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Photo du rédacteurCvijeta Pavlović

Molière dans la littérature croate: traduction et adaptation comme capital littéraire et résistance¹








L'étude de la réception de l'œuvre de Molière dans la littérature européenne à partir de 1660 remonte à l'époque où lui et sa troupe théâtrale à Paris obtinrent l'usage de la salle du Palais-Royal. La même année, quelques mois plus tôt, Molière reprit l'office de la charge de tapissier du roi, qu'il conservera jusqu'à sa mort, et se retrouva ainsi doublement attaché à la cour de Louis XIV. Par conséquent, l'année 1660 peut être considérée à sa manière comme l'époque de son institutionnalisation dans l'histoire. Mais même en dehors des frontières du royaume français, Molière s'est imposé de son vivant comme un favori des traducteurs et des troupes de théâtre à travers l'Europe.

La réception de Molière dans la littérature croate existe depuis 1670. Dans sa première impulsion, elle se réalise comme une résistance, paradoxalement, dans des circonstances historiques graves, voire tragiques, dans lesquelles Molière agit comme un signal à plusieurs niveaux. Pour autant, la réception de Molière est l'expression d'une résistance qui était à la fois une particularité biographique (le rire comme remède) et historique et culturelle commune à la communauté au sens large, c'est-à-dire à la littérature nationale et pan-nationale/trans-européenne. À savoir, le premier signe de la popularité de Molière dans la littérature croate ne passe pas par le « jeu scénique », la « représentation » de ses textes, mais par l'adaptabilité et la beauté du texte lui-même, par la traduction, plus précisément par son adaptation.

Il s'agit d'un fragment d'une adaptation de la comédie George Dandin ou le Mari confondu, écrite par Fran Krsto Frankopan en 1670 ou 1671. Non seulement cela concerne l'adaptation précoce d'un texte de Molière à l'échelle européenne, mais il est crucial de savoir qui en est le premier traducteur et adaptateur. La réponse à cette question est également une indication de la valeur générale dont Molière jouissait déjà dans toute l'Europe. Seulement deux ans après que Molière a écrit la comédie George Dandin, celle-ci a également connu un fragment en sa version croate ! Nous savons qu'en 1670, cinq des comédies de Molière traduites en allemand ont été publiées à Francfort, dont George Dandin, et Fran Krsto Frankopan a probablement accédé au texte de Molière à Vienne. Indépendamment de l’existence d’une traduction en allemand, il a été prouvé scientifiquement que Frankopan - même s’il avait une traduction allemande pour comparaison - a adapté la comédie de Molière directement de la langue française. Cependant les circonstances dans lesquelles Frankopan traduisit Molière n'étaient pas des plus favorables. C'est pour cette raison qu'il importe de changer de perspective d'observation et de s'intéresser non seulement aux traductions et adaptations, mais aussi aux traducteurs-adaptateurs.

Fran Krsto Frankopan (Frankapan, 1643-1671), l'un des nobles croates les plus importants et les plus influents du XVIIe siècle, était un capitaine de la ville d'Ogulin, un intellectuel qui connaissait le latin et plusieurs langues vivantes (allemand, italien, français), un écrivain du Cercle littéraire d'Ozalj², dont la poésie représente l'un des sommets du baroque littéraire croate du XVIIe siècle. Frankopan fut accusé d'un complot croato-hongrois anti-autrichien et à partir d'avril 1670, il a été détenu dans une geôle viennoise, puis transféré dans une cellule à Wiener Neustadt, où il fut condamné à mort en avril 1671. On suppose que Frankopan a commencé à traduire au cours de l'année de son séjour dans les cachots autrichiens, c'est-à-dire d'abord à Vienne, et comme les conditions de détention se sont considérablement aggravées par sa déportation à Wiener Neustadt, le travail est resté inachevé. Frankopan a laissé de nombreux manuscrits dans sa geôle, parmi lesquels un fragment d'une adaptation de George Dandin de Molière qui a été retrouvé, dans la variante croate intitulée Jarne bogati (Jarne le riche).

Frankopan a ainsi traduit la comédie de Molière directement du français³ et l'a non seulement adaptée mais aussi contextualisée dans son environnement local. L’adaptation de Frankopan comprend les trois scènes introductives et quelques lignes de la quatrième scène du premier acte de la comédie de Molière. Le personnage principal George Dandin porte le nom de Jarne, et dans le fragment préservé, seuls deux personnages apparaissent, le mari trompé Jarne et le serviteur de l'amant de sa femme Budimoder, que Frankopan a qualifiés de Slovènes et qui parlent le dialecte slovène (on suppose que c'est du carniolan, du bas-carniolan et / ou le dialecte styrien de l'époque)⁴. Jarne était un nom slovène populaire à l'époque, et le nom du serviteur Budimoder (Lubin chez Molière) signifie « être sage ». On imagine que l'amant galant (qui n'apparaît pas dans le fragment) a été imaginé par Frankopan comme un Croate qui utilise l'idiolecte habituel de Frankopan, la langue croate (qui est basée sur le parlé čakavien utilisant des éléments kajkaviens et štokaviens)⁵.

Cette hypothèse est basée sur le texte lui-même, lorsque l'amant de l'épouse de Jarne a été annoncé comme un « žlahtan gospud z horvackega ursaga » (un noble et beau gentilhomme de la terre croate) et un « Horvat moder » (un Croate sage). Cette hypothèse est également étayée par les didascalies écrites en croate kajkavien. Frankopan mentionne également la bonne Katrica (Claudine), tandis que les parents de l'épouse de Dandin chez Frankopan portent le nom germanisé de Hozenbosser (Monsieur et Madame Sotenville). Le choix du dialecte (slovène) est motivé par la fonctionnalité, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un instrument de slavisation/croatisation et d'effets comiques dialectaux, déjà utilisés dans les comédies de la Renaissance ainsi que chez Molière lui-même. Par là, Frankopan suit la pratique bien établie de nombreux auteurs comiques d'exclure les personnages indignes de leur propre environnement ethnique ou de leur propre couche sociale et de les caractériser comme issus d'autres peuples, régions et classes sociales.


La contextualisation locale de la comédie de Molière s'inscrit d'une manière particulière dans l'ensemble de l'œuvre de Fran Krsto Frankopan. À l'exception d'un poème latin publié de son vivant en Italie (1665), tout l'opus littéraire du noble croate est contenu dans les manuscrits qu'il a laissés dans la prison de Wiener Neustadt. Frankopan a écrit et traduit pour occuper le temps passé en cellule, ce qui était une pratique courante de nombreux intellectuels européens célèbres qui furent emprisonnés, même si une partie de l'opus est probablement née avant son incarcération.


