’un type d’annulation, comme s’il est tout à fait conscient que manifestement la plus grande différence entre les débats sur le politiquement correct dans les années 1990 et la culture de l’annulation réside aujourd’hui dans la façon dont les médias sociaux créent l’accès aux sujets publics et privés, posant leur dialogue sur une base inégale. C’est comme si Mataković avait étudié cette transition en réfléchissant à la façon dont il fallait l’amortir, et que la BD reste la BD, avec son potentiel critique, cynique et ironique, venant de la marge. La liberté d’expression est véritablement une grosse affaire qui gêne les institutions libérales, surtout les instances (libérales) médiatiques. Car la bande dessinée n’est pas et ne doit pas devenir, en partie, un fait de génération ou encore un genre générationnel. Il existe une répartition claire entre les gens qui considèrent qu’il faut moins de tolérance envers certaines positions politiques, certaines pensées, certaines positions sur l’ethnie, la race et le sexe, la sexualité, et la BD peut contribuer aussi au développement de la conscience que ces choses changent avec le temps, n’étant pas uniquement déterminées par la poétique du genre ou la politique. Souvent, les bande dessinées de Mataković se déplacent intentionnellement dans le champs de l’excès. Du coup, les excès sont attendus, mais ne sont pas pars pro toto de sa poétique. Cela dit, d’un autre côté, il est tout autant irréel d’attendre que la poétique de la BD, ainsi que son éthique changeront fortement, surtout envers les médias et les politiques pseudo-libérales qui vivent d’incidents grâce aux clickbaits. Les identités marginalisées ainsi que les points de vue marginalisés, selon la nature de la marginalisation, ne possèdent pas les moyens de la production culturelle, souvent on ne les retrouve même pas dans les rédactions, non plus lors des réunions des maisons d’édition, il n’y en a pas non plus dans des comités des universités. Ils leur restent la BD, la culture populaire, les pratiques performatives transgressives. Sauf que chez Mataković la situation n’est pas aussi simple comme le voudrait probablement les études culturelles puissantes et autorisées à discourir. Chez lui ce sont justement les gens de la marge qui sont le plus souvent les plus grands « dévoreurs » de la propagande — bien entendu, avec de fortes prétentions pour le fauteuil ministériel, comme l’écervelé Glištun. Cette auto-critique est probablement la plus grande force de la poétique-BD de Mataković. Et même Ivica aura son affaire gay et sera contaminé par le SIDA. Lorsqu’il critique les offres des grandes industries culturelles et corporatives, par exemple, du mouvement de l’égalité, Mataković établit clairement que ces offres ne sont pas pour nous les gens ordinaires. Elles ne sont pas pour les marginalisés. Ne sont pas pour les gens à la périphérie. Elles s’adressent avant tout aux consommateurs des produits politiquement corrects ou les produits conformes à l’époque. Et ces produits sont pour la plupart académiques, principalement des livres, en aucun cas la culture de la bande dessinée. Le lecteur de ses bédés ne se retrouveront pas si facilement que ça dans la situation d’appuyer le statu quo en ayant des lettres de créance qui le lui permettraient. La culture de l’annulation est, dans nombreux cas, si quelqu’un se donne la peine de regarder sous le capot, culture corporative du contrôle des dégâts, et ce que le sujet commercial voit n’est pas ce que vous et moi voyons. En fin de compte, aussi bien les livres que la BD sont des produits. Toutefois, les gens qui lisent les livres sont, ça se trouve, plus sensibles à l’opinion public ?!


