Spleen de Sarajevo

Spleen de Sarajevo (Sarajevo Feeling) de Almir Bašović
mis en scène par Thomas Steyaert en 2021/2022 au Théâtre de guerre de Sarajevo SARTR
résumé de la pièce d'Almir Bašović Spleen de Sarajevo
Sarajevo avant le début du siège. Un groupe de jeunes ne réalise pas comment, d'acte en acte, la guerre s'installe. Une génération qui sera presque effacée par la guerre vit les derniers jours d'un État. Cette génération fonctionne comme un personnage dramatique chez Tchekhov. Plongés dans un présent insupportable, les personnages parlent du passé, rêvent de l'avenir et tentent de réfléchir à leurs peurs et à leurs espoirs.
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Almir Bašović né en 1971 à Sarajevo, a obtenu son diplôme, sa maîtrise et son doctorat à la Faculté de philosophie de Sarajevo, où il est professeur titulaire au Département de littérature comparée. Il est également collaborateur permanent à l'Académie des arts dramatiques à Sarajevo (ASU). Il a publié plus d'une centaine d'articles scientifiques, d'essais et de critiques, tant dans le pays qu'à l'étranger. Il est l'auteur des livres suivants : Tchekhov et l'espace, Masques du sujet dramatique, Calames et notes et Le théâtre caché d'Andrić. Il a écrit cinq pièces : Visions du siècle d'argent, RE : Pinocchio, Coassements, Sarajevo Feeling et Visages. Ces pièces ont été publiées dans le recueil Quatre pièces et demie et traduites en onze langues. Elles ont été jouées à Sarajevo, Zenica, Tuzla (Bosnie-Herzégovine), Vienne (Autriche), Brno (République tchèque), Belgrade (Serbie) et Skopje (Macédoine du Nord). Il a remporté des prix pour la meilleure pièce lors des festivals de théâtre à Jajce (2020) et Zenica (2004). Pour le livre Quatre pièces et demie, il a reçu le prix Kočićevo pero (2020). Pour son travail pédagogique et scientifique à l'ASU Sarajevo, il a reçu le prix Dr. Razija Lagumdžija. Ses pièces figurent dans des anthologies de théâtre bosnien. Visions du siècle d'argent a été sélectionnée par la Convention théâtrale européenne (ETC) parmi les 120 meilleures pièces contemporaines européennes. Elle a été publiée à Sarajevo dans un livre avec des traductions en dix langues (2022). Il est membre de la Société des écrivains et du Centre P.E.N. en Bosnie-Herzégovine.
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Spleen de Sarajevo
pièce avec chanson et des tirs
PERSONNAGES :
ALEN, 22 ans, coupe militaire, un peu/légèrement amoureux de Maja
MAJA, 21 ans, légèrement amoureuse d'Alen
PIPA, 22 ans, coupe militaire, amoureux d'Aida
AIDA, 20 ans, amoureuse de Pipa
MIKI, 24 ans, amoureux de Matea
MATEA, 22 ans, cœur d'artichaut
DENI, 25 ans, petit ami de Saška
SAŠKA, 23 ans, petite amie de Deni
SLAVIŠA, 23 ans
SAC D’OS, 32 ans, très gros, il pèse pas loin de 100 kg
MELISA, 23 ans
PAPI, plus de 70 ans
Note :
Dans son article Plasticity and evolution in drought avoidance and escape in the annual plant Brasicca rapa, le biologiste Steven J. Frank avance que la caractéristique commune des plantes qui poussent dans des conditions de stress est qu'elles fleurissent et fructifient plus tôt en comparaison aux plantes de la même espèce qui poussent dans des conditions et un environnement optimal. Ainsi, les plants de navet blanc (Brasicca rapa L.) qui poussent dans un contexte de sécheresse fleurissent plus tôt que ceux qui poussent dans des conditions environnementales optimales d'humidité. Cette maturation précoce des plantes démontre leur adaptation au stress provoqué par la sécheresse.
ACTE PREMIER
Début du mois de juin de l'année 1991. Le salon dans l'appartement du grand-père d'Alen à Sarajevo. Pipa, Miki et Matea sont assis à une table couverte de boissons et de plats divers. Deni et Saška sont assis dans un fauteuil. Alen se tient debout dans le couloir et dit au revoir à ses parents, qu'on ne voit pas sur la scène.
ALEN : Allez c'est bon, la vieille. Mes potes sont là, si tu me crois pas. J'ai eu un vaccin à l'armée, maintenant je peux même manger de l'herbe, des lustres, des radiateurs, et des officiers ... Je peux aussi manger le plat à four brûlant, alors de la pita froide, ça passe tranquille ! Un temps. Ne t'inquiète pas pour Papi. Il est à son poste, nous le libérerons sain et sauf. Il fait le salut militaire. Soldat Alen Begović au rapport !
