Miloš Nikolić : Les Forgerons

Les Forgerons
comédie
traduit du serbe par ¬ Nikolaje Nikolajević
avec la collaboration de ¬ Martine Hessler
PERSONNAGES ¬
ATZA KOVAČEV
PETER SCHMIDT
LOUISA — la femme de Peter Schmidt
IVAN KUZNJACOV
Ceci n’est pas un conseil concernant la lecture de la pièce, mais plutôt une remarque nécessaire. Dans Les Forgerons, le plus important s’est déjà passé ; nous sommes en train d’en évaluer les conséquences. Donc, ce n’est pas une comédie qui commence par l’entrée en scène d’un personnage. Il s’agit plutôt d’un drame qui se termine.
Dans la pénombre d’une forge de village bavarois, où, de toute évidence, on n’entre que très rarement. Quelques inscriptions en allemand accrochées au mur depuis belle lurette ; par exemple : « Peter S. Forgeron » et d’autres. Venant du fond, on entend le bruit d’une cohue.
On entend tourner la clé dans la serrure et le grincement d’une porte qu’on ouvre. Atza, vêtu d’un manteau et portant un sac quelconque, entre lentement dans la forge.
Il entre comme quelqu’un qui porte un lourd fardeau, comme une personne qui s’attend à être assassinée dans cette forge. Il reste immobile un instant, puis se met à se mouvoir dans le noir à travers l’atelier. Il se meut plus librement lorsque le boucan est plus fort. Il est en train de palper les objets comme s’il se souvenait de leur emplacement.
Il dépose son sac sous le banc, enlève son manteau, l’accroche au crochet après avoir décroché un tablier de forgeron en cuir qu’il met aussitôt. Il s’approche de l’enclume, attrape un ferretier en donnant un coup dessus et écoute. Il frappe l’enclume comme s’il lui parlait.
Échauffé par la bière et la danse, Peter S. entre brusquement, allume la lumière et, stupéfait, observe l’intrus. Celui-ci, effrayé, laisse tomber le ferretier sur l’enclume.
PETER. — Je leur dis, moi, qu’on entend l’enclume, et eux, ils me répondent que je suis bête. Plus sévèrement. Que fais-tu là ?
ATZA. à mi-voix — Je martèle...
PETER. avec l’assurance de celui certain de pouvoir compter sur l’aide... — Et pourquoi martèles-tu dans ma forge, avec mon ferretier, sur mon enclume, portant mon tablier ?
ATZA. — J’enlèverai le tablier.
Il rend le tablier et remet le manteau.
PETER. — Et alors, tu t’en iras juste comme ça ?
ATZA. — Je m’en irai...
PETER. — C’est ça ! Il lève la voix. Tu penses que tout est réglé parce que tu me rends le tablier, parce que tu ne martèles plus et que tu t’en vas ? Eh, bien ! Tu te trompes. Tu m’expliqueras d’abord ce que tu viens chercher ici, et ensuite, je te casserai la gueule !
Découragé, Atza se laisse tomber sur le banc. Peter se place droit devant son visage et l’observe.
PETER. — Attends un peu ! Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
ATZA. — Non...
PETER. — Comment se fait-il, alors, que ta gueule me dit quelque chose, hein ? Le scrutant. On ne s’est pas déjà vus ?
ATZA. — Non.
PETER. — Nous ne nous sommes pas vus et pourtant, ta gueule m’est connue. C’est plutôt étrange ! Moi-même, je suis convaincu qu’on ne s’est pas vus, car je n’oublie jamais les gueules que je vois ! La tienne, je ne l’ai jamais vue ! Alors, qui est-ce que tu me rappelles ?
ATZA. — Que sais-je...
PETER. — N’essaie pas de t’esquiver ! Car si je t’arrange la gueule, tu ne ressembleras plus à personne ! Et, comment pourrais-tu savoir qui tu me rappelles si moi-même je ne le sais pas. Le reluquant. Pourquoi martèles-tu dans ma forge, avec mon ferretier, portant mon tablier ?
ATZA. — Eh, bien ! Je l’ai l’enlevé...
PETER. — Si tu répètes encore une fois que tu as enlevé le tablier, je t’arrangerai cette gueule, peu importe qui elle me rappelle ! Pourquoi martèles-tu dans ma forge ?
ATZA. Le regarde découragé, observe la forge, soupire — Parce que... je suis forgeron...
PETER. — Parce que tu es forgeron ? Penses-tu que n’importe quel forgeron peut venir dans ma forge quand ça lui chante marteler sur mon enclume, avec mon... L’observe. Est-ce que je t’entends chialer ?
ATZA. — Je chiale...
PETER. désarçonné — Comment puis-je te casser la gueule si tu chiales ? Et pourquoi chiales-tu ?
ATZA. — Je chiale... parce que... je suis forgeron...
PETER. — Un forgeron ça ne chiale pas ! L’observe avec mépris. Je n’ai jamais vu un forgeron qui soit un vrai con de pleurnicheur ! Les forgerons sont des colosses ! Faits de pierre ! Quand la peste régnait, elle n’avait aucune prise sur les forgerons.
ATZA. — Moi non plus...
PETER. — Toi non plus, quoi ?
ATZA. — Je n’ai vu aucun forgeron... qui soit un vrai con de pleurnicheur...
PETER. — Maintenant, tu as l’occasion d’en voir un, toi- même ! Arrête... À quoi ça rime ? Tu arrives je ne sais d’où dans ma forge, et là, tu te mets à chialer... parce que tu es forgeron ! Est-ce qu’il faut que tous les forgerons s’amènent dans ma forge et qu’ils y chialent ? Et si quelqu’un... de là- bas... venait et voyait pleurnicher un forgeron ? Que penserait-on ensuite des forgerons ?
ATZA. — J’arrêterai...
Il sort une bouteille du sac placé sous le banc, la débouche, boit un coup. Il hésite, mais tout de même finit par tendre la bouteille à Peter.
PETER. — Ah, non ! Ça ne marche pas avec moi ! On boit une gorgée, puis on en prend une autre, et on finit par se donner l’accolade et par s’embrasser ! D’abord, je te casserai la gueule puis on verra si on boit ou pas, si on se donne l’accolade et si on s’embrasse !
Atza dépose la bouteille sur le banc. Il se lève.
ATZA. — D’accord, alors...
PETER. — Quoi d’accord ?
ATZA. — Casse-moi la gueule et qu’on boive ensuite comme il se doit ! Comme des forgerons ! Frappe !
PETER. — Doucement...
ATZA. Décidé d’en finir avec cette situation. — Pas doucement ! J’en ai assez de ton doucement ! Tape-moi sur la gueule ! Si tu avais fait irruption dans ma forge, comme moi dans la tienne, tu aurais senti mon poing sur la gueule d’abord et ce n’est qu’ensuite que tu aurais posé tes questions ! S’approche de lui. Veux-tu me casser la gueule ou que je me la casse tout seul contre l’enclume.
PETER. — Passe-moi la bouteille !
ATZA. — D’abord, je vais me casser la gueule contre l’enclume !
PETER. — Pour qui te prends-tu ? Imagine seulement ! Si tous ceux qui viennent dans ma forge se cassaient la gueule contre mon enclume ? Je n’ai qu’une seule enclume. Écoute la chanson. Pourquoi gueule-t-il tellement celui-là ? D’une voix apaisante. Nous boirons d’abord et ensuite, nous nous casserons la gueule contre l’enclume si on en a encore envie.
Atza lui passe la bouteille.
ATZA. — Ta forge, comme tu dis... Mais qu’on n’oublie pas ensuite ce que nous avons dit !
PETER. Boit un coup. — Et pourquoi nous casserions-nous la gueule ? Pourquoi ? Si nous sommes des forgerons, si nous nous soûlons la gueule, nous casserons la gueule à d’autres forgerons parce qu’ils mènent les forgerons à la ruine et qu’ils transforment les forges en musées ! Parce que plus personne n’a besoin de nous, pas même les chevaux... Plus d’attelages... Jusqu’à quand est-ce qu’il pense hurler celui- là ? Il regarde Atza droit dans les yeux. Écoute, voilà, je boirai encore une gorgée... mais dis-moi quelque chose. À quoi ta gueule me fait-elle penser ?
ATZA. — Ma gueule ? Tu commences à me casser les pieds avec ma gueule. Ne pourrais-tu pas trouver une autre expression ?
PETER. — Tu refuses de me le dire... Si tu veux que je boive avec toi et que nous nous cassions la gueule contre l’enclume, comme de vieux amis, tu t’ouvres à moi, ou tu préfères que je te fiche dehors et retourne hurler avec l’autre ?
ATZA. — Tous les forgerons ont les mêmes gueules ! Et tous les cheminots et tous les flics et tous les popes aussi ! Chaque rejeton d’un flic, lorsqu’il voit un flic, s’écrie : Papa !
PETER. — Donc, tu veux dire que ta gueule tout simplement fait penser à celle de n’importe quel forgeron ? Pourquoi, alors, nos deux gueules ne se ressemblent pas ?
ATZA. — J’en sais rien.
PETER. — Tu ne fais que répéter : Que sais-je ! Bon... Je boirai une autre gorgée, mais dis-moi encore une chose et disparais à jamais de ma forge... car on m’attend là-bas... Comment es-tu entré ? C’est tout ce que je veux savoir.
Soupirant, Atza sort une clé de la poche se son manteau.
ATZA. — Voilà comment je suis entré...
PETER. — Ma foi, t’es un vrai voleur !
ATZA. — Non, je ne le suis pas...
PETER. — Tu es un menteur et non un forgeron ! Tu as fabriqué un passe-partout afin d’entrer dans ma forge ?
ATZA. — Ce n’est pas vrai...
PETER. — Et que voulais-tu me piquer ? L’enclume ?
ATZA. — Non...
Peter lui prend la clé et l’observe.
PETER. — Tu es quand même forgeron !
ATZA. — Oui...
PETER. radieux — T’es un sacré forgeron ! Moi-même, j’aurais été incapable de faire un tel passe-partout ! On dirait un original ! Il sort sa clé, la compare avec l’autre, regarde Atza. Il est plus original que la clé d’origine ! De nos jours, pas un seul forgeron n’est capable de fabriquer une telle clé ! Quel travail exceptionnel, hein !
ATZA. — Impeccable...
PETER. — Sauf qu’avec une telle gueule, tu n’as pas pu fabriquer une telle clé. C’est mon père, Papa Peter, qui l’a fabriquée ! Comment as-tu eu cette clé que je n’avais pas vue depuis vingt ou trente ans ?
ATZA. — Je l’ai prise dans la poche du manteau.
PETER. — Comment la clé de mon père est-elle arrivée de ma forge à la poche de ton manteau ? Tu l’as volée ?
ATZA. — Non... Elle est restée dans ma poche...
PETER. — Tu déposes ma clé dans la poche de ton manteau et tu ne l’as pas volée ?
ATZA. — Je te l’ai rendue...
PETER. — C’est beau de ta part ! Tu m’as rendu le tablier, tu m’as rendu la clé ! Mais à quoi sert la clé de ma forge dans la poche de ton manteau sinon pour voler ? Que voulais-tu piquer ? Le ferretier, les pinces, les tenailles, les fers à cheval, le soufflet ? Prends ce dont tu as besoin et fous le camp, je ne veux plus voir ta gueule. J’ai l’intention de m’en aller là où l’on boit de la bière, là où l’on danse et où l’on hurle... Prends du charbon, des clous à ferrage, des chevilles...
ATZA. Soupire. — Je refuse de prendre ce qui ne m’appartient pas...
PETER. Se met devant son nez. — Ici rien ne t’appartient !
ATZA. — Alors, je ne prendrai rien.
PETER. — Eh, dans ce cas, dis-moi encore quelque chose : toi qui n’es pas venu prendre ce qui ne t’appartient pas — qui es-tu ?
ATZA. — Je te le dirai... Et ensuite cassons-nous la gueule ou buvons en paix... comme des forgerons... puisque de toute façon, rien ne m’appartient ici...
PETER. L’attrape à la gorge. — Écoute-moi bien ! Mon père était forgeron ici ! Dans cette forge, le père de mon père était aussi forgeron ! Moi-même, je suis forgeron ici ! Et tout m’appartient ici parce que nous avons travaillé ici ! J’ai travaillé ici !