En tant qu'auteur de précieux recueils de poèmes lyriques, de sentences, d'énigmes, de poèmes héroïques et d'extraits de prose apocalyptique et de traités en prose, certains en croate et d'autres en italien, Frankopan a montré une habileté à combiner différents genres de la vieille littérature européenne et une adresse à pratiquer une versification diversifiée dans la tradition de la Renaissance à l'art baroque, sous l'influence du lyrisme amoureux pétrarquesque avec ornatus baroque aussi bien que le maniement des structures folkloriques et les expressions humoristiques plus prosaïques (lascivité, humour «digestif» et scatologique, etc). Dans ce contexte, la délocalisation de la comédie de Molière en Croatie s'inscrit dans le goût de Frankopan et manifeste un intérêt pour se mesurer à différents genres et styles d'expressions d'esprit et de représentations des ridicules dans la société et chez l'individu. La lecture de Frankopan est un témoin de la culture littéraire de la Croatie continentale du XVIIe siècle, dans la lignée des mouvements européens, et cette adaptation de Molière est une confirmation que la culture croate du XVIIe siècle a su réagir de manière proactive aux nouvelles orientations du goût littéraire : par rapport à d'autres titres de l'opus du gentilhomme croate, cette contextualisation locale de Jarne le riche reflète une volonté d'accepter les innovations artistiques contemporaines, que dans cette ère européenne (à dominante baroque) Molière représentait pour l’ensemble de l’Europe. Lier la tradition de la farce, la commedia dell'arte et les nouveaux principes artistiques classiques autour de thèmes traditionnels (les -trop- grandes attentes amoureuses et sociales) a poussé Frankopan grâce à sa compétence inhérente à combiner les niveaux de langue et de style (et) à travers la comédie de Molière à exprimer les possibilités de la littérature et de la culture croates. Étant donné qu'il a traduit depuis l'original français - tout comme il emportait avec lui un recueil de poèmes intitulé Diporti du duc autrichien Léopold Wilhelm (qui utilisait le pseudonyme de Crescente) mais écrit en italien - il est évident que le choix de la langue (l'italien dans le cas d'un recueil de poèmes lyriques et de discussion, et le français dans le cas de la comédie) est une expression de la résistance de la noblesse croate à la langue allemande prédominante ainsi qu'une expression du goût particulier et une érudition raffinée qui comprend à la fois une culture dominante (latine et allemande) mais élargie à d'autres sources complémentaires (italiennes, françaises).


Avec l'adaptation de la comédie Jarne le riche, Fran Krsto Frankopan entame la grande mode d'imitation de Molière sous forme d'adaptations et de nombreuses performances qui durent jusqu'à ce jour, mais aussi de l'imitation de tous les goûts et styles français, qui ont particulièrement marqué la littérature croate du XVIIIe siècle et qui est connu dans la culture croate sous le nom général de « françaiseries » (« frančezarije », du mot italien francesaria).


Le nom même de « françaiseries » à l'époque de Frankopan n'a pas de trace écrite, mais il a été enregistré dans la culture croate à Dubrovnik à la fin du XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe siècle, et désignait tous les signes d'une adhésion à la culture française, c'est-à-dire un penchant à la mode pour tout ce qui était français⁶. Aux côtés de la notion de « françaiseries » se trouve aussi son homologue, la notion « d'italianeries », pour une tendance similaire d'agrément à la culture et la littérature italiennes (Metastasio, Goldoni).


Au sein des « françaiseries », la mode des adaptations des comédies de Molière s'est particulièrement développée, si bien que parfois le terme de « françaiseries » est utilisé précisément pour les adaptations de Molière, qui est pourtant un concept plus étroit. Bien que même dans la littérature scientifique moderne, cette identification et cette confusion persistent, il est tout de même possible de distinguer facilement les moliérades comme une notion plus étroite par rapport au concept plus large de « françaiseries ». Le mot « françaiserie » apparaît pour la première fois dans l'adaptation de Dubrovnik de la comédie de Molière L'École des femmes dans une réplique d'un des personnages : «Non, non, je ne veux pas de hauteur chez une femme, qui peut même écrire trop de ces lettres, des françaiseries et des italianeries...

» L'expression est alors devenue le terme usité dans les débats littéraires et historiques, a pris le statut de label de genre et comprend un total de 24 adaptations dubrovniciennes des pièces de Molière : Jarac u pameti (Sganarelle ou le Cocu imaginaire), Don Garcija od Navarre aliti Ljubavnik sumnjiv (Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux), Nauk od mužova (L'École des maris), Dosadni (Les Fâcheux), Nauk od žena (L'École des femmes), Suproć onijem koji su zabavili « Nauk od žena » (La Critique de « L ' École des femmes »), Ženidba usilovana (Le Mariage forcé), Gospodarica od Elide (La Princesse d'Élide), Tarto (Le Tartuffe), Džono aliti Gos (Dom Juan ou Le Festin de pierre), Ljubav liječnik (L'Amour médecin), Mizantrop (Le Misanthrope), Liječnik i za nevolju (Le Médecin malgré lui), Vukašin aliti Ljubav pitur (Le Sicilien ou l'Amour peintre), Amfitrion (Amphitryon), Ilija aliti muž zabezočen (George Dandin ou Le Mari confondu), Lakomac (L'Avare), Jovadin (Monsieur de Pourceaugnac), Ilija Kuljaš (Le Bourgeois gentilhomme), Psike (Psyché), Udovica (La Comtesse d'Escarbagnas), Žene pametne (Les Femmes savantes) et Nemoćnik u pameti (Le Malade imaginaire). Une place particulière a une adaptation intitulée Andro Stitikeca, car il s'agit d'une tradition non seulement d'adaptation mais aussi de compilation de plusieurs textes (Le Mariage forcé, L'Avare et Le Malade imaginaire), qui était aussi un procédé courant de la pratique théâtrale européenne. Malgré l'erreur usuelle dans la terminologie, afin d'éviter les malentendus, nous appellerons ici les remaniements de Molière à Dubrovnik du nom de moliérades qui différera du terme plus large de « françaiseries ».


Les acclimatations aux exigences de la réalité locale (en croate : lokalizacije) à Dubrovnik des comédies Molière étaient principalement des adaptations et des contextualisations en prose, et le seul texte traduit en vers est Psyché. Mais malgré la prédominance de la prose, ils contenaient également des vers : à savoir, certains vers plus courts ou des passages chantés dans l'original ont également été insérés en vers et leurs traits métriques montrent des marques de transposition poétiquement pertinentes par rapport à la tradition littéraire et dramatique croate.⁷ Le nombre de traductions non contextualisées localement mais seulement adaptées est moindre (Don Garcie de Navarre, La Maîtresse d'Élide, Amphitryon, Psyché), et les traducteurs ont opté pour une telle procédure lorsque l'intrigue de l'original ne pouvait pas s'accorder au milieu croate. Cependant le fait que de tels contenus aient aussi été adaptés (traduits dans un sens plus large) témoigne de la haute opinion des traducteurs et du public sur la fonctionnalité et l'universalité du comique qu'offrent les textes de Molière.

Dans la région de Dubrovnik, Molière a également été traduit directement du français, bien qu'il y ait eu en même temps des adaptations italiennes de Molière qui ont été réalisées avec succès sur la côte ouest de la mer Adriatique et que les traducteurs ragusains connaissaient. Le travail impliquait également une rigueur philologique vis-à-vis de l'original français, qui leur a été suggérée par leur professeur au collège de Dubrovnik, L. Moreno⁸. Précisément, le fait que les traducteurs aient recouru au modèle original français est une sorte de geste politico-culturel par lequel la noblesse croate de Dubrovnik a décidé de s'orienter dans une direction culturelle différente, et malgré la grande influence italienne sur la côte croate, à transmettre la culture et la littérature françaises directement à partir de la langue française, et de cette manière aussi a maintenu la langue croate sur les scènes théâtrales.