L’esthétique de la bande dessinée de Mataković est effectivement hautement performative. À un endroit il témoigne de la rencontre avec Tom Gotovac, le doyen de notre sphère de performance : « De la Place de la République¹¹ à l’Académie, je croisais souvent un géant barbu et renfrogné en jean. Il attirait l’attention ne serait-ce qu’avec sa présence, et je n’avais aucune idée de qui il pouvait être. On m’a dit : "C’est Tom Gotovac." Plus tard, il a arraché tous ses poils et réalisait des performances déguisé en Superman ce que les médias de jeunesse suivaient de près. C’est ainsi qu’il a, en tant que personnage épisodique, atterrit dans la BD sur le petit Ivica. Ce n’est que plus tard que je l’ai rencontré et me demandait comment il allait, ainsi renfrogné, agir sur mes travaux. Mais Žarko Vijatović m’a raconté que cela amusait Tom. Puis m’a raconté plus tard que Tom avait exposé les cadres de la BD à l’exposition zagréboise Rétrospective des documents 1956-1986 - Paranoia View art à la Galerie Društveni dom Trešnjevka. J’étais flatté. En 1992 j’avais la promotion de la BD Pterodacylographie pour débutants¹² au théâtre Gavella. Dans l’après-midi, bien avant la promotion, est apparu Tom. Il avait la jambe en plâtre et la béquille. Il m’a dit : "Tu connais le film d’animation avec Pink Panther dans lequel sont les corneilles avec des plâtres et des béquilles ?" Ce soir-là il portait une combinaison noire, avec le plâtre et la béquille, comme ces corneilles du film d’animation, et dans l’autre main il tenait un mégaphone. Marchant en plein milieu de la rue Frankopanska, il annonçait la promotion à Gavella. Délire que seul Tom était en mesure de produire. » La performance par la BD que Mataković continuellement met en scène depuis les années 1980 n’avait pas initialement été pensée en tant que « manuel » de comment produire l’art qui conséquemment devrait devenir l’objet d’une contestation politique. C’est pourquoi son public s’est formé de deux manières. Primo, il lui fallait se séparer des conditions qui souvent régulent la notion socio-économique et politique du déplacement culturel au sein de la sphère publique bourgeoise. Deuxio, il lui fallait accepter le fait que la logique de la séparation des sphères culturelles, qui vaut dans le domaine du public bourgeois, dans la BD tout à fait inexistante, principalement car la stratégie de l’expulsion qui « nettoie » l’espace culturel pour un discours poli, cosmopolite, en constituant la culture populaire en tant que l’Autre de basse facture, sale et brute, hors de la sphère public nouvellement créée, est abandonnée depuis belle lurette. Les galeries d’art, surtout celles spécialisées pour les pratiques modernes et contemporaines, tout comme la haute littérature, ont souvent été appropriées par l’élite sociale, ne voulant accepter aucune sorte d’homogénéisation culturelle, en se différenciant fortement de la culture populaire et, avant tout, de ses consommateurs — cette couche sociale détestée. Par conséquent, l’intervention de Mataković n’est pas uniquement artistique, mais tout autant sociale, surtout si on garde à l’esprit la puissante collision des concepts du populaire et de l’élitiste au sein de la machinerie de la pratique de la bande dessinée. Son projet pérenne (n’omettons pas que nombreux sujets et personnages resurgissent dans des phases ultérieures) n’est pas uniquement une « intention » par laquelle il voudrait à nouveau représenter la profanation des régimes artistiques bourgeois, quelque part entre l’activisme artistique, mais un projet prêt à démonter et décevoir l’idée de la bande dessinée — en forme d’un panoptique inversé. Le musée se transforme en mausolée. L’anti-musée, l’anti-mausolée. Imaginons le concept de la bande dessinée « éduquée » et « convenable », comme une institution de l’art et de la culture voulant homogénéiser et différencier, dont le fonctionnement social serait défini par des forces contradictoires entre ces deux tendances. Là, par exemple, la classe ouvrière — à condition de s’habiller comme il faut en réprimant tout penchant pour une mauvaise conduite, tendance à injurier, s’adonner à des films pornos etc. — pourrait être exposée à l’influence de plus en plus bénéfique de la classe moyenne, et une telle BD serait alors essentielle pour la construction d’une nouvelle espèce d’espace social. Sacrée caricature. Bien au contraire. La BD de Mataković est l’anti-instrument de la culture remis au programme d’une surveillance constante et de la perception. L’innovation, tentant d’extraire la vision, pour ainsi dire, des mauvaises habitudes, en critiquant non seulement le détournement de l’attention en lien avec la distraction populaire visuelle — où aujourd’hui les écrans de téléviseurs et d’ordinateurs sont les cibles principales de ce point de vue — mais tout autant des formes faibles en relations avec les mouvements artistiques qui sont, même si jadis innovatifs et capables de provoquer de nouvelles formes d’auto-réflexion perceptives, depuis ne font qu’atrophier dans des conventions routinières. Ainsi sa poétique plaide pour une révolution perceptive constante, reflétant par la densité des sens dans l’état d’une attention constate, de la vivacité sensorielle, une sorte d’athlétisme de la perception. En métaphore footballistique, la mission de Mataković n’était jamais d’impressionner le public, mais créer la signification dans le sens de la vitalité nietzschéenne, et c’est pourquoi, dans une certaine mesure, devrait-on peut-être l’appréhender en tant que conceptuelle, ou même expérimentale, sachant que le public de la bande dessinée ne se refuse plus aux expérimentations et écarts des conventions adoptés (concernant la dramaturgie, l’action, les traits etc.). Se servant d’un habitus performatif paradoxal, ses bandes dessinées et son esthétique peuvent aussi être interprétés sur la ligne du populisme et d’une poétique populaire, mais, en même temps, en choyant l’élite culturelle, tout comme sur la lignée d’un rejet voulu de toute traces d’une simple ingérence et d’une jouissance vulgaire dans l’art, bref — sur la ligne de l’« art » — réunissant diverses formes de prise de conscience (socio-politique, culturelle) directement dans les foyers. Un tel esthétisme populaire est anti-élitiste, en tant que contraire négatif à l’esthétique kantienne, car tend à choquer le jugement bourgeois du goût, accordant un statut esthétique aux objets ou façons de leurs représentations exclus par l’esthétique dominante de l’époque. Le souhait de chaque dessinateur de la bande dessinée, Mataković compris, est d’intervenir d’une manière inattendue et provocante dans les désengageants modèles culturels, posant les questions qu'il faut poser, engagement auquel s’intègre la communauté au sens large, « le public de Mataković », indépendamment de ses origines sociales ou culturelles, abstraction faite du résultat.



traduit par Yves-Alexandre Tripković





¹ Néologisme associant proto- en grec ancien signifiant antérieur, au début… et l’anglicisme pictures dans sa version phonétique.


² Jean-Marc Roeiser, dit Reiser (1941 - 1983) est un dessinateur de presse et auteur de bande dessinée français connu pour ses planches à l'humour féroce.


³ Govno, Factum, Osijek, 2011


Imamo Les Proutes, Ideoteh, Osijek, 2018


⁵ Slobodan Milošević


⁶ Ante Marković


⁷ Klaus Winkel


⁸ Yasuhi Akashi


⁹ Pour Sinjska alka, tournois de chevalerie à Sinj, que l’auteur transforme en svinjska ce qui aurait plutôt trait à la cochonnaille.


¹⁰ Cigla, Zagreb film, 2012 : scénario et réalisation Dubravko Mataković


¹¹ Trg Republike, aujourd’hui Trg bana Jelačića au cœur de Zagreb.


¹² Pterodaktiličarstvo za početnike, Centar za kulturu Vladimir Nazor, Sisak, 1992




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