ATZA. Renifle. — J’ai travaillé ici...
PETER. — J’ai forgé ici !
ATZA. — Moi aussi...
PETER. — Arrête de répéter après moi ! Pas toi ! Moi ! J’ai forgé ici !
ATZA. — J’y ai forgé moi aussi...
PETER. — Tu es soûl ! Tu as forgé dans la tienne ; ceci est ma forge. La mienne, la mienne. Tu n’as pas forgé ici.
ATZA. — J’ai forgé ici...
PETER. — Non ! Je connais tous ceux qui ont forgé avec moi !
ATZA. — J’ai forgé tout seul...
PETER. — C’est pas vrai ! Mais quand est-ce que tu as forgé tout seul ici ? Où est-ce que j’étais pendant que tu y forgeais tout seul ?
ATZA. — Là...
PETER. — Là... Où ?
ATZA. — Là... Pleurniche.
PETER. — Pourquoi pleurniches-tu encore ? Parce que tu as forgé ici ?
ATZA. — Parce que...
PETER. — Et moi, j’étais où ?
ATZA. — Sur le front russe...
PETER. — Ah, ça alors ! C’était... il y a belle lurette ! Il y a vingt... trente... ans ! Non, pendant que je me trouvais sur le front russe, personne ne forgeait ici...
ATZA. — Comment personne ?
PETER. — Personne... Juste un prisonnier quelconque...
ATZA. — J’étais ce prisonnier quelconque...
PETER. — Un certain soldat yougoslave capturé...
ATZA. — C’était moi le soldat yougoslave capturé...
PETER. — Un certain Serbe... forgeron de la région de Banat...
ATZA. — C’est moi ce forgeron... Serbe de Banat...
PETER. Rayonnant de joie. — C’est donc toi ?
ATZA. — Moi...
PETER. — Tu te trouvais ici dans ma forge pendant que je me faisais descendre sur le front russe ?
ATZA. — Moi...
Peter le prend dans ses bras.
PETER. — Heureusement que je ne te l’ai pas cassée cette gueule ! C’est toi que j’attends depuis vingt, trente ans !
ATZA. — Moi ? Il se lève. Pour quelle raison ?
PETER. L’attrape par la gorge.—Et tu ne sais pas pourquoi ?
ATZA. — Non...
PETER. — Tu ne sais pas pourquoi ? Eh, bien, où sont mes grosses tenailles pour la main gauche ?
ATZA. Se libère de l’étreinte. — Ne m’attrape plus par la gorge ! Quand je te demande de me casser la gueule... tu refuses... et me serres sans arrêt avec tes pattes. Quelles tenailles pour la main gauche ?
PETER. — Et il ose demander lesquelles ? Les tenailles de mon papa Peter ! Il était gaucher et il a fabriqué des tenailles pour la main gauche. Moi-même je suis un peu gaucher. Ainsi, quand je me sers d’autres tenailles avec la main gauche, ce n’est pas comme avec celles-là. Et si tu te sers de celles pour la main gauche avec la main droite, ça ne marche pas. Comme si ta main avait un défaut, ou ce sont les tenailles qui ne sont pas bonnes.
ATZA. Se rappelle. — Si on les attrape avec la main droite... on dirait qu’on est estropié ?
PETER. — Elles ne sont pas faites pour la main droite !
ATZA. — Et moi qui pensais que les tenailles étaient maudites ! Je n’ai rien pu faire de bien avec...
PETER. — Les as-tu jetées ?
ATZA. — Ne m’attrape plus par la gorge ! J’ai dû les cacher... restent pas coincées dans ma main... c’est comme si elles glissaient toutes seules de la main... Il regarde autour de l’enclume, la déplace, cherche sous le socle, sort les tenailles, les attrape avec la main gauche. Elles sont vraiment pour la main gauche... Elles sont un peu rouillées...
Peter attrape les tenailles, les observe.
PETER. — J’étais sûr que tu es le seul à savoir où les trouver ! Le prend dans ses bras. Si tu avais laissé ton adresse, je t’aurais trouvé ! Je ne peux rien faire sans ces tenailles... Mais qui aurait laissé son adresse dans le pays où on l’a gardé de force... ? Où il était captif... ou là où il guerroyait et a failli y laisser sa peau. Je n’ai pas laissé mon adresse sur le front russe... Bien que, vois-tu... il faut laisser son adresse... Sait- on jamais quand elle peut être utile... Et maintenant, on peut boire encore une gorgée... Il boit. Et ceux-là, ils n’ont qu’à attendre... On ne trouve pas tous les jours de pareilles tenailles ! Et maintenant, écoute-moi. Écoute-moi bien et ne pose plus de questions ! Et ne l’oublie jamais : je suis forgeron !
ATZA. — Moi aussi, je suis forgeron...
PETER. — Ah, non, c’est pas pareil !
ATZA. — C’est pas pareil. Je suis forgeron...Tu es forgeron... C’est la même chose...
PETER. — Ce n’est pas la même chose ! C’est ce que j’essaie de t’expliquer, mais tu ne comprends pas et tu chantes la même rengaine : je suis forgeron, je suis forgeron ! Si c’était la même chose, je n’aurais rien à t’expliquer et ce serait pareil : moi, forgeron, toi, forgeron. Tu dois donc comprendre que ce n’est pas la même chose et deuxio que je ne suis que forgeron ! Rien que ça.
ATZA. — Moi aussi, je ne suis qu’un forgeron... C’est la même chose.
PETER. — Non ! Si c’était pareil, ce serait que les tenailles ne sont que des tenailles et elles ne le sont pas ! Comprends-tu donc une fois pour toutes que ce n’est pas la même chose : forgeron, moi, et forgeron, toi ?
ATZA. — Non...
PETER. — Écoute alors ! Suis-je venu, moi, dans ta forge, ai- je forgé avec ton ferretier, sur ton enclume, portant ton tablier ?
ATZA. — Non.
PETER. — Toi, par contre, tu as été forgeron ici, dans ma forge, et tu as forgé avec mon ferretier, sur mon enclume, portant mon tablier, au lieu d’être forgeron dans ta forge ! As-tu voulu être forgeron ici ?
ATZA. — Oui...
PETER. — Non !
ATZA. — Si... Ici, c’était mieux qu’au camp...
PETER. — Tu as choisi le moindre des deux maux. Tu voulais être forgeron ici pour ne pas faire quelque chose de pire au camp. Mais tu ne voulais pas passer quatre ans en captivité et être forgeron ici non plus ! N’aurais-tu pas préféré avoir été forgeron dans ta forge pendant ces quatre années et avoir martelé en paix avec ton ferretier, sur ton enclume, portant ton propre tablier ?
ATZA. — Si.
PETER. — Et tu as martelé dans la mienne... Ne l’oublie pas : dans ma forge... avec mon ferretier, sur mon enclume...
ATZA. — Portant ton tablier...
PETER. — Ce n’est pas de ma faute...
ATZA. — Je le sais...
PETER. — Mais, tu m’en rends coupable...
ATZA. — Je ne te rends coupable de rien... Est-ce que là tu pleurniches ?
PETER. — Je pleurniche...
ATZA. — Et pourquoi donc ?
PETER. — Parce que je suis un Allemand... parce que tout un chacun dont on a foulé le pays peut me casser la gueule... toi aussi, tu me la casser...
ATZA. — Je ne te la casserai pas !
PETER. — Et je n’ai jamais voulu être autre chose que forgeron... Je ne voulais pas fouler la boue russe. Marcher en uniforme sur les champs russes, serré dans des sangles, chargé de cartouchières, fusil à l’épaule... Je n’en avais vraiment pas envie... J’y ai laissé les quatre plus belles années de ma vie... Je risquais ma peau sur ce maudit front russe... au lieu de forger pendant ce temps-là, dans ma forge... avec mon ferretier, sur mon enclume... portant mon tablier de forgeron... de lancer la boule et le javelot et de boire de la bière... Et d’être auprès de ma Louisa... Sais-tu comment elle lançait le javelot ?
ATZA. — Non, je ne le sais pas.
PETER. — Tu n’as jamais lancé le javelot avec elle.
ATZA. — Jamais.
PETER. — La boule non plus ?
ATZA. — Non plus.
PETER. — As-tu seulement bu de la bière avec elle ?
ATZA. — Non plus...
PETER. — Si tu savais seulement comme elle aime la bière... Soupire. Et moi... Je risquais de laisser ma peau sur le front russe...
ATZA. Soupire. — Moi aussi...
PETER. — Tu n’y as pas été...
ATZA. — Moi aussi j’ai perdu mes plus belles années...
PETER. — Pas au front...
ATZA. — Non, mais au camp...
PETER. — C’était ici...
ATZA. — J’étais ici... et non pas là-bas... J’aurais préféré être là-bas... dans ma forge... avec mon ferretier... avec mon enclume... avec ma femme... J’étais dans un autre pays...
PETER. Pleurniche. — C’est mon pays...
ATZA. — Dans la forge de quelqu’un d’autre...
PETER. — C’est ma forge...
ATZA. — Je forgeais avec le ferretier de quelqu’un d’autre... sur l’enclume de quelqu’un d’autre... portant le tablier d’autrui...
PETER. — C’est mon tablier...
ATZA. Pleurniche. — J’étais dans la maison d’autrui...
PETER. — C’est ma maison... Il pleurniche.
ATZA. — Avec celle d’autrui... S’arrête, continue de pleurnicher.
PETER. Pleurniche. — Elle n’est pas à quelqu’un d’autre. C’est ma... femme... Change de ton, devient hargneux. Non... Non, je ne te casserai pas la gueule ! Je ne t’étranglerai pas non plus ! Je te tuerai tout simplement. Espèce de sale merde Serbe, je te couperai en morceaux et te transpercerai avec le tisonnier rouge ! Je t’arracherai la chair avec les tenailles pour gauchers ! Je te presserai la tête dans le foyer jusqu’à sentir le charbon sous ma main ! Je taperai lentement sur ta tête avec le ferretier ! Tu te payais ma femme pendant que moi, je risquais de me faire tuer sur le front russe. Tu étais avec la femme d’autrui qui se trouve être ma femme ? S’approche de lui. Que je ne te voie plus jamais de ton vivant, espèce de merde serbe ! Laisse-moi la regarder une fois de plus, cette sale gueule serbe tant qu’elle est reconnaissable ! L’observe. Lui parle en chuchotant. Ça y est, je sais qui elle me rappelle cette gueule. Sans lever le regard du visage d’Atza, il chiale. Dis-moi encore une chose... Espèce de sale gueule serbe répugnante... Comment se fait-il que tu ressembles à mon fils ?
ATZA. Tombe à genoux et lui baise les mains. — Répète ça encore une fois.
PETER. — Que veux-tu que je répète ?
ATZA. — À qui ma gueule te fait penser.
PETER. — C’est à toi, voyou serbe, de m’expliquer comment se fait-il que tu ressembles à mon fils ?
ATZA. — Est-ce vrai ? Dis-moi... c’est bien vrai ?
PETER. — Pourquoi un fils allemand aurait-il besoin d’une trogne serbe ? Pourquoi n’importe quel Allemand aurait besoin d’une gueule serbe ? Est-ce qu’on t’a gardé ici pour forger ou pour semer cette sale gueule ? Je te tuerai !
ATZA. — Maintenant, tu peux me tuer.
PETER. — Elle aussi, je la tuerai ! Ma Louisa ! Elle est descendante d’une grande race pure et aurait dû défendre son cul de boche, comme elle a toujours défendu sa chatte de race angora contre les matous de gouttière du village, et sa chienne Schnauzer contre les cabots du village ! On cherchait les meilleurs matous de race angora en Allemagne pour sa chatte et les meilleurs Schnauzer pour sa chienne, alors que pour mon fils, elle a accepté de s’accoupler avec toi ! Je tuerai cette putain de boche qui n’a pas protégé sa race mais a dû satisfaire son cul de boche avec toi pendant que je me faisais tuer au front !
ATZA. — Ce n’est pas une putain !
PETER. — C’en est une parce que c’est une fille d’Aryen, femme d’Aryen, parce que c’est une petite-fille, fille et femme d’un forgeron et parce qu’elle n’aimait que les forgerons !