Bien que perçues aussi comme des pièces à lire, les adaptations de Molière étaient destinées à des performances scéniques. Les pièces ont probablement été jouées à l'Orsan, un théâtre public de Dubrovnik, et certaines dans des palais privés. Les adaptations ont été exécutées par des amateurs de théâtre, des nobles qui étaient membres des troupes de théâtre d'alors (des troupes comme les Nepoznati, les Sjedinjeni, les Zamršeni⁹), mais qui sont restés à ce jour en grande partie anonymes. Le seul traducteur confirmé est le noble Ivan Franatica Sorkočević. Cependant, il existe également des hypothèses sur plusieurs noms de traducteurs : parmi eux, Petar Kanavelić de Korčula et Džono (Ivan Sarov) Bunić le Jeune, Petar Bošković, Marin Tudišević et Josip Betondić de Dubrovnik. Les transcriptions les plus anciennes indiquent que les adaptations étaient l'œuvre d'un « interprète secret », ce qui signifierait que le nom du traducteur et adaptateur ait été délibérément caché. En raison de l'élan exceptionnel d'enthousiasme pour Molière en langue croate dans la région de Dubrovnik, les adaptations de Molière représentent une tentative collective systématique d'un groupe de jeunes écrivains croates de Korčula et de Dubrovnik de remodeler et de traduire « de la langue gaélique à l'illyrienne » presque tous les textes de Molière dans un laps de temps relativement court, dans des codex très clairs et ornés d'illustrations appropriées. En même temps, lorsque l'action de la comédie leur a permis de le faire, ils ont contextualisé les illustrations (pour les costumes des personnages) sous les cieux de Dubrovnik.¹⁰

La paternité de la comédie d'Andro Stitikeca est incertaine à ce jour, mais elle est souvent attribuée à Petar Kanavelić, originaire de l'île de Korčula qui, avec son œuvre théâtrale et littéraire, a marqué de manière significative la culture croate sur la côte adriatique. Le dernier rejeton d'une famille noble éminente et riche, commerçant, juriste et diplomate, avocat de longue date et conseiller juridique de nombreux dignitaires de l'État et de l'Église (évêque de Korčula, provéditeurs généraux vénitiens, etc.), émissaire de la commune de Korčula à Venise, il a fourni des renseignements aux autorités de Dubrovnik, a été membre de l'Académie des Inutiles (croat. Akademija ispraznijeh, Akademija ispraznih)¹¹ de Dubrovnik et a communiqué avec de nombreux cercles littéraires croates (Perast, Bar, Kotor / Bouches du Kotor /, Dubrovnik, Korčula, Split, Trogir, Zadar). Il écrivait aussi habilement en croate, en latin qu'en italien. Il a reçu les remerciements du roi polonais Jan Sobieski pour les chants panégyriques à l'occasion de la libération de Vienne du siège turc en 1683, son épopée religieuse et historique Saint-Jean l'évêque de Trogir et le roi Koloman dédiée aux empereurs autrichiens Joseph I et puis Charles VI, a adressé un poème de félicitations sous la forme de louange à A. Zmajević à l'occasion de sa nomination comme archevêque de Bar, il est l'auteur d'un poème sur l'exécution de Petar Zrinski, noble du nord de la Croatie, condamné avec Fran Krsto Frankopan pour conspiration anti-autrichienne, etc. Sa tragi-comédie Vučistrah a inauguré un nouvel espace de jeu à Dubrovnik, le célèbre théâtre Orsan, le 5. II. 1682.¹² En tant que poète, il réagit rapidement aux événements historiques et publics (par exemple, en plus des poèmes accompagnant les événements politiques, il composa un poème sur le tremblement de terre catastrophique de Dubrovnik en 1667, en tant que dramaturge, il rassembla volontiers plusieurs sources (GA Cicognini, GB Guarini, Calderón de la Barca). Il a organisé des représentations de son mystère sur la Passion et la mort de notre Seigneur Jésus-Christ à Korčula, et il est possible qu'il ait collaboré à des pièces de théâtre italiennes à Split et Dubrovnik. L'un de ses encarts improvisés dédié aux autorités de Dubrovnik se moque d'un enseignant vénitien dans un collège jésuite, ce qui provoqua un incident impliquant le Vatican, Venise et la cour viennoise, et conduisit à un procès contre l'artiste. Cependant, après l'incident, le recteur du Collège de Dubrovnik ne fut plus un Vénitien mais un citoyen de Dubrovnik. De ce fait, l'adaptation-compilation des trois comédies de Molière, sous le titre d'Andro Stitikeca, s'inscrit dans les méthodes d'écriture de Kanavelić, alors même que la question de la paternité est toujours ouverte. Andro Stitikeca est une comédie en trois actes basée sur une adaptation de L'Avare de Molière, avec quelques éléments du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire, et selon certains, du Mariage forcé. Des interventions habiles dans la localisation des situations comiques de Molière s'inscrivent dans l'opus de l'un des nobles les plus distingués et les plus riches de la Croatie méridionale dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Il s'est intéressé à tous les grands genres littéraires de son temps, porté par la poétique baroque et arcadienne qui s'est développée sur les deux rives de l'Adriatique, et qui s'inscrit dans les tendances européennes de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle du baroque au style rococo ludique et léger¹³. Les comédies de Molière se sont ainsi insérées comme matériel d'adaptation et, avec les sources italiennes et espagnoles, ont participé également à des représentations théâtrales en Croatie méridionale, dans le cercle culturel de l'île de Korčula à la ville de Dubrovnik.

Parmi les auteurs possibles des adaptations de Molière dans la ville de Dubrovnik, le plus ancien est Ivan Sarov Bunić le Jeune (1664 - 1712), petit-fils de l'un des plus importants poètes baroques croates, Ivan Bunić Vučić. Noble, avocat, diplomate et commerçant, il a fait ses études au lycée jésuite de sa ville natale de Dubrovnik (Collegium Ragusinum) et a probablement étudié le droit en Italie. Participant à la vie théâtrale de Dubrovnik et membre du groupe amateur Nedobitni (les Infructueux), il a participé à la création de la tragi-comédie Vučistrah de P. Kanavelić. Il s'est distingué par son aptitude et son activité musicales, a participé à la réalisation de dictionnaires et grammaires latino-italien-croates et a été un membre actif de l'Académie des Inutiles. Il a traduit du latin, de l'italien et du français. La langue française faisant partie intégrante de l'éducation des nobles et des seigneurs croates, les textes de Molière se prêtaient autant à la pratique de la condition de traducteur qu'au divertissement des artistes et des spectateurs.


Petar Bošković (1704 - 1727) a également fait ses études dans le même lycée jésuite (Collegium Ragusinum). Éminent poète et traducteur, le frère du célèbre scientifique Ruđer Bošković et de l'écrivain Anica Bošković était membre de la fraternité Antunini, la plus haute strate des citoyens de Dubrovnik, et a été secrétaire de la République de Dubrovnik. On lui attribue une traduction inachevée et malheureusement perdue de la tragi-comédie de Corneille Le Cid et il est mentionné comme un adaptateur des pièces de Molière. Si l'hypothèse de Bošković en tant que traducteur des comédies du Cid de Corneille et de Molière est acceptée, son activité dépasse le cadre des soi-disant « moliérades » et relève de la notion des « françaiseries », de l'admiration et de l'héritage de la littérature et de la culture françaises. Une telle réception de la France à Dubrovnik est un témoignage d'une culture développée et d'une conscience théâtrale.


