Pays non-alignés 4/4
Mémoires d'un genou ivre
Destruction du genou droit
démontre sans équivoque
que la discipline n'est pas le seul problème du corps
cela confirme aussi que nous ne nous rencontrerons pas
Au bord du fleuve, plus jamais comme ça :
je cours le long du rivage
suivi de ton regard !
Une vingtaine d’années plus tard, j'ai réalisé
que sur le balcon de ma mémoire
tu n’as jamais été.
Ce n'était même pas ton balcon.
Comment expliquer la vérité au frisson érotique
de mon ancien genou ?
Que faire de l’image au bord de la rivière
dans la ville entre les guerres
pendant qu’au passage les épaules
de futurs incendiaires et voleurs de chevaux se frôlent ?
Mon genou en ruine
ne veut rien avoir à faire avec ça
et conformément à cette décision, il se rend
au comptoir improvisé de la plage caribéenne.
Aucun rêve de quoi que ce soit
À l’exception de tout
Ce qui se passe juste dans le champ de vision.
Je suis tombé par terre
Je suis tombé par terre
me frappaient
au moins cinq paires de chaussures :
noire
rouge
en cuir
des Doc
baskets
ça faisait mal au début
horriblement et insupportablement
éternellement
et effrayamment
jusqu’à une
explosion dans ma tête
et la douleur devint presque
douce
Les coups n'arrêtaient pas d'arriver
de tous côtés
Ils me
touchaient
précisément dans la tête
dans la poitrine
dans l'estomac
je sentais la casse
de mes os
Les doigts se cassaient
et les yeux devenaient plus
lourds
j'ai entendu un cri
de leur euphorie
je savais que la fin arrivait
et c'est pourquoi
je les ai rejoints moi-même
par la pensée
en arrachant
mon propre cœur
chirurgicalement à fond
précisément et durablement
Puis tout s'est arrêté
Suzanne m’emmène
katarina
est suzanne
sanja est suzanne
ana est suzanne
barbara est suzanne
diable
d'un coup
tellement d'elle
partout où je tourne
suzanne
tout autour de moi
partout où je regarde
partout pareil
seule
solitaire
attend que je vienne
que je lui parle
suzanne sait
qu'à cause d’elle
je n'ai personne
243ème chœur
À Marko
Jack est mort
C'est la pensée
qui me terrifie
dans ces limpides
nuits
Jack est mort
et je marche
en rythme
Des pas Monk-Gillespie-Parker
perdants de futilité
qui lui a
arraché le foie
Et je répète
Sans arrêt
Jack est mort
Jack
est
Jack
mort
est
Jack
Est Jack
traduit par Tamara Radovanović
*
Mehmed Begić, né en 1977 à Čapljina en Bosnie-Herzégovine est poète et l’un des fondateurs et rédacteurs du magazine littéraire de Mostar “Kolaps – guide pour des somnolants urbains”. Il a publié les recueils de poèmes suivants : “En attendant le boucher” (2002), “Poèmes de chambre” (2006), “Une balle parfaite à l’estomac” (2010), “Heures tardives à Managua” (2015), “L’homme dangereux” (2016), “Le temps de morphine” (2018). “Lettres de Panama : jazz de détective” (2018), “Pays non-alignés” (2019), “L’obscurité sauvage” (2020), “ Lettres de Panama ” (réédition, 2021), “L’araignée dans la mescaline” (2021), “Bebop / Hypnose” (2021). Sa traduction des poèmes de Leonard Cohen a été publiée dans le livre “Ma vie d’artiste”, sélection de poèmes (2003). Il traduit également de la poésie hispanophone. Begić fait partie des auteurs présentés dans le livre d’entretiens et de poésie “Car on est nombreux” rédigé par le poète Marko Pogačar. Il collabore avec des musiciens et écrit pour des revues et des portails littéraires.
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Tamara Radovanović, 21 ans, vit à Paris où elle fait ses études. Titulaire d'un baccalauréat économique et social, elle choisit de s’inscrire à l'UFR d'Études Slaves de Sorbonne Université. Actuellement étudiante en master 1 BCMS (bosniaque-croate-serbe-monténégrin) spécialité linguistique. Elle a également fait partie d’une association culturelle et artistique franco-serbe Biseri Perles. Dernièrement, elle a participé au projet Translab Sarajevo-Paris, ce qui lui a permis d’acquérir des outils et des méthodes de traduction littéraire.