ATZA. — Moi aussi, je suis forgeron !
PETER. — Et elle n’arrêtait pas d’affirmer que le père de son fils ne serait qu’un forgeron.
ATZA. — Je suis forgeron moi aussi !
PETER. — Et elle reste une putain !
ATZA. — Ce n’est pas vrai ! C’est une femme honnête !
PETER. — Comment est-ce que la femme d’un soldat allemand peut-elle coucher avec un prisonnier et rester une femme honnête ?
ATZA. — Parce que je suis forgeron !
PETER. — Est-ce parce que tu es forgeron que tu as le droit de coucher avec ma femme et qu’elle reste honnête malgré tout ? Est-ce qu’elle pouvait se permettre de coucher avec toi juste parce que tu es forgeron en se disant honnête ? Est-ce que n’importe quel forgeron peut tranquillement coucher avec ma femme et qu’elle reste honnête juste parce que l’individu est un forgeron ? Est-ce que tous les forgerons du monde peuvent venir chez moi, me faire des fils avec ma femme sans qu’il n’y ait rien de malhonnête là-dedans ? Est- ce que je peux m’en aller maintenant dans ton Banat et dire à ta femme : Madame, je suis forgeron, et que sur le champ elle lève les jambes en l’air ?
ATZA. — Elle ne les lèvera pas.
PETER. — Elle ne le fera pas parce que c’est une femme honnête de forgeron tandis que la mienne les a levées devant le premier forgeron venu parce qu’elle n’est pas honnête.
ATZA. — Si, elle l’est.
PETER. — Non, c’est une salope.
ATZA. — C’est une dame, pas une salope.
PETER. — C’est une salope !
ATZA. — Ce n’est pas une salope !
PETER. Attrape le ferretier. — Si je dis, dans ma forge, à propos de ma femme que c’est une salope... Frappe sur l’enclume. Alors c’est une salope !
ATZA. Attrape un deuxième ferretier. — Non ! Il frappe sur l’enclume.
PETER. Frappe sur l’enclume. — Si !
ATZA. — Si, moi qui ai fait un fils avec ta femme, je dis que ta femme n’est pas une salope... Frappe sur l’enclume. ...alors elle ne l’est pas !
Ils frappent à tour de rôle sur l’enclume.
PETE. — Si !
ATZA. — Elle ne l’est pas !
PETER. — Si, c’est une salope !
ATZA. — Ce n’est pas vrai !
Ne remarquent pas Louisa qui entre. Elle les regarde d’un air furieux.
LOUISA. — Pourquoi martelez-vous... espèces d’idiots ?
Peter et Atza se figent. Laissent tomber les ferretiers. Atza la regarde fixement. Les deux se mettent à soupirer.
PETER. Pleurniche. — C’est parce qu’il dit que tu n’es pas une salope.
LOUISA. — Que dis-tu là ? Pourquoi martelez-vous, toi et celui-là ?
PETER. — Parce que moi je dis... que toi, Louisa, t’es une salope... Lui, que tu ne l’es pas...
LOUISA. — Je suis quoi ?
Atza tombe à genoux devant Louisa, lui entoure les jambes de ses bras et les embrasse.
LOUISA. Essaie de se libérer de l’étreinte. — Arrête ça... À Peter. Qui dit que je suis une salope ?
ATZA. Répète tout bas lui embrassant toujours les jambes. — Louisa... Louisa... Louisa...
PETER. — Moi, Louisa...
LOUISA. — Et qui dit que je n’en suis pas une ?
Essaie toujours de se libérer de l’étreinte d’Atza.
PETER. — Lui, Louisa...
LOUISA. — Et qui est celui-là qui me sert les jambes comme dans un étau et les embrasse, qui n’arrête pas de répéter Louisa, Louisa, et qui dit que je ne suis pas une salope ?
PETER. — C’est lui, Louisa !
LOUISA. — Qui est-ce, Peter ? Et pourquoi est-il à genoux à mes pieds ?
PETER. — Parce que c’est lui !
LOUISA. — Et même si c’était je ne sais quel Lui, pourquoi amènes-tu à cette heure de la nuit de tels voyous et leur permets-tu d’enlacer mes jambes dans leurs bras en pleurnichant Louisa, Louisa ?
PETER. — Parce que c’est Lui !
LOUISA. — Cesse de répéter Lui ! Quel Lui ? Lui, qui ? Et pourquoi suis-je une salope pour toi ?
PETER. — Parce que c’est...
LOUISA. — Parce que c’est Lui ! Parce que c’est Lui... Parce que c’est Lui ne peut être une réponse à tout.
PETER. — Si !
LOUISA. — Explique-toi.
PETER. — Regarde sa gueule !
LOUISA. — Pourquoi regarderais-je la gueule d’un voyou ?
PETER. — Parce que c’est Lui. Regarde sa gueule !
LOUISA. — Comment pourrais-je regarder sa gueule quand je ne lui vois que la tignasse qu’il n’a pas lavée depuis trop longtemps.
PETER. — Lorsque tu verras sa gueule, tu comprendras pourquoi je pleure, et pourquoi lui aussi, il pleure... et pourquoi je te traite de salope, et lui, il prétend le contraire... et pourquoi je te répète que c’est lui...
LOUISA. — Peter, tu as perdu la tête ! Tu n’as jamais autant radoté ! Et débarrasse-moi de celui-ci avec sa gueule, même s’il dit que je ne suis pas une salope !
PETER. — Nous ne pouvons plus nous débarrasser de lui ! Il est venu chercher ce qui est à lui !
LOUISA. Se débat en essayant de libérer ses jambes. — Que tu sois fou ou pas, rien ici ne lui appartient !
PETER. — Sa gueule... Tu n’as pas vu sa gueule !
LOUISA. — Peu importe la gueule qu’il a, ici rien ne lui appartient. Par conséquent, il ne prendra rien non plus. Même s’il ressemblait à Dieu le Père.
PETER. — Tu changeras le discours dès que tu verras sa gueule !
LOUISA. Furieuse, elle essaie de se débarrasser. — Peu importe sa gueule, laisse-moi, une fois pour toutes arranger la tienne, puisse-t-il être cent fois Lui !
Peter tombe à genoux et, à son tour, enlace les jambes de Louisa dans ses bras.
PETER. — Louisa, Pourquoi est-ce que je n’ai pas sa gueule ?
LOUISA. — Pourquoi voudrais-tu avoir sa tronche ? En as-tu marre de ta sale gueule de forgeron ?
PETER. — Aimes-tu ma gueule ? Il larmoie. Louisa ?
LOUISA. — Je l’aime ! Bien sûr que je l’aime ! Je vis depuis des lustres avec ta gueule, comment pourrais-je ne pas l’aimer ?
PETER. — Alors pourquoi préfères-tu la sienne ?
LOUISA. — Peter ! Je vous emmerde tous les deux. Tu veux que je pète un câble, et que je vous casse la gueule à toi et à celui-ci avec sa tronche-là !? Je ne sais pas à quoi ressemble sa gueule. Je ne sais ni comment elle est ni si elle est grande ou petite ! Alors, si je la préfère à la tienne, ça, vraiment, comment pourrais-je le savoir ?
PETER. — Alors, pourquoi la lui préfères-tu à la mienne ?
LOUISA. — Et quand est-ce que j’ai dit que je préférais une autre gueule à la tienne ?
PETER. — Alors, pourquoi la préfères-tu ?
LOUISA. — Ta foutue gueule, j’ai rien à foutre de toutes les gueules du monde. Il n’existe pour moi qu’une seule gueule ! La tienne ! Je n’avais rien à foutre des autres gueules !
PETER. — Alors, Louisa... Pourquoi notre fils...
LOUISA. — Ne mêle pas notre fils à cette foutue histoire de gueule !
PETER. — Louisa... Pleurniche. Ai-je, moi, sa gueule ?
LOUISA. — Que dis-tu là ?
PETER. — Ai-je la gueule de notre fils ?
LOUISA. — Peter ! T’es le dernier des péteux ! Un sale fumier de forgeron ! Qu’est-ce que c’est que toutes ces questions ?
PETER. — J’ai sa tête ?
LOUISA. — Tout d’abord, notre fils n’a pas une gueule ! Toi, tu as une gueule ! Celui-ci a une gueule ! Et, moi-même, je pourrais avoir une gueule, mais pas notre fils. Et, deuxio, oui, tu l’as.
PETER. — Donc, nous nous ressemblons ?
LOUISA. — Et pourquoi vous ne vous ressembleriez pas ?
PETER. — Avons-nous les mêmes yeux ?
LOUISA. — J’en sais rien...
PETER. — Les avons-nous pareils ?
LOUISA. — Pas tout à fait...
PETER. — Avons-nous le même nez ? Les sourcils ? Les oreilles ?
LOUISA. — Mais... non...
PETER. — Les cheveux ? Les dents ? Le cou ? Le menton ?
LOUISA. — Non...
PETER. — Les mains ? Les jambes ? Le corps ?
LOUISA. — Non plus !
PETER. — Nous ne nous ressemblons donc pas ?
LOUISA. — Vous ne vous ressemblez pas ! Et basta !
PETER. — J’arrêterai ! De suite ! Juste une question... Ai-je donc la gueule de notre fils ?
LOUISA. — Non ! Arrête maintenant !
PETER. — Et pourquoi n’ai-je pas la gueule de notre fils ?
LOUISA. — Ta mère devrait se faire enculer trois fois par jour, matin, midi et soir pour que tu puisse revenir à la raison. Et pourquoi devrais-tu à tout prix avoir la gueule de notre fils ? Pourquoi ?
PETER. — Dans ce cas, pourquoi celui-ci... Pleurniche. Pourquoi c’est lui qui a la gueule de notre fils ?
LOUISA. — Celui-ci ? Et pourquoi ce voyou aurait-il la gueule de notre fils ?
PETER. — C’est exactement la question que je te pose.
Pourquoi lui il l’a et pas moi?
LOUISA. — Pourquoi aurait-il la gueule de notre fils et pas toi ?
PETER. — Je viens de te poser la même question !
LOUISA. — Non, Peter ! Personne n’a la gueule de notre fils !
PETER. — Il l’a, Louisa... Regarde sa gueule !
LOUISA. — Eh, bien, je la regarderai ! Bien sûr que je la regarderai.
PETER. — Vas-y, regarde-la.
LOUISA. — Laisse-moi voir ça. Observe Atza. Que je voie cette gueule... À Atza. Montre-moi ta gueule !
PETER. À Atza. — Vas-y... Montre ta sale gueule, que ma femme la voie aussi ! Et sache que ma Louisa pourrait faire tourner la tête à un cheval !
LOUISA. Attrape Atza par les cheveux. — Il la montrera ! Vas-y, montre ta gueule...
Atza lève la tête.
PETER. — Voilà la gueule !
Louisa lâche les cheveux et observe longuement Atza.
LOUISA. chuchote — Peter...
PETER. — Qu’est-ce qu’il y a ?
LOUISA. — Mais, ça... C’est sa gueule !
PETER. — C’est ce que je dis.
LOUISA. — Peter... C’est bien Lui !
PETER. — Oui...
LOUISA. — Mais... C’est impossible ! Que fait-il là ?
PETER. — J’en sais rien ! Il est venu...
LOUISA. — Comment ça... Venu ?
PETER. — Comme ça : venu...
LOUISA. — Peter... Et, toi, comment sais-tu que c’est Lui ?
PETER. — Comme ça, je le sais...
LOUISA. — Comment ? Tu le sais... Comme ça ?
PETER. — Écoute, je ne suis pas de la dernière pluie ! Je vois un inconnu et pourtant sa gueule me rappelle quelqu’un ! Je reconnais la gueule et je devine... Qui d’autre que lui pourrait avoir la gueule de notre fils ?
LOUISA. — C’est pour ça qu’il enlaçait mes jambes de ses mains et répétait : Louisa, Louisa... Peter... Si c’est bien lui et... puisqu’il est déjà ici... Pourquoi ne se lève-t-il pas ?
PETER. — Lève-toi ! Quelle sorte de forgeron es-tu ? Tu ne fais que chialer et te traîner par terre !