D'autre part, Marin Tudišević (Tudizić, 1707 - 1788) était membre d'une célèbre famille aristocratique de Dubrovnik et a exercé diverses fonctions d'État dans sa ville (huit fois prince de la République de Dubrovnik, membre de la mission diplomatique à Saint-Pétersbourg). Il est considéré comme le principal organisateur des représentations du théâtre de Dubrovnik dans la première moitié du XVIIIe siècle et l'adaptateur de la plupart des comédies de Molière.


Josip Betondić (1709 - 1764) n'a pas passé la plus grande part de son temps à Dubrovnik, mais a vécu de relations de l'île de Šipan en passant par Dubrovnik jusqu'à sa propriété près de Ston. Lui aussi a fait ses études au Collège des Jésuites de Dubrovnik, a participé activement à la vie théâtrale de Dubrovnik, traduit du latin (S. Tucci, Virgile, Ovide, Caton, les Psaumes) et collectionné des poèmes (oraux) folkloriques. Par conséquent, l'hypothèse selon laquelle il aurait également participé à la traduction de Molière est assez convaincante, car elle a été rendue possible à la fois par son éducation et par l'environnement culturel dans lequel il a travaillé. Il s'était lié d'amitié avec I. F. Sorkočević, le seul traducteur historiquement confirmé des textes dramatiques de Molière, avec lequel il a échangé également ses expériences de traduction.


Compte tenu du contexte, il est assuré que les textes de Molière en Croatie, autant au nord qu'au sud, dans la période de la seconde moitié du XVIIe siècle au début du XVIIIe siècle, intéressaient l'élite sociale croate, et que son œuvre attirait autant les traducteurs des anciens classiques et que les auteurs des formes littéraires contemporaines les plus sublimes et les plus estimées.


Ceci est pleinement démontré par le travail de traduction d'Ivan Franatica Sorkočević (1706 - 1771), avocat, diplomate, homme politique, membre de la noble famille aristocratique Sorkočević, poète et traducteur, qui a également été scolarisé au lycée jésuite de Dubrovnik et étudié en Italie. En tant que jeune poète, il a écrit l'épigramme À la louange du bon commandant de l'armée de l'empereur et du duc Eugène de Savoie (probablement vers 1718). Affirmé comme traducteur du français, du latin et de l'italien, I. F. Sorkočević se distingue parmi les moliéristes de Dubrovnik avec une seule traduction en vers (la comédie-ballet Psyché), également la seule traduction avec indication du nom du traducteur. La traduction de Molière par Sorkočević s'inscrit dans son opus avec celles de nombreux autres auteurs contemporains importants (Montesquieu, Metastasio, Maffei, Goldoni, etc.), de sorte que l'œuvre de traduction de Sorkočević est un excellent exemple de la mode la plus large des « françaiseries » et des « italianeries » ayant inspiré la culture de toute L'Europe. En tant que traducteur, il a respecté le principe des caractéristiques de la versification, il traduit donc Molière avec principalement des quatrains d'octosyllabes, le vers croate le plus dominant de son époque, qui était alors utilisé pour écrire les plus éminents genres littéraires. Dans le contexte traditionnel de la traduction de son temps qui favorisait un plus grand degré d'adaptation et moins de respect pour l'original, I. F. Sorkočević avec ses transcriptions de la littérature italienne, française et latine et en rejetant les ajouts et extensions excessifs de l'original se distingue comme un traducteur extrêmement scrupuleux qui adopte une compréhension moderne de la traduction.


Étant donné que Fran Krsto Fankopan est le premier traducteur croate de Molière (George Dandin - Jarne le riche) et que les traducteurs-adaptateurs de Dubrovnik ont travaillé sur le même texte de Molière, cela vaut la peine de comparer les résultats de leurs travaux. Si l'on rapproche la version de l'adaptation de George Dandin dans le nord croate (F. K. Frankopan, Jarne le riche) avec celle faite plusieurs décennies plus tard dans le sud croate (traducteur anonyme de Dubrovnik, Ilija ou Le mari confondu), des méthodes d'adaptation similaires sont perceptibles, et témoigne d'une pratique courante dans la communication théâtrale européenne.¹⁴ L'adaptation a également été réalisée à Dubrovnik par des moyens traditionnels de substitution : George Dandin dans la version ragusaine est devenu un Bosniaque (Ilija, Ile), Lubin le serviteur farceur de Molière est représenté par la figure du valet Đuro qui est de l'île de Mljet, l'intrique se déroule dans la ville de Dubrovnik, au lieu de chasser les lapins (I, 6), c'est de chasse aux oiseaux à Konavle qu'il s'agit, etc. Comme cette comédie, contrairement à la traduction de F. K. Frankopan, est traduite en son intégralité à Dubrovnik, et le traducteur (Tudišević ou quelqu'un d'autre) suit minutieusement le développement dramatique de Molière, un schéma de procédures est facile à exécuter : les interventions plus importantes des traducteurs commencent quand il s'agit du problème central de la comédie, c'est-à-dire de la mésalliance, car la hiérarchie sociale et la stratification dans la France de Louis XIV différent de celles de Dubrovnik au XVIIIe siècle. D'une manière générale, dans les scènes descriptives, préparatoires et statiques, la transmission est fidèle et précise, les interpolations peuvent aller à l'exagération, parfois la farce est chargée, et le traducteur fait preuve d'une grande intelligence et d'une bonne connaissance de la dynamique de Molière, il répète donc la dernière réplique proverbiale de George Dandin au même rythme. Tandis que Molière écrivait George Dandin pour le public de Versailles, l'adaptateur d'Ilija ou le Mari confondu écrivait pour le théâtre Orsan de Dubrovnik, dont le public s'attendait à des révélations et à un comique populaire. En comparaison, et Molière et le traducteur anonyme ont conçu un texte avec une grande connaissance des destinataires. Le traducteur manifestait une responsabilité vis-à-vis de l'original, mais en même temps l'ambition que sa version franchisse la rampe.¹⁵


Si, en revanche, nous voulons clarifier la relation entre les modes de transmission des textes de Molière à Dubrovnik d'un point de vue traductologique, il faut distinguer l'entreprise de transmission de la Psyché d'Ivan Franatica Sorkočević. Alors que la plupart des moliéristes de Dubrovnik ont réussi des adaptations, Psyché est un exemple de traduction au sens étroit du mot. Suivant le principe de convenance (la bienséance) adapté au goût de Dubrovnik, c'est-à-dire à la moralité du milieu correspondant, Sorkovčević, avec quelques accommodements, a fidèlement transféré à l'environnement croate la pièce conçue comme une cérémonie par excellence, fournissant ainsi une traduction (en vers) et nullement une adaptation du théâtre de Molière : il transmet fidèlement des informations sur le décor et les accessoires de cette cérémonie théâtrale, avec des changements dans la scénographie et toutes sortes de dispositifs scéniques, c'est-à-dire toute une importante richesse scénique.¹⁶

De même que Molière utilisait dans la tradition de la farce et de la commedia dell'arte les mêmes noms d'une part et les mêmes personnages pour les intrigues comiques d'autre part, les traducteurs de Dubrovnik ont eu recours à des noms prédestinés à certains caractères déterminés, qui déjà par leur apparition provoquait chez le spectateur un horizon d'attentes approprié. Mais les noms qui sont répétés dans les comédies de Molière ne sont pas reproduits de la même manière dans les adaptations de Dubrovnik, mais sont réorientés fonctionnellement. Ainsi, Ilija pour George Dandin est resté Ilija dans l'adaptation du Bourgeois gentilhomme sous le titre Ilija Kuljaš, et les noms Đuro le valet, Frano, Vuko, Reno, Franuša, Krila, Anica, etc. sont répétés plusieurs fois dans les adaptations.