Alen s'assoit à table et fait un signe de la main qui veut dire « Ils me gavent ».
ALEN : Putain ! Les autres là-bas me poussent à faire la guerre, eux ici me tuent par leur accueil chaleureux ... Papi me soûle avec ses histoires de partisans ... Si Sarajevo m'avait pas manqué, je supplierais les Slovènes de me garder avec eux en prison pendant les cinquante-neuf jours à venir.
MIKI : Eh ben. Cinquante-neuf ? C'est réjouissant ...
ALEN (qui sort un calendrier de sa poche) : cinquante-neuf moins trois. Je vais donner mon sang bénévolement quand je reviens. Je leur donnerai 400 ml de A positif pour qu'ils m'enlèvent trois jours de service. C'est donnant-donnant.
DENI : Notre armée yougoslave nationale fait face à de gros dilemmes. Du chou farci, Papi ou la sécession, c'est maintenant que la question se pose ! Saška et moi, nous choisissons le chou farci.
Deni se sert un chou farci. Il le donne à Saška pour qu'elle croque dedans.
PIPA : Et voici une devinette populaire : qu'est-ce qui se roule comme le chou farci et la pita, vous transforme en moulin à paroles comme Papi, mais ce n'est ni de l'histoire ni de la nourriture ? La réponse est ... taratata !
DENI : Tu auras la réponse à ta devinette quand Slaviša aura apporté la came de Pero. C'est un roulé historique ! Du haschisch qui vient d'un bateau de Kardeljevo, de seconde main. Il efface tous les souvenirs désagréables.
PIPA : Tu en oublies même dans quelle armée tu as servi. J'ai vérifié ... Plusieurs fois.
ALEN : Mais ils sont où ?
MIKI : Elle va venir, t'inquiète. On l’a invitée à la fête.
ALEN : Qui ?
MIKI : Regarde-le, qui ? Maja.
PIPA : Miki s'y connaît en bonnes manières. Putain, t'es quand-même une sorte de presque héros. Tu as survécu à la guerre ...
ALEN : Et tu n'as pas peur, toi, camarade Pipović, que Maja vienne avec Aida ?
PIPA : Moi, j'ai truandé l'armée d'une année, et de toute façon, on parle pas de moi. Il sort un papier de sa poche. Le diagnostic est là, noir sur blanc. La signature du psychiatre et de la commission. Le tampon ... Viens-là que je te gifle avec ce papier, espèce de bleu !
SAŠKA : Enfin quelqu'un qui a écrit ce que nous pensons tous de Pipa.
DENI : Laisse tomber Pipa. Alen a participé à un événement historique important, comme dirait son grand-père. Un seul putain de jour, c'est vrai, mais il a quand-même participé.
MIKI : Deni a raison, Alen. Tu n'as pas tiré, mais tu as apporté ton humble contribution.
SAŠKA : Dans cinquante ans, on parlera peut-être de toi comme d'un héros. Ça dépend qui gagne. Ceux qui, genre, attaquent, ou ceux qui, genre, se défendent.
MATEA : Une moitié de moi va sûrement, genre, gagner ... Et Maja a, genre à cause de la fac, refusé d'aller à Milan faire un défilé ? La fac en juillet ? C'est ça, bien sûr ...
MIKI : Elle a tout de suite accepté de venir à la fête. Pour voir les anciens potes ...
ALEN : Vous me soûlez avec Maja, plus que Papi avec la bataille de la Neretva.
SAŠKA : Ah, sa majesté Papi ! Il dit quoi sur la bataille ? La Neretva était fraîche, le ciel était couvert, mais plus tard dans le film, en vrai, il était tout plein d'étoiles.
DENI : Elle est bien bonne son histoire avec les malades du typhus. Elle dit quoi sa majesté, déjà ? On avait tous de la fièvre mais on savait pas qui à cause du typhus et qui à cause de la révolution.
ALEN : Faut pas que Papi vous entende l'appeler sa majesté. Il monterait tout de suite au créneau pour vous conter une courte histoire d'un jour et demi au sujet du roi qui a fui la Yougoslavie pour Londres dès que la guerre a commencé.
SAŠKA : Mais il n'est pas le seul à avoir fui. On en a un exemple ici aussi.
MATEA : Alen, il va se passer quoi avec toi en fait, maintenant ?
ALEN : Quinze jours d'absence puis on me réaffecte. Ne parle pas de ça, je te jure, s'il te plaît.