ATZA. — D’accord... Je me lève...
Atza se lève. Louisa l’observe, son visage est juste en face de celui d’Atza.
LOUISA. — C’est vrai, Peter ! C’est bien lui. Il a pris de l’âge, il est un peu plus rondelet... Mais c’est sa gueule...
ATZA. Soupire. — Madame Louisa...
LOUISA. — Pourquoi il a du mal à parler ?
PETER. — Aucune idée !
LOUISA. — Et il pleure constamment.
PETER. — C’est parce que c’est un trou du cul Serbe pleurnicheur ! C’est pour ça qu’il a une telle gueule.
LOUISA. — Peter...
PETER. — Qu’y a-t-il encore, Louisa ?
LOUISA Soupire. — Je crois que je finirai par pleurer aussi...
PETER. — Ne pleure pas.
LOUISA. — Mais je ne pleure jamais ! Qui a encore vu la Louisa pleurer ?
PETER. — Pleure maintenant. Il n’y a personne pour te voir, rien que moi et celui-là avec sa gueule !
LOUISA. — Et si notre témoin de mariage arrivait ? Ou ton oncle, ce casse-pieds ?
Peter prête l’oreille à ce qui se passe dans les coulisses.
PETER. — Ils ne vont pas arriver...
LOUISA. — D’accord... Soupire. Dans ce cas, je pleurerai...
PETER. — Pleure...
LOUISA. Pleurniche. — Je pleure... Voilà, je pleure... Louisa pleure... Peter ?
PETER. — Qu’y a-t-il encore, Louisa ?
LOUISA. — Pourquoi suis-je en train de pleurer ?
PETER. — Parce que toi aussi tu n’es qu’un trou du cul de boche pleurnicheur... C’est pour ça que tu pleures...
LOUISA. — Peter... Je devrais maintenant... lui donner l’accolade...
PETER. — Pourquoi devrais-tu le faire ?
LOUISA. — Comment pourquoi ? Mais c’est parce que c’est lui...
PETER. — Alors, donne-la-lui !
LOUISA. — Je la lui donnerai... Elle prend Atza dans ses bras. Ils pleurent tous les deux ainsi enlacés dans les bras l’un de l’autre. Voilà, je pleure... Et lui, il pleure... Se tourne vers Peter. Nous pleurons tous, Peter, sauf toi... Pourquoi ne pleures-tu pas aussi, Peter ?
PETER. — Pourquoi pleurerais-je avec vous ? Pourquoi pleurerais-je avec quelqu’un que je n’ai jamais vu jusqu’à présent mais qui a cependant baisé mon unique et plus chère femme ? Et pourquoi pleurerais-je avec toi, mon unique et plus chère femme, qui m’as trompé pendant que je me faisais tuer au front ? Et si je dois pleurer, je le ferai seul, pour que personne, hormis Dieu, ne me voie malheureux sur mes vieux jours.
LOUISA. — Lui-même il pleure car il est malheureux, et moi aussi, je pleure parce que je suis malheureuse. Toi aussi, tu pleures parce que tu es malheureux.
PETER. — C’est vous-mêmes qui m’avez rendu malheureux. Donc je pleure. Si pendant ces tristes temps, vous n’aviez pas cherché le bonheur dans ces choses qui m’ont rendu malheureux, je serais heureux en ce moment et je pleurerais avec vous. Ainsi, je ne veux pleurer ni avec toi ni avec celui- là et sa sale gueule.
LOUISA. — Pourquoi refuses-tu de nous aider lorsque nous sommes malheureux, Peter ? Pourquoi tu n’arrêtes pas de répéter la même chose : la gueule, et encore la gueule ? Qu’est-ce qui te met tellement en colère contre sa gueule ? À Atza. Pourquoi ta gueule ne lui revient pas ?
ATZA. Pleurniche. — Il ne l’aime pas parce qu’elle est à moi... Si ma gueule était la sienne... il l’a trouverait à son goût...
PETER. — Justement...
ATZA. — Si ma gueule était restée dans ma forge, elle ne t’aurait pas déplu...
PETER. — C’est vrai...
ATZA. — C’est ici que ma gueule le dérange... Dans sa forge... Je n’aurais pas dû y arriver attifé de ma gueule... mais je n’en ai pas d’autre... Rien que celle-ci.
LOUISA. À Atza. — Toi, avec ta tronche... À Peter. Et toi, sans cette tronche... Ne faites plus la gueule !
PETER. — Comment arrêter d’en parler ? Si sa gueule m’appartenait et qu’il avait la mienne... sa gueule serait une gueule tout à fait ordinaire... Et, en ce moment, nous serions tous en train de nous donner l’accolade...
LOUISA. — On se la donne en ce moment !
PETER. — Vous vous la donnez, pas moi !
LOUISA. — Alors, rejoins-nous... Et qu’on se la donne tous les trois ensemble !
PETER. — Pleurer avec vous ? Vous donner des accolades ? Louisa ! Mon unique et plus chère femme ! Que me demandes-tu là ? Que je vous prenne dans mes bras, toi et celui-là, en l’honneur de celui qui est venu ici et m’a fait un fils ! Et si quelqu’un venait de l’autre pièce et qu’il nous voyait entrelacés ! Que vais-je dire à notre témoin du mariage à qui je donne l’accolade ? Et que dire à mon oncle ? Que dire à notre fils s’il arrivait par hasard ? Ton papa donne une accolade à ton père car ton papa n’était pas à la maison quand il devait devenir ton père ?
LOUISA. — Et tu es tellement malheureux !
PETER. — Oui ! Personne ne serait heureux de trouver chez lui quelqu’un ayant la gueule de son fils !
LOUISA. — Peter, viens ! Que ta Louisa te serre dans ses bras !
Peter prend Louisa dans ses bras. Il sanglote.
PETER. — Louisa... Je ne suis pas un homme... Je suis le dernier des cons. Au lieu de le tuer comme chaque honnête homme l’aurait fait, moi j’accepte vos accolades...
LOUISA. — Qui veux-tu tuer ?
ATZA. S’éloigne. — Moi... Depuis que je suis arrivé... il n’arrête pas de me tuer... de m’étrangler... et de me casser la gueule...
LOUISA. S’éloigne de Peter. Le regarde. — Tu ne serais pas capable de tuer quelqu’un... ayant le visage de ton fils...
PETER. — C’est vrai... Je n’en serais pas capable... J’ai essayé et je n’y arrive pas... Prend Louisa dans ses bras et l’embrasse. Louisa ! Tu viens de dire : De TON fils !
LOUISA. — Exactement ! De ton fils !
PETER. — Il est quand même mon fils, Louisa ?
LOUISA. — C’est ton fils !
PETER. S’éloigne. — Mon fils ! Mon fils est mon fils !
LOUISA. — Et ton fils restera à jamais ton fils !
PETER. — Louisa... Si mon fils est... mon fils... Lui c’est qui alors ?
LOUISA. — C’est le père de ton fils !
PETER. — Le père de mon fils ? Mais, bien sûr... Tu as bien dit... Attends un peu, Louisa ! Comment mon fils est mon fils, si celui-ci est son père ?
LOUISA. — Ton fils est ton fils bien que celui-ci soit son père, parce que la vie l’a voulu ainsi ! Si la vie avait voulu le contraire, ça aurait été le contraire ! Dans ce cas-là, son fils aurait été ton fils et il aurait détesté ta gueule !
PETER. — Mais je ne suis pas le père de son fils et ce n’est pas lui qui hait ma gueule, mais moi la sienne ! Et puis, je n’ai pas envie d’être le père de son fils, mais du mien uniquement !
LOUISA. — Si la vie avait voulu que tu sois le père de son fils, tu l’aurais été.
PETER. — Mais ce n’est pas le cas.
PETER. — Non...
LOUISA. — Doucement, Peter ! Si tu n’étais pas revenu du front et si lui, il ne s’était pas trouvé là, aurais-tu eu un fils ?
LOUISA. — Alors, est-ce que ta maison et ta forge auraient eu un héritier ?
PETER. — Non...
LOUISA. — Et si tu n’avais pas été au front... Si tu étais resté à la maison... Est-ce qu’il aurait été le père de ton fils ?
PETER. — Lui ? Bien sûr que non !
LOUISA. — Tu vois...
PETER. — Et si j’étais tombé au front... Et s’il ne s’était pas trouvé ici... Je n’aurais pas eu mon fils...
LOUISA. — Non.
PETER. — Vu que je n’y ai pas laissé ma peau, mais que je suis revenu chez nous... maintenant, j’ai un fils... et notre fils a deux pères !
LOUISA. — C’est bien ça.
ATZA. Soupire. — Et si je n’étais pas revenu et si tu avais été tué au front... Notre fils n’aurait eu aucun père...
PETER. — Louisa ! Pourquoi dit-il : notre fils ?
ATZA. — C’est pour ça que je devais revenir... C’est mieux que notre fils ait deux pères que de n’en avoir aucun...
LOUISA. — Exact.
PETER. À Atza. — Qu’est-ce que tu racontes là — notre — fils ? Mon fils est — mon — fils. Il n’est qu’à moi ! Et — notre — fils, c’est quand il s’agit de Louisa et moi ! Ça ne peut pas être — notre — fils quand il s’agit de toi et de moi !
ATZA. — Comment devrais-je alors appeler notre fils ?
PETER. — Je vais tout de même finir par tuer quelqu’un ici ! J’ai encaissé tout ce qu’un homme peut bien encaisser ! Que tu martèles dans ma forge, avec mon ferretier, sur mon enclume, portant mon tablier de forgeron... Et qu’avec ma femme, dans mon lit, tu aies fait mon fils, mais je ne permets pas à ce que tu l’appelles — notre — fils ! Tu as profité de ma forge, de mon ferretier, de mon enclume, de mon tablier, de mon charbon, de ma femme... Mais je te défends de profiter de mon fils aussi.
LOUISA. — Baisse la voix, Peter !
PETER. — Non, je refuse ! Il a deux fils, ou, dans le pire des cas, un fils et demi, et moi je n’ai que la moitié d’un fils — au cas où il se montrerait généreux ! Je mourais au front, et maintenant, je n’ai que la moitié d’un fils, ou, peut-être que je n’ai même pas la moitié, et lui ici, pendant ce temps-là, pendant quatre ans, se faisait gratter les couilles par toi, et maintenant il a deux fils, ou au moins un et demi ! Eh bien, je ne le permets pas !
LOUISA. Furieusement. — Qu’est-ce que j’ai fait ici pendant quatre ans ?
PETER. — C’est ce que j’aimerais savoir !
ATZA. — Laissez, Madame...
PETER. — Vas-tu arrêter de m’offenser avec ces : « Madame », et encore « madame » !
LOUISA. — Depuis quand c’est vexant de s’adresser avec des « Madame » à la femme de quelqu’un ?
PETER. — Si, moi, je m’étais fait gratter les couilles par sa femme pendant quatre ans, dans sa propre maison, je me serai senti gêné de m’adresser à sa femme en sa présence avec « Madame » ! Et, cet individu qui dans ma maison, pendant quatre ans se tapait ton cul de boche, t’appelle en ma présence en ce moment précis « Madame»!
LOUISA. — Personne ici ne s’est tapé pendant quatre ans mon cul de boche, et encore moins celui-ci !
ATZA. — Et, dites-lui que je suis forgeron...
PETER. — Louisa ! Attends un peu! Si lui, il ne se tapait pas régulièrement, ou au moins de temps à autre, ton cul de boche, alors il n’est pas le père de notre fils !
ATZA. — Et dites-lui que je suis forgeron !
PETER. — Au diable, moi aussi je suis forgeron, mais je sais que quelque chose cloche ! Ou bien lui, il ne se tapait pas régulièrement ton cul de boche, ou parfois, pendant que je me faisais tuer au front, et il n’est pas le père de notre fils, ou alors il se tapait régulièrement ou irrégulièrement ton cul de boche, auquel cas c’est le père de notre fils ! Il n’existe pas de troisième possibilité ! Je veux tout, et de suite, mettre au clair avant que je ne me mette à vous arracher la peau avec les tenailles rouillées de gaucher ! Je veux comprendre qui a baisé qui et qui représente quoi pour l’autre.