L'adaptation d'Ilija Kuljaš (Le Bourgeois Gentilhomme) se distingue parmi d'autres adaptations avec des modifications structurelles importantes, principalement en supprimant les inserts de ballet, en réduisant de cinq à trois actes, c'est-à-dire en supprimant certaines scènes, mais aussi en en ajoutant d'autres et en adjoignant le personnage de Polichinelle (le serviteur de Fran) qui apporte des lazzi comiques. En outre, il y a un écart important par rapport à la fin de la comédie (Ilija Kuljaš renonce aux aspirations aristocratiques avec le consentement que tout le monde aille à la fête malgré la révélation de la fraude). Ceci témoigne de la différence de perméabilité de la cour française dans la hiérarchie sociale par rapport aux classes sociales plus conservatrices de la République de Dubrovnik.¹⁷ Conformément aux principes généraux de remaniement des textes de Molière, des altérations étaient inévitables aux endroits où le dramaturge français introduisit une scène turque exotique : les motifs turcs dans la réalité croate du XVIIe siècle étaient trop proches, et même dans un voisinage immédiat, pour être exotiques et provoquer un effet comique adéquat. Par conséquent, l'adaptateur offre une excellente solution à cette célèbre scène, et les personnages sont déguisés dans la suite d'un roi de la (fantaisiste) Mangarlia, et non du sultan turc, comme dans l'original. Par ailleurs, la notion de cruauté turque se retrouve dans le Dom Juan de Molière et dans le traitement ragusain de Džono aliti gos (I, 1).¹⁸


Une adaptation a été traduite de manière similaire avec le Misanthrope, lorsqu'au lieu de réciter un sonnet, une vieille chanson de forme indéfinie a été citée, puis produite sous la forme d'un madrigal opposé au chant bosniaque : à Dubrovnik à cette époque, le sonnet n'était pas une forme de communication régulière entre honnêtes gens ou prétendants et coquettes ; d'autres formes lyriques étaient utilisées.¹⁹ Dans Le malade imaginaire, l'opposition verset-prose transférée dans un nouvel environnement culturel est en outre sémantisée : c'est une scène qui rompt le flux de prose dans l'original, une sorte de théâtre dans le théâtre, une scène d'amour improvisée à partir d'un opéra (en quatrains d'octosyllabes), avec de nouveaux vers se rapportant librement au modèle original, tout en s'appuyant sur une tradition littéraire autonome dans laquelle le modèle métrique adopté a pris pied dans un mélodrame populaire et répandu.²⁰ Des accents politiques intéressants ont été donnés par l'adaptation de Tartuffe lorsque l'accusation d'hypocrisie et la solution de Lambro (Orgon) se justifient avec beaucoup plus de détails qu'en contient l'ode originale du greffier qu'il adresse au souverain perspicace : là se manifeste une fois de plus d'une part l'adéquation politique du contenu et d'autre part l'adaptation stylistique et historique de la brièveté et de la simplicité classiques dans l'individualité plus détendue inhérente au rococo. Au niveau de la migration des vers originaux français vers la prose croate, l'exemple d'Amphitryon est éloquent, dans lequel le personnage de Sosie n'a rien perdu de sa complexité psychologique, car l'original lui-même dégrade allègrement le registre des notions philosophiques présomptueuses d'égologie narcissique.²¹


La vie théâtrale à Dubrovnik était basée sur des textes croates, et ce n'est qu'en 1729 que l'arrivée des troupes italiennes affectera négativement la production dramatique nationale et la parole autochtone sur les scènes de Dubrovnik.²² Les auteurs des adaptations étaient de jeunes nobles de Dubrovnik dilettantes, membres de l'Académie, qui ont habilement adapté l'œuvre de Molière et vraisemblablement dans des performances et à une époque où il n'y avait pas de comédiens locaux professionnels à Dubrovnik.²³ La perception du travail des adaptateurs anonymes croates est la plus visible dans le fait même de leur anonymat volontaire : leur objectif principal était de divertir leurs concitoyens. Intrigues et constellations dramaturgiques sont restées inchangées, les adaptations conservent les relations fondamentales des textes originaux. Les habitants de la ville de Dubrovnik ressentent un fort mépris pour les autres sujets de la République ainsi que pour les autres provinces (îles, littoral, etc.), dont les localités sont bien plus détaillées que celles que l'on trouve chez Molière.²⁴ Les noms des personnages des textes sources ont été remplacés par des noms courants typés et issus de la tradition du corpus dramatique ragusain, et il arrivait parfois que de l'original le serviteur devienne une femme de chambre, toujours selon les règles de bienséance du milieu dubrovnikois d'alors (par exemple, dans Le Misanthrope (Mizantrop), Basque le serviteur de Célimène est devenu la bonne Nikoleta). Cependant, certains personnages ont conservé leur nom d'origine en raison de la compréhensibilité qui y est associée, comme c'est le cas, par exemple, avec les noms des médecins de Nemoćnik u pameti (Le malade imaginaire). Dans ce contexte, il y a aussi une plus grande présence du vulgarisme dans les adaptations par rapport au vocabulaire plus classiquement mesuré de l'original français, ainsi que le remplacement général des alexandrins par la prose parlée (à l'exception de Psyché). Les changements sont régulièrement conditionnés par les cadres locaux de codes culturels hérités.²⁵ Des comédies mythologico-pastorales (La Princesse d'Élide, Amphitryon et Psyché) se déroulent en Grèce, une comédie héroïque dans des espaces exotiques principalement d'Espagne et de Sicile de réputation glorieuse et chevaleresque (Dom Garcie de Navarre, Dom Juan ou le Festin de pierre, Le Sicilien ou l'Amour peintre), et le troisième milieu est en temps et espace réels Dubrovnik qui remplace Paris ou la province. Les trois genres de comédie avaient leur tradition à Dubrovnik avant l'apparition des adaptations de Molière.²⁶