MIKI : Le gars, il s'est rendu en un temps record à l'armée adverse.
ALEN : Tu vois, Miki, je me suis rendu à aucune armée. Je me suis rendu à la Défense territoriale de Slovénie. Il s'approche de la fenêtre et regarde dehors. Sarajevo est le seul territoire qui m'intéresse. Mec, ils nous ont fait décoller de l'aéroport de la base et on a volé dans l'avion de transport militaire, Ana 24. Et d'un coup, pfiou ! Nous voilà au-dessus de Sarajevo !
MIKI : Et c’est là que tu sors la réplique de Walter défend Sarajevo. Ich werde sie Ihnen zeigen. Sehen Sie diese Stadt? Das ist Walter.
ALEN : Je reconnais le cimetière de Bare, le stade de Koševo, la rue Miskin, le centre culturel et sportif Skenderija, les quartiers Grbavica et Alipaša, la ville d'Ilidza ... Même la Miljacka ressemble à une vraie rivière vue du dessus. Je me sens pas bien ...
PIPA : Ça va ? Tu veux t'allonger un peu ?
MIKI : Pour de vrai, là sur le canapé ...
DENI : Tu veux t'asseoir dans le fauteuil, qu'on se déplace ?
ALEN : Allez vous faire foutre ! Emmerdez quelqu'un d'autre.
MIKI : Ah mon parachutiste tombé du ciel, à Sarajevo, les sous-sols sont maintenant plus importants que les hauteurs célestes. Tu sais que tous les quartiers construits pour les Jeux Olympiques possèdent des abris anti-atomiques ? En bas, c'est vraiment animé. À un endroit, ils ont ouvert un bowling, à un autre une discothèque, et le père de Renata a ouvert une salle de billard dans le quartier olympique. Elle a volé les clés et on a frappé les boules jusqu'au petit matin. A Matea. Tu pourrais venir toi aussi un jour ...
MATEA : J'aime pas le billard. L'autre imbécile de Slovénie qui a aidé Alen à se rendre était obsédé par le billard. Et voilà, j'ai vraiment pas de chance ! Je tombe amoureuse d'un Slovène qui fait pas de ski mais qui pousse des boules sur une table avec un bâton.
SAŠKA : Mais Matea, tu es à moitié slovène ... Tu sais ce qu'on chantait aux Jeux Olympiques quand Jure Franko a gagné une médaille : nous aimons Jure plus que le poulet ! Ça donnerait quoi, du coup, nous aimons Alen plus que ...
MATEA : Ma chère Saška, il rime pas avec la nourriture slovène, lui. Il rime qu'avec Maja. Lui avec elle, elle avec Sid. A eux trois, c'est une véritable Couronne de sonnets.
ALEN : Je suis pas vraiment un héros de film ...
PIPA : Plutôt un personnage de comédie noire.
Un temps. Alen s'approche de la fenêtre.
ALEN : L'école a l'air ridiculement petite maintenant ... Vous savez quoi, les amis ? On pourrait aller en ville ce soir. Sarajevo m'a manqué. Putain, je l'avoue. Mon âme s'est éclairée, j'ai l'impression, depuis que je suis là ... Hé, je fais dans la poésie maintenant. Rigolez mais sans déconner, j'ai été saisi par une sorte de ... feeling. Une sorte de ... Sarajevo feeling ...
MIKI : Mon pote, si on m'avait proposé quinze jours de permission pendant que je faisais l'armée, je me serais même rendu aux Bulgares ou aux Roumains, alors aux Slovènes, j'en parle même pas ! Aux dames du bloc de l'est en particulier. Autour de la caserne, chez moi, c'est celles qui proposaient leur chatte pour trois sous qui étaient les plus actives ... Un temps.
Je te jure, j'ai enlevé l'uniforme y a deux ans ... c'est comme si c'était y a vingt ans.
DENI : Moi, je me rendrais aux Afghans. Tu verras, Alen, y a rien de mieux que le hashish afghan de Pero.
SAŠKA : Moi, je poserais candidature pour le harem.
Deni couvre d'un fichu le visage de Saška, comme s'il faisait d'elle une femme de harem. Ils s'embrassent.
ALEN : ll manquait plus que vous, les tourtereaux. S'adressant à Deni. Le pacha, quand tu viendras au harem, n'hésite pas ...
SAŠKA : C'est pas tant à cause de Deni, mais il est vraiment bien l'Afghan de Pero.
MATEA : On a bien fumé l'autre soir devant Kuk. Sid est un dieu ! Tu sais à quel point ses yeux deviennent rouges quand il fume trop ?