LOUISA. — Veux-tu arrêter un instant, Peter !
PETER. — Pourquoi à nouveau : Veux-tu arrêter un instant, Peter ? Je ne veux plus entendre : Arrête un instant ! Je veux comprendre de suite si le cul de ma femme est à moi, à toi ou à nous ? Je veux savoir si mon fils est mon fils, ton fils, son fils ou notre fils ! Je tiens à ce que tout soit mis au clair ! Qu’on comprenne tout !
LOUISA. — Tout est absolument clair ! Es-tu forgeron ?
PETER. — Je le suis ! Et celui-ci est forgeron aussi ! Et il n’est le père de mon fils que parce qu’il est forgeron ! Et ma femme lui a offert son cul non pas parce qu’elle avait absolument envie de le lui offrir, mais parce qu’il est forgeron ! Et celui-ci a fait mon fils avec ma femme, non pas parce qu’il avait envie de me faire un fils avec ma femme, mais seulement parce qu’il est forgeron ! Et ma femme a fait mon fils avec cet individu, non pas parce qu’elle voulait faire mon fils avec lui, mais uniquement parce qu’il est forgeron ! Et moi, je suis censé accepter cela tout bonnement, non pas pour ce que c’est, mais uniquement parce que je suis forgeron !
LOUISA. — Et moi, que suis-je ? Ne suis-je pas femme de forgeron ? Ne suis-je pas fille de forgeron et petite-fille de forgeron ? Ai-je fait venir du camp n’importe quel prisonnier, ou un forgeron ? Si mon cul de boche avait choisi, pour être assouvi régulièrement ou irrégulièrement, il aurait choisi le plus fort des prisonniers. Si j’avais voulu gratter les couilles à quelqu’un pendant quatre ans, j’aurais choisi celui doté des plus grosses. Mais je l’ai choisi en tant que petite-fille de forgeron, fille de forgeron et femme de forgeron. Et lorsque je n’avais plus de tes nouvelles, lorsqu’on ne savait plus si tu étais encore en vie ou pas, et que je devais mettre au monde dans cette forge un nouveau forgeron, lequel allait forger avec ce ferretier, sur cette enclume, portant ce tablier, avec qui pouvais-je le concevoir ?
PETER. — Avec un forgeron.
LOUISA. — À l’aide de qui pouvais-je devenir mère de forgeron, puisque je suis déjà femme, fille et petite-fille de forgeron ?
PETER. — D’un forgeron, bien entendu.
LOUISA. — Et, vois-tu, je te le dirai une dernière fois : ta Louisa n’est pas une salope ! Ta Louisa ne se faisait pas tripoter son cul de boche pendant que tu te trouvais au front, ni régulièrement ni irrégulièrement, et n’a aidé personne à se gratter les couilles ! Ta Louisa n’est qu’une seule chose : Mère ! Mère de forgeron. Je suis Mère, Peter ! La nature s’en moque, Peter, avec qui Louisa va concevoir. Pas que moi. Toutes les Louisa du monde, chaque femme, sans aucune différence. La nature n’exige qu’une chose, que nous laissions des descendants, comme la forge ne demande qu’un nouveau forgeron. Tu as un fils, la forge a un forgeron, la nature a ce que nous lui devons, et cela n’a aucune importance comment on y est parvenu.
PETER. — Louisa, penses-tu que je suis si bête rien que pour avoir bu un verre et parce que je suis forgeron ? Si la nature n’accorde aucune importance avec quel canard la cane a conçu les canetons, ou bien quel coq monte quelle poule, moi, au contraire, je tiens à savoir qui monte ma femme, avec quel coq elle me fait des petits. Voilà pourquoi je vais démolir quelqu’un !
LOUISA. — Mais, ça ne va pas ? Pendant vingt, trente ans, tu étais un homme heureux parce que tu possédais ta forge, tu avais une femme et un fils, et tout allait pour le mieux au monde, et maintenant tu voudrais démolir quelqu’un?
PETER. — J’étais heureux pendant vingt, trente ans parce que je possédais ma forge, j’avais ma femme et mon fils, et me voilà maintenant malheureux parce que je sais que la forge était à moi, que ma femme n’était pas seulement la mienne, et que mon fils n’est pas du tout mon fils ! Quel homme supporterait une telle situation ?
LOUISA. — Ta forge a un héritier, tu as un fils, et ton fils a un fils ! Que demandes-tu de plus à la vie ?
ATZA. — Madame Louisa ! Pleurniche. Est-ce que j’ai un petit-fils ? Suis-je grand-père ?
PETER. — Ç’en est trop ! Je me retenais jusqu’à présent, mais cette fois c’est fini ! Mais que veux-tu, enfin ? Tu veux tout me prendre ? Toute ma vie, tout ce que j’ai, tout ce qui est à moi ? Jusqu’à présent, tu t’appropriais mon fils, et maintenant tu veux t’approprier mon petit-fils aussi ! C’est non ! À Louisa. Si la situation est ce qu’elle est, il peut être le père de mon fils et le grand-père de mon petit-fils, mais je n’accepte pas que mon fils soit son fils et mon petit-fils son petit-fils ! Je n’accepte pas non plus que ma bru soit sa bru. Vu que ces derniers vingt, trente ans, mon fils n’était pas son fils, et si pendant ces quelques dernières années mon petit- fils n’était pas son petit-fils, là rien ne changera maintenant ! S’il était venu avant, si moi, je m’étais habitué à l’idée que mon fils n’est pas mon fils, là j’aurais pu accepter que mon petit-fils n’est pas mon petit-fils, mais dans ces conditions, je n’en suis pas capable. Pourquoi ne s’est-il pas présenté avant ?
LOUISA. — Peter ! Pourquoi ne s’est-il pas présenté avant ?
PETER. — Tu me le demandes à moi ? Pourquoi tu ne le demandes pas à celui-ci avec sa gueule ? Atza pleurniche. Parce qu’avant, j’étais jeune et fort et que je lui aurais cassé la gueule dès que je l’aurais reconnu ! Et parce que, pendant vingt, trente ans, il voulait que j’aie ma vie tranquille, ma forge, ma femme, mon fils et mon petit-fils, pour venir ensuite me montrer que mon petit-fils n’est pas à moi, mon fils non plus, et que ma femme n’est pas seulement à moi ! C’est à l’enfant d’un autre que je disais mon fils, c’est l’enfant d’un autre que j’ai vu soldat, c’est à l’enfant d’un autre que pendant vingt, trente ans j’ai acheté des vêtements et des chaussures et je disais à l’enfant de cet enfant : Tu es mon petit-fils ! Tu es ma joie ! C’est à l’enfant d’un autre que j’ai essuyé le derrière, c’est à cause de l’enfant d’un autre que je battais tous ceux dans le voisinage qui lui donnaient des chiquenaudes, c’est pour que l’enfant d’un autre obtienne de bonnes notes que j’ai emporté la dinde à la maîtresse ! C’est à l’enfant d’un autre que je déboutonnais la braguette, c’est à l’enfant d’un autre que je sortais le zizi en lui disant : Vas-y mon petit, fais pipi !
LOUISA. — Peter !
PETER. À Atza. — Sale merde de Serbe, pourquoi ne t’es-tu pas présenté avant ? Pourquoi as-tu foutu ma vie en l’air ? Pourquoi aurais-tu deux fils, ou au moins un fils et demi, tandis que moi, je n’en ai qu’une moitié ou même pas ? Pourquoi ?
Atza pleure à chaudes larmes.
PETER. — Et pourquoi pleurniches-tu encore ?
ATZA. — Parce que... parce que, moi, je n’ai aucun fils.
PETER. — Mais qu’est-ce que tu racontes là ? Mon fils est ton fils...
ATZA. — Ton fils est mon fils, parce que je suis son père, mais il est quand même... ton fils... toi et Madame Louisa, vous pouvez me considérer le père de votre fils, mais lui, c’est toi qu’il considère comme son père...
PETER. — Comment se fait-il que maintenant je sois son père ?
ATZA. — C’est toi qui l’as porté dans tes bras, qui lui as essuyé le derrière, l’as conduit pour faire pipi... C’est toi qu’il appelle papa depuis vingt, trente ans...
PETER. — Et ton fils, celui dont tu es le père ?
ATZA. Pleure à chaudes larmes. — Ce fils... qui me considère comme son père... n’est pas mon fils...
LOUISA. — Comment ce n’est pas ton fils ?
ATZA. — C’est la vérité... Il ne l’est pas...
PETER. — Et pourquoi ton fils n’est pas ton fils ?
ATZA. — Parce que... je ne suis pas son père...
LOUISA. — Comment tu n’es pas son père ?
ATZA. — C’est comme ça...
PETER. — Attends un peu ! Cela signifie... Compatissant. Laisse-moi te donner l’accolade ! Personne ne peut te comprendre aussi bien que moi ! Cela signifie que tu n’es pas le père de ton fils car tu n’es pas son géniteur !
ATZA. — C’est exactement ça.
PETER. — Et ton fils qui n’est pas ton fils a lui-même un fils ?
ATZA. — Exact.
PETER. — Et tu n’es pas le grand-père de ton petit-fils parce que son père n’est pas ton fils !
ATZA. — J’ai tant bien que mal survécu au fait que mon fils ne soit pas mon fils, mais que mon petit-fils ne soit pas mon petit-fils, je ne puis pas l’accepter. Et que ma bru ne soit pas ma bru...
PETER. — Et c’est à l’enfant d’un autre que tu as déboutonné la braguette en lui sortant son zizi en lui disant : Fais pipi, mon petit ange ?
ATZA. — Oui, et je le portais dans mes bras en lui faisant des câlins.
LOUISA. — Et depuis quand ton fils n’est pas ton fils ?
ATZA. — Depuis peu de temps.
PETER. — Et pourquoi as-tu décidé de venir ?
ATZA. — Parce que...
PETER. — Quand tu as vu que ton fils n’était pas ton fils, tu t’es amené ici pour voir si mon fils ne serait pas le tien ?
ATZA. — Oui...
PETER. — Espèce de canaille serbe ! Tu n’es pas un homme mais une merde ! Si ton fils n’avait pas cessé d’être ton fils, tu ne serais jamais venu ici voir si tu en as un ?
LOUISA. — On en parlera après, Peter ! Ce qui est important en ce moment, c’est de savoir quand les voyous lui ont fait un fils.
ATZA. — À la fin de la guerre, quand on ne savait plus chez moi si j’étais ou pas en vie, si j’allais ou pas rentrer à la forge...
PETER. — Et quel porc t’a fait un fils pendant qu’ici, tu m’en faisais un aussi ?
ATZA. — Russe...
LOUISA. — Russe, quoi ?
ATZA. — Un porc russe !
LOUISA. — Tu as permis qu’une espèce de sale Russe te fasse un fils ? Un Russe ?
PETER. — Louisa ! Que racontes-tu ? Il ne pouvait pas choisir qui allait lui faire un fils ; pis encore, il ne pouvait même pas permettre ou défendre à quelqu’un de lui en faire un !
LOUISA. — Quand même, un Russe ? J’espère qu’il n’est pas communiste par-dessus le marché.
ATZA. — Si !
LOUISA. — Je peux tout comprendre, mais un Russe — ça, pas du tout ! On ne peut pas justifier cela même dans ces conditions ! S’accoupler avec eux, il n’y a vraiment rien de plus bas !
PETER. — Ne parle pas comme ça, Louisa ! Les Russes sont des humains aussi !
LOUISA. — Les Russes sont des Russes, pas des humains ! Es-tu vraiment sûr que c’est un Russe ?
ATZA. — Un vrai Russe... de l’armée de la libération.
LOUISA. — Mais c’est ça ! Un con de Russe ! Pendant que tu pourrissais ici dans le camp, les Russes faisaient semblant de te libérer et te faisaient des enfants ! Et tu dois être heureux parce qu’ils t’ont libéré et qu’ils t’ont fait des enfants !
ATZA. — Il libérait mon village et il forgeait dans ma forge, avec mon ferretier, sur mon enclume, portant mon tablier de forgeron... et, avec ma femme... dans mon lit... il me faisait un fils...
PETER. — Et ton Russe...?
ATZA. — Ça va pas, comment ça — mon — Russe ?