La dérision moliéresque sur la préciosité a été transférée à l'environnement croate d'une manière particulière : les précieuses existaient à Dubrovnik, mais n'étaient pas institutionnalisées de la même manière. Les aristocrates de Dubrovnik avaient tendance à lire et à écrire de la poésie, de sorte que l'activité littéraire n'était pas un problème pour les artistes de Dubrovnik. À un endroit, une précieuse de L'École des femmes est remplacée par l'image d'une femme déplaisante, ce qui bien sûr ne correspond pas au statut social d'origine d'une précieuse, mais convient à la position du ridicule social. Et dans l'adaptation de Suproć onijem koji su zabavili « Nauk od žena » (La critique de l'École des Femmes), la préciosité sera transposée en autosatisfaction ridicule.²⁷ Les dames de Dubrovnik recourent aux expressions italiennes pour remplacer le vocabulaire élitiste de la préciosité, car cette langue leur semble plus raffinée que la langue locale, et dans la comédie Dosadni (Les Fâcheux), un pédant (Luko) écrit en italien, pensant aussi que l'italien est plus érudit que le croate. L'exposition du code de la préciosité a eu des effets dans un nombre important d'adaptations de Molière, et en plus de celles déjà citées à titre de comparaison, les textes très intéressants de certaines comédies méritent une analyse de ce (sous-)thème Žene pametne (Les Femmes savantes), Mizantrop (Le Misanthrope), Tarto (Tartuffe), Gopodarica od Elide (La princesse d'Élide), Jarac u pameti (Sganarelle ou le Cocu imaginaire), Nauk od mužova (L’École des maris), Ženidba usilovana (Le Mariage forcé), Ilija aliti muž zabezočen (George Dandin ou le Mari confondu).²⁸ Ainsi, par exemple, d'un point de vue féministe, dans les adaptations ragusaines sont encore très visibles comment les femmes de cette époque étaient soumises aux bonnes et mauvaises grâces des décisions de leurs proches et à l'éventuelle générosité du mari en ce qui concerne les biens dans une transaction sexuelle-économique minutieusement réglementée.²⁹ Les pièces à machines, aux mécanismes scéniques, ne manquaient pas sur la scène de Dubrovnik, et les spectacles étaient accompagnés par un orchestre, qui avait une tradition de suivi des représentations théâtrales à Dubrovnik. Les adaptateurs croates ont habillé l'art classiciste de Molière de vêtements plus pittoresques et concrets, même au prix d'en baisser le ton, ce qui donne finalement le goût rococo dominant de Dubrovnik au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. D'autre part, la hiérarchie sociale s'exprime également dans les deux types artistiques de représentation de la réalité : ni dans le théâtre français ni dans le théâtre croate ou sur la scène, il ne faut remettre en cause l'ordre social. Celui qui veut être ce qu'il n'est pas provoque le rire. Et ce rire était tout autant apprécié des autorités de Dubrovnik que de celles de Versailles.³⁰ Avec des déclinaisons, des réductions et des amplifications spirituelles dans les traductions de Molière, les jeunes nobles (la jeune intelligentsia) intégraient des vulgarismes sans que Molière y perde de sa sophistication.


Contrairement à la forme comique théâtrale des smiješnice (« ridiculose », de l'italien) qui existait en Croatie au XVIIe siècle, les adaptations de Molière ont satisfait avec succès le goût d'une couche sociale raffinée qui exigeait un programme plus exigeant. Des adaptations habilement composées, donnant d'une certaine manière un statut de littérature originale,³¹ et les adaptations de Dubrovnik en choisissant la langue croate sont également un signe de résistance aux performances des compagnia di comici dans une langue étrangère italienne, de sorte qu'en tant qu'entreprise collective, elles ont encore pour près d'un demi-siècle reporté la pression qui poussera la langue croate hors de la scène au cours du XVIIIe siècle en faveur des représentations italiennes dans le sud et des représentations allemandes dans le nord. Comme les adaptations de Fran Krsto Frankopan, les adaptations de Dubrovnik ne sont pas détournées, mais sont dérivées des textes français originaux et ne s'accordent pas avec leurs traductions italiennes.³² Certaines traductions étaient également accompagnées d'un avant-propos (celui du Misanthrope d'après le texte de Jean Donneau de Visé) et les textes des adaptations ont fidèlement suivi les instructions des didascalies. Que les traducteurs connaissaient parfaitement la conception de Molière et du théâtre français du XVIIe siècle en témoigne l'avant-propos publié avec la traduction de la comédie galante Gospodarica od Elide où est expliqué quand, à quelle occasion et dans quel contexte de performance cette comédie a été jouée en France au XVIIe siècle, et l'adaptation croate elle-même contient des didascalies se référant aux chants et à la danse, et par exemple, un poème a même été ajouté à l'endroit où Molière écrit en prose, et aussi une aria avec danse, bien que l'adaptation dans son ensemble ait été réalisée en prose.


Les traducteurs n'ont que légèrement retravaillé la splendeur des pièces, se sont éloignés du style baroque dominant en Croatie jusque-là, et en même temps adouci la clarté et l'équilibre du style classiciste de Molière. Il suffisait d'apporter quelques retouches pour adapter l'apparat dramatique de Molière à leurs propres possibilités et besoins.³³ Les jeunes hommes ingénieux et des amateurs émérites de Dubrovnik³⁴ ont stylisé une expression classiciste simple et mesurée, tout en réduisant le foisonnement baroque de l'ancienne dominante stylistique croate. Ils ont donc livré la splendeur de la culture du XVIIe siècle français sous la forme d'un rococo ludique, léger et harmonieux.³⁵


Le travail théorique de Linda Hutcheon reconstituant les valeurs de nombreuses adaptations de Molière est crucial pour en comprendre la réception aussi bien en Croatie que dans le monde.³⁶ Ces adaptations doivent être considérées comme une phase intermédiaire légitime d'acclimatation de Molière, et cette phase intermédiaire avec ses qualités littéraires nous rappelle encore que les adaptations ragusaines sont l'entreprise la plus complète de retranscrire Molière en croate à ce jour, et que bon nombre des traductions dans la langue croate moderne ne peuvent toujours pas les égaler.³⁷


Après la première traduction du texte de Molière par la plume de F. K. Frankopan au XVIIe siècle, la littérature croate dans le nord au cours du XVIIIe siècle reprend et adapte sous des formes un peu plus libres les textes de Molière. En leur temps, ils ont également connu des représentations sur les scènes de villes de Zagreb, Požega, etc. Les performances des jésuites et de leurs disciples dans des espaces intérieurs et extérieurs constituaient des formes d'imitations à la suite de Molière. On suppose que non seulement Plaute mais aussi Molière étaient les sources et les modèles de variantes comiques sur l'avare en latin : Senex avarus (1730, Požega), Tres stulti : amans, avarus et miles (1743, Požega). Parmi elles se trouve une pièce particulière, Avarus quidam (1771), car malgré le titre latin, elle a été jouée en croate.³⁸ Il est également possible que les textes aient été créés sous forme de compilations avec l'influence d'éléments locaux.³⁹ En outre, la langue latine, avec la langue et les dialectes croates, a longtemps servi dans les conditions sociopolitiques données, non seulement de moyen de communication universel, mais aussi de moyen de résistance aux langues allemande et hongroise pour le nord, et italienne en ce qui concerne les régions du sud.


Sur la question des fonctions des interprétations et des interprètes de tels textes, Molière s'inscrit dans le répertoire théâtral standard dans le cadre du système éducatif des séminaristes, mais aussi pour le repos et le divertissement pour le bien de la « jeunesse spirituelle » dans des reprises abouties. D'autre part, les pièces ont été jouées en allemand par des compagnies de théâtre itinérantes d'Autriche et d'Allemagne. Les palais des nobles constituaient un autre type d'espace de jeu, également pour un public choisi, tandis que les citoyens regardaient des spectacles en plein air (la place principale de la ville de Zagreb, etc).⁴⁰


En plus des titres dramatiques latins précités qui ont un lien avec Molière, il existe également trois titres croates qui appartiennent au cercle du patrimoine moliéresque au XVIIIe siècle : les comédies Vdova (La Veuve), Čini barona Tamburlana (Les actes du Baron Tamburlan) et Mislibolesnik iliti Hipokondrijakuš (Le malade imaginaire ou l'Hypocondriaque). Toutes les trois sont des comédies anonymes dans lesquelles on peut voir un modèle de l'œuvre de Molière. Vdova (La Veuve) s'est inspirée de La comtesse d'Escarbagnas de Molière⁴¹ et l'action est située à Zagreb. Le personnage principal est une riche veuve d'un âge avancé en province (la province dans l'adaptation est la Slavonie, région à l'est de Zagreb) et que divers prétendants courtisent pour ses biens.


