Les symptômes du bruit et de la fureur
- Marta Vesović
- il y a 28 minutes
- 3 min de lecture

Il avait des aimants, et non du plombage, entre les dents. Les aimants s’attiraient entre eux, et il ne pouvait plus ouvrir la bouche pour crier notre histoire. Le vent velu apportait avec lui des odeurs de clous rouillés et coupait ses yeux rouges. Des bêtes enragées rugissaient ; la brume avait aveuglé leurs longs cils noirs. Des anges détrempés jouaient de la trompette avec leurs lèvres grasses. Sur les sentiers de nuages, des êtres aériens, agenouillés, avaient les jambes aussi bleues que le bruit du tonnerre frappant les toits des villages. C’était un observateur de bruit, un espion, un collectionneur de bêtes indisciplinées. Il suffoquait à l’endroit des poumons et du cœur, écrasé par une peur sans nom. Ses mains moites serraient les voix transpirantes du reproche. Le soleil glissait sur des lèvres bleues, insultait ses anges, alors que les éclairs volaient comme des balles tirées d’un pistolet chaud, droit dans les aimants entre son palais et sa langue. Pour éteindre les symptômes du bruit, il jetait tout ce qui pouvait rappeler une tête humaine dans les prés : des bouches pleines de terre, des narines saturées de l’odeur des pleurs rouges, des oreilles incapables de percevoir les pluies de couleurs et de parfums. Des têtes pareilles à des ballons dégonflés gisaient dans les prairies arides, dans les fissures de la terre. Après la mort du soleil et avant la naissance des étoiles et de la lune, des bêtes furieuses et bruyantes, aux rugissements égoïstes et aux soupirs pitoyables, ruaient parmi les têtes jetées, roulant par-dessus comme des cascades en colère. La terre aride s’ouvrait pour déposer du minerai d’argent sous les crânes décapités. Des têtes ivres de sanglots, pleuraient amèrement. Des tombes de plomb s’élevaient de la terre séchée. Les sapins étaient brisés, le sel des pluies sales et l’obscurité des serpents venimeux, incapables de muer. Ô rois ivres et princes sans tête ! Pourquoi nous défendez-vous avec des soldats blessés et des épées noires ? Ne voyez-vous pas les témoins des hivers cruels, ne voyez-vous pas que des aigles impitoyables nous livrent des enfants à la place des douces cigognes ? N’entendez-vous pas la prière des dos brisés et le vacillement des ponts au-dessus des rivières mortes ? Pourquoi cherchez-vous ma tête, alors que vous n’avez pas écouté ma voix ? Ô dirigeants impitoyables, pourquoi nous traquez-vous depuis vos remparts ? Pensez-vous que « leur faible parole ne dépassera pas leur mare de sang ? » Nous sommes proches de la terre rouge et elle retient mieux les mots que le sang. Nous lui murmurons dans le ventre, dans les bras des anges musiciens, tout ce que nous savons du silence et de l’amour. Votre épée est trop petite pour trancher la tête du pays entier. Les nuits s’épaississent dans l’histoire du bruit. Une foule compacte s’élève de la trompette des anges détrempés. Le bruit est le favori des masses, le bruit est la flamme des grands esprits, et toute incitation à cet incendie est une interdiction pour les têtes de regarder à gauche et à droite. L’embrasement des passions et des pulsions les plus basses de l’homme. Le bruit insouciant des joues rouges et des cercueils de pierre, le mélange de la fourrure et de la chair. La foule et le bruit ont remplacé l’aimant dans la bouche de l’observateur. L’injection des poings violents et vaniteux lui a détruit la bouche, il n’est plus qu’une tête et au-dessus de ses larmes s’élèvera un tombeau de plomb, résistant au bruit et à la fureur.
traduit du serbe par Živko Vlahović