PETER. — Est-il forgeron aussi ?
ATZA. — Oui, forgeron. Et comme je suis venu dans votre forge, chez Monsieur Peter, avec cette gueule qui lui était connue, même s’il ne l’avait jamais vue auparavant... Il est venu dans ma forge, avec une gueule qui m’était connue... Même si nous ne nous étions jamais rencontrés... J’ai reconnu sa gueule et je savais que c’était lui... Et au lieu de le tuer, comme il se devait, nous nous donnions l’accolade car j’étais incapable de tuer quelqu’un ayant la gueule de mon fils... Et ainsi, j’ai fini par avoir un fils russe... Jusqu’à présent, j’avais un fils serbe... Et me voilà maintenant avec un fils russe... Je suis brun et ma femme aussi... Tandis que mon fils est blond, comme un Russe... Et moi, pendant vingt, trente ans, je ne me rendais compte de rien...
PETER. — Exactement ! Je suis blond avec des taches de rousseur, ma femme est blonde avec des taches de rousseur, et mon fils, brun sans taches de rousseur... Et je ne l’ai pas remarqué jusqu’à présent ! Et, pendant ces vingt, trente ans, je ne me suis jamais posé la question ! Comment se fait-il que je sois blond avec des taches de rousseur, que ma femme soit blonde avec des taches de rousseur... et mon fils brun sans taches de rousseur ?
ATZA. — Moi non plus... Je ne me suis jamais posé la question... Comment est-il possible que je sois brun, ma femme brune et mon fils blond. C’était mon fils... Peu importait qu’il fût blond ou brun... jaune ou rouge... Pleurniche. Moi, petit et gros, ma femme petite et grosse... et mon fils, svelte. Grand... Et je ne l’ai jamais remarqué auparavant. J’ai les cheveux lisses avec une raie au milieu, lui il les a frisés et sans raie. J’ai les yeux noirs, ma femme aussi... lui, il les a bleus... Et je ne me suis jamais demandé pourquoi.
PETER. — Moi, je suis grand, fort, ma femme forte et grande ; mon fils trapu et plus petit d’une tête... Et, je ne m’en rendais même pas compte ! Je suis gaucher, lui, il est droitier ; j’ai les yeux clairs comme ma Louisa, lui, il les a foncés... Et je n’ai même pas remarqué cela !
LOUISA. — Et alors, ça veut dire quoi que tu sois brun comme ta femme et ton fils blond ? Ce n’est pas une preuve que ton fils n’est pas ton fils !
PETER. — Louisa ! Le fait que nous soyons blonds tous les deux et notre fils brun n’aurait pas été une preuve pour moi que mon fils n’est pas mon fils si je n’avais pas vu celui-ci ! Lui aussi, il a vu la gueule du Russe, comme j’ai vu la sienne, et tout de suite tout est devenu clair pour lui comme pour moi !
ATZA. — Madame Louisa, je n’ai pas vu un Russe quelconque dans ma forge ! J’y ai vu mon fils ! Mon fils qui avait soudainement pris de l’âge et qui est malheureux !
LOUISA. — Je ne vois pas pourquoi un quelconque Russe serait malheureux !
ATZA. — Il est venu de loin... rien que pour voir si, chez moi, dans le Banat, dans ma forge, il n’aurait pas par hasard un fils... S’il ne l’a pas là-bas quelque part, dans un patelin quelconque... entre une certaine ville Soro..Ki et un endroit, dont j’ignore le nom, sur le fleuve Dnie...
PETER. Reprenant puis enchainant machinalement — Dniestre !
ATZA. — Dniestre !
LOUISA. — Comment se fait-il que tu connaisses ce Dniestre ?
PETER. — Oh... J’avais une carte lorsque je faisais la guerre en Russie... À Atza. Et ton fils, est-il... Russe... Si ce n’est pas son fils... et s’il n’est pas Russe non plus ?
ATZA. — Boche.
LOUISA. — Putain de Russe !
PETER. — Qui est putain de Russe ?
LOUISA. — La femme de ce forgeron russe !
PETER. — Pourquoi serait-elle putain ?
LOUISA. — Parce qu’elle a fait un fils à son mari avec un
soldat ennemi ! C’est une pute !
PETER. — Ce n’est pas une pute ! Et ce boche... qui est le père du fils de ton Russe... qu’est-ce qu’il est... à part d’être boche?
ATZA. — Forgeron.
LOUISA. — Il n’y a qu’une pute de Russe prête à coucher avec un soldat ennemi... Peu importe qu’il soit forgeron !
PETER. — Elle n’a pas couché avec un soldat ennemi, boche, mais avec un forgeron... Du coup, ce n’est pas une pute !
LOUISA. — Ce forgeron est un Allemand et, elle, est une putain !
PETER. — Ma femme m’a fait un fils avec un soldat d’une armée vaincue, et elle n’est pas putain car ce soldat du camp de prisonniers était — un forgeron ! Sa femme lui a fait un fils avec un soldat d’une armée libératrice, et ce n’est pas une pute, car c’est un libérateur et — un forgeron ! Et la Russe, qui a fait un fils à son Russe avec un soldat de l’armée d’occupation, est une traînée, même si le soldat de cette armée d’occupation est un forgeron ! Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette histoire.
LOUISA. — Donc, je suis une putain ?
ATZA. — Madame Louisa... Pour ce Russe, elle était une pute... car elle n’était pas seulement la femme d’un forgeron... mais aussi la femme d’un soldat russe... et, par- dessus le marché, membre du Parti... et trésorier de l’organisation du Parti du Kosmokolk... et elle a donné au soldat russe un enfant conçu avec un soldat allemand... et c’est pour tout cela que son mari la prend pour une pute... et, pour lui, pour le même Russe, ma femme n’était pas une traînée... vu que la sienne a offert son cul à un soldat ennemi, tandis que la mienne l’a offert à un soldat ami... car les Russes n’ont jamais été nos ennemis... Quant à moi, cela m’est égal si elle se fait baiser par un soldat ami ou ennemi... C’est-à-dire, cela ne m’est pas égal... Je ne supporte pas qu’elle se fasse baiser par un ami ou par un ennemi ! Pour moi, c’est encore pire si c’est un ami qui la baise ! Mais que le père de mon fils soit un ami ou un ennemi, cela m’est égal... C’est-à-dire, cela ne m’est pas égal ! C’est parce que moi, je devrais être le père de mon fils et non pas un ami ou un ennemi... car celui qui baise ma femme est mon ennemi, fût-il mon ami ou mon ennemi... Et, par conséquent, celui qui ne me la baise pas est mon ami, fût-il mon ami ou mon ennemi !
LOUISA. — Celui qui t’a fait un fils est ton ami, peu importe s’il est ton ami ou ton ennemi ! Même si, pour être tout à fait franc, dans ce cas-ci, ton ennemi, qui te fait un fils peut être considéré comme un plus grand ami que ton ami qui te fait un fils, vu que ce dernier représente ce qui t’est le plus cher ! Car, si dans certaines circonstances, ni ton ami ni ton ennemi ne t’avaient pas fait un fils alors qu’il leur était possible de le faire et que tu fus resté sans enfant, tu te fâcherais maintenant plutôt contre ton ami que contre ton ennemi, car tu serais resté sans héritier. Naturellement, si l’un est en mesure de créer seul son propre fils, l’héritier de son nom et de sa forge, et que tout de même l’ennemi ou l’ami le font à sa place, alors c’est que son ennemi est un plus grand ami que ne l’est son ami.
ATZA. — Le Russe est mon ennemi car il m’a fait un fils, même si les Russes ne sont pas mes ennemis ! Tous ceux qui s’engouffrent dans le lit de ma femme sont mes ennemis, peu importe qu’ils soient mes amis ou mes ennemis, et peu importe qu’il s’agisse de Russes, de Suisses ou d’Anglais ! Et voilà pourquoi je voulais le tuer, même si les Russes sont nos amis... quoi que lui aussi, il voulait que je le tue car il n’a plus le goût de vivre depuis qu’il est au courant que son fils russe n’est pas son fils et Russe non plus, et depuis qu’il a remarqué que son fils n’est ni mince ni blond, mais rouquin et plein de taches de rousseur... et que son honnête femme russe, membre du Kosmokolk et du parti Communiste, n’est pas si honnête que ça, mais plutôt une salope ! Mais je ne pouvais pas le tuer, alors, voilà, je suis venu pour que Monsieur Pater me tue parce que mon honnête femme du Banat est une putain et parce que je ne peux pas reconnaître mon fils, qui pendant vingt, trente ans était Serbe, qu’il ne l’est pas, mais qu’il est Russe... Comme Monsieur Peter ne peut pas avouer à son fils, qui pendant vingt, trente ans était Allemand, qu’il n’est ni son fils... ni Allemand... mais Serbe...
PETER. — Il est né allemand, il a vécu comme un Allemand, il pensait comme un Allemand, il a fait son service militaire comme un Allemand, il s’est marié comme un Allemand, il a eu un fils comme un Allemand, il l’a élevé comme un Allemand, il mangeait, il chantait, il buvait, il se soulageait, il marchait, il se boutonnait comme un Allemand, il pissait et se rasait comme un Allemand, et même si je lui disais qu’il n’est pas Allemand mais Serbe, il resterait toujours Allemand, il continuerait à manger, à boire et à boutonner sa braguette comme un Allemand.
ATZA. — Mon fils russe jure comme un Serbe, parle comme un Serbe, il a l’esprit tordu d’un Serbe, et comment lui dire maintenant que pendant les vingt, trente années passées, il ne s’est pas comporté naturellement, comme un Russe, mais artificiellement, comme un Serbe ! Il me tuerait plutôt que d’accepter de ne plus être mon fils serbe, vu qu’il a passé toute sa vie comme mon fils et comme un Serbe !
PETER. — Et le fils de ton Russe... ressemble-t-il au moins un peu à un Allemand ?
ATZA. — Pas du tout ! C’est un vrai Russe, comme n’importe quel Russe... et comme tout Russe, il nous aime, nous les Serbes, alors qu’il ne vous aime pas du tout, vous les Allemands...
LOUISA. — Et qu’est-ce que cela peut nous faire qu’un Russe nous aime ou pas !
PETER. — Arrête, Louisa, tu exagères ! Il y a Russes et Russes, comme il y a Allemands et Allemands ! Peu importe si le Russe en question est Allemand ou l’Allemand en question Serbe ! Et comment le sait-il... ton Russe... que le père de son fils est Allemand et forgeron ?
ATZA. — C’est un vrai forgeron russe mais il est allé à une exposition. Et tu connais les Russes ! Ils organisent sans cesse de ces expositions... Même vingt, trente ans après la guerre... soit sur les soldats soviétiques combattant pendant la guerre patriotique... soit à propos de ce que les fascistes allemands ont fait à travers la Russie... et ainsi de suite... s’il n’était pas allé à toutes ces expositions, son fils russe serait toujours son fils, et russe, et mon fils serbe serait encore mon fils, et Serbe, puis, même ton fils allemand serait aujourd’hui ton fils et Allemand... Mais, étant un idiot de forgeron niais, il visitait ces expositions, et sur une photo, que voit-il... Personne d’autre que son fils... Quelqu’un ressemblant à son fils comme deux gouttes d’eau, jeune, grand, les mêmes yeux... Tout exactement pareil... mais en uniforme allemand. Et voilà, cet imbécile de forgeron qui se met à hurler : « Pourquoi avez-vous habillé mon fils en uniforme allemand. » Et tout est parti de là... car ce n’était pas son fils... Ce n’était que le père de son fils... Un certain soldat allemand, forgeron, stationné dans son village et qui tantôt forgeait dans sa forge, tantôt lui faisait un fils... pendant que lui, il se trouvait au front...
PETER. — Et son fils ressemble comme deux gouttes d’eau à celui sur la photo ?
ATZA. — Exactement ! En plus, celui sur la photo avait à peu près le même âge que son fils à ce moment-là... Et ils étaient vraiment pareils à s’y méprendre ! La même gueule, les mêmes yeux, le même nez... Les mêmes taches de rousseur. Et il a fondu en larmes dans ma forge en disant : « Et pourquoi moi, Batchouchka, j’aime mon fils, qui est Allemand et qui ne me ressemble pas ? » Comme si je n’aimais pas mon fils russe et qu’il ne me ressemblait pas non plus !