La comédie Čini Barona Tamburlana (Les actes du baron Tamburlan ou La Figure du dilapidateur insensé) a été conservée en deux versions. La comédie expose les vices et les défauts sociaux d'un environnement social conservateur. Bien que rappelant Le Bourgeois gentilhomme de Molière, sa source pourrait aussi être la comédie italienne Figlio di gran Turco de Ferdinand de Bourbon de Parme (Parme, 1774). Indépendamment de son origine inconnue, cette comédie kajkavienne est l'une des plus jouées de son temps, ce qui témoigne de son universalité et de son adéquation structurelle à l'esprit de l'époque de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Une pièce de théâtre en trois actes intitulée Čini barona Tamburlana (Les actes du baron Tamburlan), qui a été jouée au théâtre du séminaire de Zagreb au tout début du XIXe siècle, est une version plus longue et en même temps plus ancienne. Cette version plus longue fait un lien plus direct avec le texte de Molière. Cette comédie montre le lien entre la littérature et la culture croates du nord et du sud : il s'agit d'une comédie dans le dialecte kajkavien rattaché à Zagreb et au nord de la Croatie qui présente des événements dans le sud et localise l'intrigue dans la ville de Dubrovnik. Une version plus courte (et moins réussie) de la pièce en un acte s'appelle Baron Tamburlanovič ili Pelda nerazumnoga potroshlivcza (Le baron Tamburlanovich ou La Figure le dilapidatateur insensé), sans qu'à ce jour n'ait été déterminé quel était son modèle original. Son action est située dans la ville de Krapina, et le souvenir de la guerre contre les Espagnols s'est transformé en guerre contre les Français. Avec des relations familiales quelque peu modifiées en deux versions, l'ossature de l'intrigue reste toujours la même : le jeune Tamburlan, dont le père (dans la variante courte, l'oncle) a acquis la baronnie en tant que fournisseur de guerre, dilapide les biens et l'argent comme le Jourdain de Molière. L'intrigue a aussi quelques traits révélateurs : se succèdent des scènes aux fonctions axiologiques, rationalistes, didactiques, des leçons morales et sociales, destinées au prodigue déraisonnable. L'intrigue est unique avec des épisodes étroitement liés, des personnages dramatiques clairement dessinés et des conceptions dramatiques formulées avec précision qui en font une comédie classique bourgeoise avec des éléments visibles de comédie érudite.⁴²


Il est possible que la comédie en trois actes Mislibolesnik iliti Hipokondrijakuš, écrite en 1802 et créée lors des carnavals en 1803 au Théâtre du Séminaire de Zagreb, prennent ses racines chez Molière, mais elle n'est pas née d'une imitation directe du Malade imaginaire. Elle est parvenue à Zagreb sous cette forme indirectement par des sources italiennes (C. Goldoni) et autrichiennes (J. G. von Laudes). L'intrigue se déroule dans un noble manoir du nord de la Croatie où vivent le comte « hypocondriaque » Ferdinand Zadravec et son frère, l'incorrigible paresseux Laszlo, et la structure humoristique de Molière est reconnaissable à la relation entre les motifs comiques et les mesures classiques : les conventions des unités de lieu et de temps sous une adroite conjonction de certaines ramifications thématiques en un dénouement unique et la bienséance dans la caractérisation des personnages. Dans cette comédie, selon les principes classicistes et éclairés au sein d'une micro-communauté (la curie aristocratique, ses habitants et les invités), un système de valeurs et de possibles répercussions sur l'environnement national au sens large se trouve standardisé.⁴³


La littérature croate a montré un intérêt continu pour le comique de Molière comme stimulant à la traduction, tout en instituant en elle un comique universel dans le cadre de la particularité de certaines circonstances sociales et historico-politiques. Ces textes au XVIIIe siècle représentaient également un intérêt pour le goût français en tant qu'expression d'un style artistique particulièrement reconnaissable. Les pièces de Molière prouvent qu'il était l'auteur favori pour se produire dans la langue vernaculaire, adaptable sous différentes conditions, d'autant plus que la diversité de son opus allant de la farce à la haute comédie classique pouvait satisfaire les demandes et les goûts les plus variés. De la sorte, la littérature dramatique croate a exprimé sa résistance à la pénétration d'un répertoire théâtral et de troupes de théâtre venus d'Italie et d'Autriche, tout en exprimant une préférence pour des textes dramatiques fermement motivés et psychologiquement raffinés du type de ceux de Molière.



traduit par Nicolas Raljevic





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¹ Ce texte a été publié dans « La première réception de Molière dans l'espace européen (1660-1780) », Littérature classiques 2021/3 (N° 106), Presses universitaires du Midi, pp. 165-178, sous la traduction française de Nicolas Raljevic ; ainsi que dans « Deux "moliérades" croates », Collection Classiques, Prozor éditions, 2022, pp. 139-161.


² Z. Kravar, Studije o hrvatskom književnom baroku, Zagreb, Nakladni zavod Matice hrvatske, 1975; Z. Kravar, Das Barok in der kroatischen Literatur, Köln–Weimar–Wien, Böhlau, 1991; Nakona godine MDC, Dubrovnik, Matica hrvatska, 1993.


³ T. Matić, « Ein Bruchstück von Molières George Dandinin der Übersetzung F. K. Frankopans »,Archiv für slavische Fhilologie, 29, Berlin, 1907, p. 529-549; J. Vončina « Fran Krsto Frankopan », dans F. K. Frankopan, Djela, Zagreb, SHK, Zagreb, Matica hrvatska, 1995, p. 13-57 ; Z. Kravar, « Frankopan, Fran Krsto », dans V. Visković (dir.), Hrvatska književna enciklopedija, 1, Zagreb, Leksikografski zavod Miroslav Krleža, 2010, p. 557-558; Luc Oreskovic, «Esquisse historiographique d'une ambivalence : les Frankopan, héros chrétiens ou affidés du Grand Turc », West Croatian History Journal, 8, 2013, p. 1-17.


⁴ J. Lisac, « Dijalekatska osnovica u jeziku hrvatske dopreporodne drame », Hrvatski dijalektološi zbornik, 10, 1997, p. 71-84 ; M. Tomasović, O hrvatskoj knjževnosti i romanskoj tradiciji, Zagreb, Mladost, 1978, 107-121.


⁵ J. Lisac, « Dijalekatska osnovica u jeziku hrvatske dopreporodne drame », Hrvatski dijalektološi zbornik, 10, 1997, p. 71-84.


⁶ T. Matić, Molièreove komedije u Dubrovniku, Rad JAZU, t. 166, 1907; M.Deanović, « Predgovor », Dubrovačke preradbe Molièreovih komedija, I-II, SPH, t. 36-37, J. Torbarina (éd.), Zagreb, JAZU, 1972-1973, p. 5-30 ; M. Tomasović, « Aspekti recepcije Molièrea u osamnaestostoljetnom Dubrovniku », Zapisi o Maruliću i drugi komparatistički prilozi, Split, Logos, 1984; S. P. Novak, « Frančezarije », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 220-221; L. Plejić Poje, « Frančezarije », dans V. Visković(dir.), Hrvatska književna enciklopedija, t. 1, A-Gl, Zagreb, Leksikografski zavod Miroslav Krleža, 2009, p. 553-554.


⁷ P. Pavličić, « Tipovi uporabe stiha u dubrovačkim preradbama Molièreovih scenskih djela », Stih u drami & drama u stihu, Zagreb, Zavod za znanost o književnosti, Sveučilišna naklada Liber, 1985; L. Čale Feldman, « Molière » dans D. Detoni-Dujmić (dir.), Leksikon stranih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2001, p. 727; J. Tarle, « Molière » dans D. Detoni-Dujmić (dir.), Leksikon stranih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2001, p. 726-727.


⁸ S. P. Novak, « Frančezarije », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 220-221.


⁹ Respectivement les Inconnus, les Unis, les Embrouillés.


¹⁰ S. P. Novak, « Frančezarije », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 220-221.


¹¹ M. Foretić, « Kanavelić, Petar », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 331-333.


¹² M. Foretić, « Kanavelić, Petar », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 331-333; M. Foretić, M. Foretić, « Bunić, Ivan Sarov », dans K. Nemec, D. Fališevac, D. Novaković (dir.), Leksikon hrvatskih pisaca, Zagreb, Školska knjiga, 2000, p. 116-117.


¹³ S. P. Novak, « Petar Kanavelić », dans Petar Kanavelić, Vučistrah, Zagreb, Matica hrvatska, 2004, p. 145-167.


¹⁴ M. Tomasović, « Dubrovački George Dandin », O hrvatskoj književnosti i romanskoj tradiciji, Zagreb, Mladost, 1978, p. 111.


¹⁵ M. Tomasović,ibid., p. 120.


¹⁶ C. Pavlović, « Molièreove svečanosti à la ragusaine », dans N. Batušić et al. (éd.), Dani Hvarskoga kazališta. Igra i svečanost u hrvatskoj književnosti i kazalištu, t. 31, Zagreb–Split, Hrvatska akademija znanosti i umjetnosti – Književni krug, 2005, p. 62-75.


¹⁷ L. Čale Feldman, « Ilija Kuljaš », Leksikon hrvatske književnosti – Djela, Zagreb, Školska knjiga, 2008, p. 252-253 ; D. Fališevac, Dubrovnik – otvoreni i zatvoreni grad, Zagreb, Naklada Ljevak, 2007, p. 243-295.


¹⁸ L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001, p. 155.


¹⁹ D. Fališevac, Dubrovnik – otvoreni i zatvoreni grad, Zagreb, Naklada Ljevak, 2007, p. 243-295 ; P. Pavličić, Stih u drami & drama u stihu, Zagreb, Zavod za znanost o književnosti, Sveučilišna naklada Liber, 1985.


²⁰ P. Pavličić, Stih u drami & drama u stihu, Zagreb, Zavod za znanost o književnosti, Sveučilišna naklada Liber, 1985, Lada Čale Feldman, « Nemoćnik u pameti », Leksikon hrvatskih pisaca – Djela, Zagreb, Školska knjiga, 2008, p. 503-504.


²¹ L. Č. Feldman, « Sozija, jedan drugi ja isti : Amfitirion ponovljen », dans T. Bogdan et. al. (dir.), Perivoj od slave. Zbornik Dunje Fališevac, Zagreb, FFpress, 2021, p. 85-97.


²² L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001, p. 143–168.


²³ M. Deanović, « Predgovor », Dubrovačke preradbe Molièreovih komedija, I-II, SPH, t. 36-37, J. Torbarina (éd.), Zagreb, JAZU, 1972-1973, p. 5-30; N. Batušić, Povijest hrvatskoga kazališta, Zagreb, Školska knjiga, 1978,p. 157–164.


²⁴ L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001, p. 152, 157.


²⁵ D. Fališevac, Dubrovnik – otvoreni i zatvoreni grad, Zagreb, Naklada Ljevak, 2007, p. 243-295.


²⁶ L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001, p. 150.


²⁷ Čale Feldman,Onkraj pozornice, Zagreb, Disput, 2019., p. 251.


²⁸ L. Čale Feldman, « Žene pametne », Književna smotra, L, 187 (1), 2018, p. 5-22.


²⁹ L. Čale Feldman, Onkraj pozornice, Zagreb, Disput, 2019., p. 250.


³⁰ L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001, p. 165-167.


³¹ L. Muraj, « Molière preobučen na dubrovačku », Dubrovnik, Zagreb, Matica hrvatska, 1, 2001,p. 143–168.


³² M. Deanović, « Molière u povijesti dubrovačkoga teatra XVIII. vijeka », dans M. Franičević et al. (éd.), Dani hvarskog

kazališta. XVIII. stoljeće, t. V, Split, Čakavski sabor, 1987, p. 123.


³³ E. Stipčević, « O odnosu kazališta i glazbe u Hrvatskoj u 18. stoljeću », dans N. Batušić et al. (éd.), Dani hvarskoga kazališta. Hrvatska književnost 18. stoljeća – tematski i žanrovski aspekti, t. XXI, Zagreb – Split, Hrvatska akademija znanosti i umjetnosti, Književni krug, 1995., C. Pavlović, « Molièreove svečanosti à la ragusaine » , dans N. Batušić et al. (éd.), Dani Hvarskoga kazališta. Igra i svečanost u hrvatskoj književnosti i kazalištu, t. 31, Zagreb – Split, Hrvatska akademija znanosti i umjetnosti – Književni krug, 2005, p. 62-75.


³⁴ M. Deanović, « Predgovor », Dubrovačke preradbe Molièreovih komedija, I, SPH, t. 36, J. Torbarina (éd.), Zagreb, JAZU, 1972, p. 1-8.


³⁵ C. Pavlović, « Molièreove svečanosti à la ragusaine », dans N. Batušić et al. (éd.), Dani Hvarskoga kazališta. Igra i svečanost u hrvatskoj književnosti i kazalištu, t. 31, Zagreb – Split, Hrvatska akademija znanosti i umjetnosti – Književni krug, 2005, p. 62-75.


³⁶ L. Hutcheon, A Theory of Adaptation, London – New York, Routledge, 2006.


³⁷ L. Čale Feldman, « Žene pametne », Književna smotra, L, 187 (1), 2018, p. 20-21.


³⁸ Đ. Novalić, « Molière u sjevernoj Hrvatskoj », Gesta, 15‒16, 1983, p. 83‒90.


³⁹ N. Batušić, Povijest hrvatskoga kazališta, Zagreb, Školska knjiga, 1978, p. 173-175.


⁴⁰ Đ. Novalić, « Molière u sjevernoj Hrvatskoj », Gesta, 15‒16, 1983, p. 83‒90.


⁴¹ Đ. Novalić, « Molière u sjevernoj Hrvatskoj », Gesta, 15‒16, 1983, p. 83‒90.


⁴² D. Fališevac, « Kajkavska komedija “Čini barona Tamburlana” », Mogućnosti, 25 (1978), p. 2-3.


⁴³ Mislibolesnik iliti Hipokondrijakuš, réd. N. Batušić, Zagreb, Disput, 2001.



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