PETER. — Et moi, est-ce que je n’aime pas mon fils, qui est serbe, et qui ne me ressemble pas le moins du monde ? Et pourquoi est-ce que tu n’aimerais pas ton fils, uniquement parce que ce n’est pas ton fils et qu’il n’est pas à ton image ? Et pourquoi n’aimerait-il pas son fils juste parce qu’il n’est pas son père et qu’ils ne se ressemblent pas ? Et ce fils, qui ne lui ressemble pas, est-ce qu’il a pu choisir son père ? Ou est-ce que mon fils a pu choisir le sien, puisque Louisa, elle- même, ne choisissait pas le père pour sa chatte angora alors qu’elle le faisait pour sa chienne Schnauzer ? Ni ces chatons, ni ces chiots ne pouvaient choisir avec quel matou ou avec quel gros mâtin leur mère respective les concevrait ! Mais Louisa aurait pu choisir le forgeron qui est arrivé avant et alors j’aurais élevé mon fils allemand non pas seulement comme un Allemand, mais comme un Serbe aussi... Mais, qu’est-ce que je radote là ! Quel Serbe ? Je dis n’importe quoi ! Je l’aurais battu chaque jour dès que j’aurais remarqué quoi que ce soit de serbe en lui !
ATZA. — Qu’aurais-tu fait à mon fils ?
PETER. — Jour après jour, j’aurais tué tout ce qu’il y a de serbe en lui, avec la verge, la corde, les tenailles...
LOUISA. — Peter, mais tu débloques, ma foi !
PETER. — Je débloque, Louisa ! Je dis des bêtises ! Même s’il était cent fois Serbe et même s’il était quelque chose de plus bas qu’un Serbe, si cela peut exister, j’aimerais quand même mon fils ! C’est lui que j’aime le plus au monde, Louisa, lui, et mon petit-fils, et ma bru ! Même elle, si elle était Serbe, je l’aimerais toujours car elle m’a donné un petit-fils, peu importe qu’il soit Serbe lui aussi ! Il prend Louisa dans ses bras. Merci Louisa, de m’avoir donné un fils, même si c’est avec ce voyou que tu l’as fait, je l’aime quand même ! Merci, parce que toute ma vie j’ai eu un fils et maintenant un petit- fils ! Je t’aime tellement, Louisa ! J’aime même ce fumier, ce merdeux de Serbe, car s’il n’avait pas été là, aujourd’hui, je n’aurais ni fils, ni petit-fils, ni bru ! Prend Atza dans ses bras en chialant. Je ne suis qu’un conard ! Je vous aime tous ! Et toi, et celui-ci, et même ton Russe je l’aime, tout comme sa femme !
LOUISA. — Je ne vois pas pourquoi tu devrais l’aimer, elle.
PETER. — Je vous aime tous... Même elle !
On entend des appels au fond de la scène : « Peter ! Louisa ! »
PETER. — Qu’est-ce qu’il veut maintenant celui-là ? Pourquoi me dérange-t-il à l’instant où je suis si tristement heureux ?
Des appels : « Peter ! Louisa ! »
PETER. — Va voir ce qu’il veut ton conard d’oncle !
LOUISA. — C’est ton oncle !
PETER. — Peu importe ! Va voir ce qu’il veut !
Louisa sort.
PETER. — Je t’aime, et j’aime Louisa, et ce Russe, et sa Russe à lui, et mon fils, il n’y a que cet oncle que je n’aime pas ! Il ne peut pas me laisser tranquille même dans des moments aussi importants ! Et ils sont vraiment d’une importance exceptionnelle... Car on ne reçoit pas, ou on ne perd pas un fils ou un petit-fils tous les jours... Et on n’accueille pas le père de son fils tous les jours non plus ! Il se dirige vers Atza. Et on n’a pas si souvent l’occasion d’étrangler celui qui lui a fait un fils ! Tu as la trouille ? Et tu pensais t’en sortir juste comme ça ? Eh bah non ! Mon vieux ! Je t’étranglerai avec ces pattes de forgeron serrant plus fort que n’importe quelles tenailles. Il se met à l’étrangler. Tu as cru que je considérerais comme ami celui qui se tape ma femme, peu importe si c’est mon ami ou mon ennemi ? Pourquoi n’as-tu pas aussi étranglé le Russe, peu importe s’il a baisé ta femme amicalement ou en tant qu’ennemi, puisque tu en avais l’occasion ?
ATZA. Se réfugie sur le banc. — Parce qu’il voulait d’abord aller tuer le boche qui lui a fait un fils... Eh ! Mais tu ne plaisantes pas ?
PETER. L’étrangle sur le banc. — Non, je ne plaisante pas ! Mon fils n’a pas besoin de deux pères. Un lui suffit — Moi ! Pourquoi mon fils, qui pendant vingt, trente ans était Allemand, deviendrait-il soudainement Serbe ? Si tu aimes mon fils, qui est ton fils, meurs tranquillement afin qu’il puisse vivre tranquillement, sans problème... pour qu’il n’apprenne pas que sa mère est une traînée et que son père n’est pas son père ? Et qu’il ne soit jamais au courant de cette honte, pour laquelle il n’est pas du tout coupable, celle d’être Serbe ! Et... Si cela signifie quelque chose pour toi... avant que ton âme répugnante de Serbe quitte ma forge... Je t’avouerai encore quelque chose... Merci de m’avoir donné ce fils... Car je pense qu’il n’aurait pas été meilleur et que je ne l’aurais pas aimé davantage si je l’avais fait moi-même...
Louisa entre en trombe.
LOUISA. En entrant. — Peter... il y a un Russe qui se renseigne
sur toi !
Peter lâche Atza, se lève et défiguré, regarde Louisa... Il se jette à genoux devant Louisa. Pantelant, Atza se tient le cou dans les mains.
PETER. — Louisa ! Ne m’abandonne pas !
LOUISA. — Qu’est-ce qui te prend, Peter ?
PETER. — Ne m’abandonne pas, Louisa ! Aide-moi !
LOUISA. — Peter !
PETER. — Il me tuera !
Ivan K., le Russe, entre. Il regarde Peter.
LOUISA. — Qui veut donc te tuer ?
IVAN. — C’est moi qui vais le tuer !
PETER. Encercle de ses bras les jambes de Louisa. — Aide-moi, Louisa !
LOUISA. — Qui est-ce que tu vas tuer ?
IVAN. — Lui !
LOUISA. — Pourquoi tuerais-tu mon mari dans ma forge ? IVAN. Sort une photographie, la montre à Louisa. — Est-ce lui ?
LOUISA. Regarde la photographie. — C’est lui quand il était jeune... quand il était un jeune forgeron bien... À Peter. Mais, à l’époque, tu n’avais aucune photographie en couleur ! Comment se fait-il que ce Russe ait une photographie en couleur... et nous que nous n’en ayons aucune ?
PETER. Tend la main. — Fais-moi voir... Prend la photographie, la regarde, l’embrasse et se lève brusquement. Louisa ! Ma femme bien-aimée ! Lui donne une accolade. S’approche du Russe. Mon frère ! Donne une accolade au Russe. C’est lui ?
IVAN. — C’est lui !
PETER. — Louisa, mon amour ! C’est lui ! Lui !
LOUISA. — Qui, lui ?
IVAN. — Mon fils...
PETER. — Mon fils !
LOUISA. — Qui est sur la photographie en couleur ?
PETER. — Mon fils, Louisa ! Mon fils !
LOUISA. — Monsieur... Ce n’est pas vous qui devez le tuer ! Je le ferai !
IVAN. — Ah, non ! Madame... Louisa ! Savez-vous quel long voyage j’ai fait ? Vous n’imaginez pas la distance que j’ai parcourue depuis Soroki...
LOUISA. — Sur le Dniestre... À Peter. Voilà pourquoi tu connais le Dniestre ? Espèce de sale forgeron de boche de merde ! Pendant quatre ans, tu mourais sur le terrible front russe ! Viens un peu ici !
PETER. — Louisa, arrête un peu, Louisa !
LOUISA. — Quoi, arrête ! Raconte comment tu mourais sur le front russe pendant que je grattais les couilles à celui-ci ! Elle regarde Atza qui, plié sur le banc, essaie de retrouver son souffle. Que lui as-tu fait ?
PETER. — Je lui ai un tout petit peu tordu le cou ! Un tantinet !
LOUISA. — Ça aussi tu vas le payer ! Et tout ce que tu as dû faire en Russie pendant quatre ans !
PETER. — Mais quelles quatre années, Louisa ! Ce n’était que vers la fin... lorsque je suis entrée avec la troupe dans son village, sur le Dnistre, et je n’ai cherché ni l’église, ni la fontaine, ni la vodka, mais la forge. À la tombée de la nuit, je suis entré dans la forge car pendant quatre ans je n’avais pas tenu de ferretier dans mes mains et je n’avais pas martelé sur une seule enclume. J’ai enlevé la vareuse, mis le tablier de forgeron et je me suis mis à forger... Et pendant que je le faisais... la Russe est arrivée en courant dans la forge et s’est jetée dans mes bras...
IVAN. — Salope de Russe ! Et, en plus, elle était la trésorière de l’organisation du parti communiste du Komsomol !
PETER. — Ce n’est pas une salope ! Elle a pensé que son forgeron était rentré du front et elle a eu l’impression que j’étais lui...
LOUISA. — Et quelle impression as-tu eue, salopard de boche ? Au moins toi, tu savais que tu n’étais pas lui !
PETER. — Louisa ! Tout s’est passé à la vitesse d’un éclair ! Le temps que je réalise ce qui m’arrivait et qu’elle se rende compte que je n’étais ni Russe ni SON forgeron... Tout était déjà fini...
IVAN. — Et c’est pour cela que moi, je dois le tuer !
ATZA. Se lève en se tenant toujours par le cou. — Tue-le, Batchushka, et qu’ensuite je te tue, et qu’on en finisse une fois pour toutes avec cette malheureuse affaire...
IVAN. — Toi ? Toi ici ? Tu es venu jusqu’ici pour me tuer ?
LOUISA. — C’est lui ton Russe ?
IVAN. — Pourquoi — son — Russe ?
LOUISA. — Celui qui lui a fait son fils dans son Banat pendant qu’il peinait ici dans le camp.
PETER. — Et m’en a fait un fils à moi aussi !
IVAN. — C’est ça, Batchoushka ? Tu voulais me tuer parce que ton fils serbe n’est pas ton fils, et qu’il n’est pas Serbe non plus ; il est Russe et c’est mon fils et tu as omis de me dire que tu n’étais pas resté sans fils puisque tu en as un ici qui est Allemand !
ATZA. — À l’époque, j’ignorais que j’avais un fils ici ! C’est pour cette raison-même que je suis venu ici afin de voir si le fils de Monsieur Peter est son fils ou le mien ! Ainsi, si tu es venu ici pour tuer celui-ci, alors tue-le et qu’à mon tour, je te tue, et qu’on rentre chez nous !
IVAN. — Si je comprends bien, je dois, donc, en tant que bon forgeron russe, le démolir et le tuer...
LOUISA. — Si moi je ne le tue pas avant...
IVAN. — Les détails après, madame ! Et celui-là qui est aussi un honnête forgeron serbe...
PETER. — S’il n’avait été qu’un honnête forgeron, il n’aurait fait que forger ici ! Mais étant Serbe aussi, il ne s’est pas contenté de forger...
ATZA. — Si je ne t’avais pas donné un fils, tu en aurais quand même donné un à ce Russe qui m’aurait, à son tour, donné un fils à moi... et, ainsi, j’aurais été le seul perdant !
IVAN. — Un instant ! Comme il est à la fois un honnête forgeron et Serbe, il doit me démolir et me tuer...
ATZA. — C’est exact !
IVAN. — Et, comme celui-ci est un honnête forgeron et Allemand, il doit démolir et tuer celui-là !
ATZA. — C’est presque ça.
IVAN. — Dans son ensemble, cela semble impossible. Pratiquement irréalisable ! Du moins, en tant que forgeron, c’est ainsi que je le vois.
LOUISA. — Si, c’est faisable, pourquoi pas ? Vous pouvez, premièrement, vous entretuer, mais je doute fort que vous trouviez en vous le courage de le faire car vous êtes les derniers des cons tous les trois, et deuxièmement, il se peut que je vous achève moi-même tous les trois ! Vous ne méritez même pas une seule honnête femme de forgeron, et encore moins deux, comme le destin vous l’a accordé ! Vous êtes de vieux merdeux ! Tous les trois, vous tenez absolument à être les pères de vos fils ! Ces derniers s’en foutent complètement. Ils vous disent papa et ils vous appelleront toujours papa ; mais que ce soit vraiment vous qui les ayez faits, ils s’en foutent royalement. Pour eux, vous êtes les pères, peu importe qui les a faits ! Comme si tous les fils étaient engendrés par leurs propres pères et comme si cela était naturel et obligatoire ! C’est obligé que ceux que vous avez élevés et qui portent votre nom vous considèrent comme leurs pères, et que vous considériez vos fils, ceux qui
ont grandi à vos côtés, peu importe s’ils vous ressemblent ou si vous en êtes ou non les géniteurs ! N’importe quel imbécile peut faire un fils, mais rares sont ceux capables d’en élever un et d’en faire un homme. Mais, comme pour vous ce qui compte le moins a le plus de valeur à vos yeux, entretuez-vous gentiment, pour satisfaire la justice, et cela avant mon retour, et si vous ne l’avez pas fait, c’est moi qui vous achèverai ! Que quelqu’un ici ose attendre vivant mon retour, et c’est moi qui aurai sa peau !
Louisa sort.
PETER. À Atza. — Permets-moi de t’étrangler avant son retour !
ATZA. — Laisse-moi étrangler le Russe avant!
IVAN. — Étrangle-moi, dès que j’aurai étranglé celui-ci !
ATZA. — Attends un instant que j’étrangle le Russe d’abord !
PETER. — Si j’attends, c’est lui qui m’étranglera alors.
IVAN. — Je vous en prie, la Russie est loin... Étrangle ce Serbe d’abord, puis c’est moi qui t’étranglerai, et je rentrerai ensuite chez moi...
ATZA. — Putain de Russe ! Toi, donc, tu accepterais que ce boche m’étrangle, et que son fils serbe reste sans père ? Et dire que nous sommes soit-disant amis... nous les Serbes et vous les Russes...
IVAN. — Alors, fiche-moi la paix, que je puisse tranquillement tuer ce boche !
ATZA. — Si j’accepte, il me tuera, et je ne pourrai plus te tuer... Ça signifie que j’aurai été étranglé pour rien...
PETER. — Vas-tu, enfin, étrangler ce Russe, car il m’étranglera si tu ne le fais pas...
ATZA. — Lâche-moi...
PETER. — Je ne peux pas tant que celui-ci ne me lâche pas...
IVAN. — Comment te lâcher quand celui-ci me serre...
Épuisés, ils se laissent tomber sur le banc continuant à s’étrangler les uns les autres.
ATZA. — Aussi incroyable que ça puisse paraître, j’ai été étranglé deux fois... Moi, le Serbe, c’est l’Allemand qui m’étranglait...
IVAN. — Et, moi, le Russe, j’ai été étranglé par un Serbe... Cela ne s’est jamais produit auparavant...
PETER. — Et, moi, que puis-je dire ? Un Allemand étranglé par un Russe !
IVAN. — Ce n’est pas si étrange que ça... Mais qu’un Russe se fasse étrangler par un Serbe !...
ATZA. — Et nous on peut se faire étrangler deux fois par les Allemands...
PETER. — Ça alors, qu’est-ce que tu étrangles ! Chapeau ! Laisse-moi voir tes pattes... Ivan lui tend une main. On dirait des étaux...
ATZA. — Tes pattes ne sont pas mal non plus...
IVAN. — Et toi, qu’est-ce que tu as de gros bras ! Vous, du Banat, je vous croyais plus délicats...
ATZA. — C’est vrai... Quand nous ne sommes pas en train d’étrangler...
IVAN. — Et ta forge est morte...
PETER. — C’est que personne n’a plus besoin du forgeron...
ATZA. — Notre temps est passé... Le charbon est épuisé... On n’allume plus le feu...
IVAN. — De temps à autre quelqu’un arrive...
PETER. — Et mon fils a un restaurant... Montre en arrière d’où on entend la cohue. Ça c’est les Serbes...
ATZA. — Quoi, ça c’est les Serbes ! Mon fils russe a un restaurant lui aussi !
IVAN. — Mon fils allemand aussi... Son restaurant est plein... ma forge vide...
PETER. — Envahie par des toiles d’araignées...
ATZA. — Les derniers forgerons disparaîtront avec nous... Et, quand je pense que nous avons failli nous entretuer...
IVAN. — Que c’était beau... le charbon qui crépitait...
PETER. — Dans le foyer, un vrai volcan !
ATZA. — Les étincelles, de vraies étoiles !...
IVAN. — Et le son du ferretier ! Le gros ferretier, comme la grosse cloche...
PETER. — Mon apprenti et moi... avec deux ferretiers... de la musique !
ATZA. — Et lorsqu’il y avait trois ferretiers, c’était un véritable concert...
PETER. Se lève, attrape un ferretier, frappe. — C’est ça ! Il frappe plus fort. C’est le son que je préfère. Tu frappes et tu te sens bien... Tu ne sais même pas si ton fils est ton fils...
Atza et Ivan se lèvent, ils attrapent des ferretiers. Ils frappent tour à tour.
ATZA. — Tu ne penses même plus si ton fils serbe est Serbe ou Russe...
IVAN. — Cela t’est égal qui l’a conçu. Ce qui compte, c’est qu’il est ton fils, et Russe, peu importe s’il est Allemand...
PETER. — Mon fils, grand Allemand... au restaurant cherche des poux à tout le monde... et ne sait même pas qu’il est Serbe...
IVAN. — Et mon fils, grand Russe, ne se doute même pas qu’il est Allemand...
ATZA. — Mon fils russe est plus serbe que moi qui le suis...
PETER. Frappe plus fort. — Grande nation ! Race pure ! Rit. Membre de la grande et pure race allemande — un Serbe ! Membre du grand peuple russe, de la pure race russe — un Allemand ! Membre du petit mais grand peuple, de la pure race serbe — un Russe ! Pure race, mon cul ! La jacinthe qui pousse en Allemagne ne se doute même pas qu’elle est une jacinthe allemande ! Le moineau qui piaille sur une branche russe, à côté d’une rivière russe, ne se doute même pas qu’il est un moineau russe, et la rivière ne se doute même pas qu’elle est une rivière allemande, et la branche qu’elle est une branche russe non plus ! Le concombre poussant en Serbie ne se doute guère qu’il est serbe ! Pourquoi alors, mon fils n’est pas tout simplement fils de forgeron ?
ATZA. — S’il y avait une justice, chacun d’entre nous aurait trois fils ! Un Serbe, un Allemand et un Russe ! Autrement, nous n’avons accompli que le tiers du travail !
IVAN. — Au moins, nous avons accompli le tiers du travail ! On aurait pu aussi bien ne pas en accomplir autant ! Frappe. Mais, au moins nos fils pourront accomplir tout le travail. Deux tiers ! Trois tiers ! Et davantage.
PETER. Frappe. — Et davantage !
ATZA. Frappe. — Si j’étais plus jeune, pour qu’on me capture de nouveau ! Hélas !
PETER. Frappe. — Si j’étais de nouveau jeune pour mourir à nouveau au front !
IVAN. Frappe. — C’est maintenant que je saurais être libérateur, si seulement j’étais plus jeune !
Ils martèlent sur l’enclume en vrai trio et cela a réellement l’effet d’un concert. Louisa entre.
LOUISA. — Pourquoi martelez-vous tant ?
PETER. — Louisa, si la guerre éclate de nouveau, mon fils allemand, qui est Serbe, se battra contre le Russe, qui est Allemand, et le Russe, qui est Allemand, libérera le Serbe, qui est Russe... Et le Serbe, qui est Russe, sera le prisonnier de l’Allemand, qui est Serbe ! Alors, le Serbe, qui est Russe, fera un fils à l’Allemand, qui est Serbe, et l’Allemand, qui est Serbe, fera un fils au Russe, qui est Allemand, pendant que le Russe, qui est Allemand, fera un fils au Serbe, qui est Russe ! Et si la guerre éclate à nouveau...
LOUISA. — Si la guerre éclate à nouveau, tout retombera en place, le cercle se refermera et vous pourrez embrasser votre propre derrière !
PETER. Frappe sur l’enclume. — Tu ne comprends pas, Louisa ! Il ne s’agit pas de ça. Si la guerre éclate à nouveau... on ne nous recrutera plus... Nous resterons chez nous à regarder ceux qui donneront à nos fils et à nos petits-fils des petits- fils et des arrière-petits-enfants... mais nous aimerions qu’on nous appelle à la guerre... Frappe fort. Que je meure sur le sale front russe !
IVAN. Frappe sur l’enclume. — Que je libère de nouveau son village !
ATZA. Frappe sur l’enclume. — Et que je vienne de nouveau ici comme prisonnier, Madame Louisa... Frappe. Maintenant, je saurai comment être un vrai prisonnier !
Louisa aurait voulu répliquer, mais ne sait pas quoi répondre, et les trois recommencent leur concert à trois mains.Ils frappent de plus en plus fort en cadence jusqu’à ce que la scène ne retombe dans l’obscurité.
Fin !
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Miloš Nikolić est né le 13 juin 1939.
Suite aux études secondaires à Pančevo, il poursuit ses études à l'Académie de théâtre, cinéma, radio et télévision à Belgrade. Il a travaillé en tant que dramaturge et rédacteur à la Rédaction du cinéma de la Télévision Belgrade.
L’auteur des pièces Les Forgerons et Dix-huit chats et le tôlier Hermann Brumm, il signe aussi la comédie en strophes L’Attentat, sur le plus horrible des attentats sur un roi, qui aurait pu être écrit par Rabelais : le peuple découpe les planches des toilettes sèches dans la nature, et le roi plonge dans le précipice.
Il a écrit Deux jambes gauches et deux jambes droites et d’autres petites pièces comiques à la manière de Pierre Henri Cami.
Écrite sur commande pour le Théâtre national serbe de Novi Sad — première représentation en 1992, programmée depuis —, Les Forgerons est sa pièce la plus jouée.
S’en suivrons les représentations au Teatar Joakim Vujić de Kragujevac, Novosadsko pozorište (en hongrois), Théâtre national à Ruski Krstur etc. En Roumanie : Teatrul Nottara à Bucarest, Teatrul Ariel à Râmnicu Vâlcea, au théâtre de la ville de Buzău et de la ville de Sfântu Gheorghe, ainsi qu’au Théâtre allemand d’État de Timisoara (en allemand).
La pièce Les Forgerons est actuellement à Teatrul de Comedie de Bucarest ; en Grèce, au théâtre Komedija, Athène, à Ioannina, Véria, Corinthe, au théâtre Agelon Vima (la Tribune des anges) à Athène, ainsi qu’à Cyprès et au Théâtre national à Nicosie. En Slovaquie à Zvolen, Poprad, Brezno et à Prešov (en rusyn).
La pièce Les Forgerons est publiée dans la revue théâtrale Scena de Novi Sad et en langue slovaque dans Javisko de Bratislava.
La version originale de la pièce Dix-huit chats et le tôlier Hermann Brumm est publiée dans la revue théâtrale Scena. La première eut lieu en juin 2020 au Théâtre national serbe de Novi Sad.
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Nikolaje Nikolajević, sur les documents officiels de l'ex-Yougoslavie, Nicolae Nicolaevici en roumain, est né le 05 novembre 1944 à Vršac.
A fait ses études à l'Université de Belgrade, faculté philologique de Belgrade : langue et littérature française, le latin et le roumain, puis à Pančevo travaille en tant que journaliste pour le journal roumain de Yougoslavie Libertatea (1969 – 1974), embrassant par la suite la carrière de professeur, enseignant la langue et la littérature française à Montréal de 1975 à 2004.
Il vit à Montréal depuis 1974.