PIPA : Sarajevo a même niqué Jérusalem en nombre de religions. Si on met de côté les classiques, on en a même une nouvelle. On l'appelle le redaïsme, d'après le dieu aux yeux rouges. Matea a été la première à se convertir.
MIKI : Le tour de Matea viendra jamais si elle passe après la grande prêtresse Maja.
ALEN : Ils ont fini par enregistrer leur disque ?
MATEA : Tu veux dire, est-ce que Sid est toujours avec Maja ?
ALEN : Je veux dire, il est où ce joint ? Vous êtes vraiment des rapides par ici ... Je dis ça, je dis rien ...
MATEA : Eh oui, vraiment, trop rapides. En avril, quand les gens attendaient le bus de nuit, à côté de la Flamme Éternelle, un mec est passé en voiture à plus de 80 à l'heure.
ALEN : Il conduisait sûrement pas Slaviša, celui-là. À tous les coups, il est tombé sur l'autre gros et ils roulent tous les deux ensemble maintenant ...
MATEA : Celui-là, il a renversé le fameux Gaga de Hrasnica près de Čeko et l'autre blondinet d'Otoke. Bam ! Les deux sont morts ! Une chance que Melisa et moi, on soit passées à la boulangerie Jerlagić. Il nous aurait peut-être renversées nous aussi.
SAŠKA : Et c'est vrai qu'on espère tous les soirs en secret que quelqu'un va nous renverser ...
MATEA : J'espère que quelqu'un va me renverser au café BB ou devant la Poste, mais pas dans la rue pendant que j'attends le bus de nuit. Putain ! 80 à l'heure en ville ! Mais c'est quoi, ça ? Ça sera bientôt plus sûr d'être au front qu'en plein milieu de Sarajevo !
Quelqu'un sonne à la porte.
ALEN (sort dans le couloir) : Les voilà.
MIKI : Alen, recoiffe-toi. Oups ... J'avais oublié que tu t'étais coupé les cheveux pour une raison précise.
Alen sort, puis rentre avec Melisa, Maja et Aïda. Melisa et Aïda font la bise à Alen.
ALEN : Laissez moi juste vous présenter des dames un peu oubliées : Aïda, Melisa et Maja.
AÏDA : Salut tout le monde !
MELISA : Bonsoir.
MAJA : On se fait pas la bise.
ALEN : Les filles, servez-vous. Buvez quelque chose. Toi, Aïda, assieds-toi près de Pipa, il parlait justement de toi.
MAJA : Y a du jus ? J'ai passé la journée d'hier à picoler avec Danka. On a traîné en ville comme des imbéciles. Et on a fini à Koševsko Brdo dans une fête de malades ...
MIKI : Maja, tu passes ton temps dans des fêtes. Ça t'arrive de défiler sur des podiums ?
MAJA : Y a pas longtemps, j'ai défilé sur une piste. Ma vache s'était sauvée et était allée brouter près de l'aéroport, j'ai failli pas la rattraper. J’ai bien failli me faire percuter par un avion. Mais ça va, elle a recommencé à donner du lait. Elle en avait plus. Sans doute le stress.
PIPA : L'herbe et les avions éliminent le stress, c'est un fait.
AÏDA : Moi, j'ai ouvert un magasin d'art indépendant, Zemberek. Je vends des chaussons avec des éperons, des bottes en caoutchouc avec des becs d'aigle, des chapeaux type nid de cigogne. Ça marche pas très bien, mais j'ai une chance d'être décorée de la médaille de l'Ordre de la folie et de la persévérance. T'en penses quoi, Pipa ?
PIPA : Je soutiens tout ce qui est fou et persévérant.
ALEN : Melisa, la Belle aux larmes tombantes, quoi de neuf chez toi ?
MELISA : Ben voilà, je pleure. Je cours après des papiers, mais pas des mouchoirs en papier. Je pars pour la Suède ... Et toi, Pipa ? Tu vas devoir finir ton service ?
PIPA : Je passe devant la commission médicale dans un an ...
AÏDA : Sérieux, qu'est-ce qui t'a pris de partir juste avant la fin ?
PIPA : Il m'a pris un putain de bien. Là où j'ai fait mon service militaire, c'était une ville incroyablement petite, charmante, calme, ennuyeuse, merdique, stupide, attardée, idiote, étroite d’esprit et imbécile sur les rives d'une rivière encore plus petite et bien pire que ça. Tout autour se trouve une très jolie plaine qui vous fait penser à une merde bien écrasée, et à l'endroit où j'étais, là, une vraie chiasse. Je te jure ! Avant que je me barre, y a un général qui est venu à la caserne. Pendant sept jours, on a frotté, lavé, nettoyé ... On s'est tués à la tâche. Le général est arrivé, il a bu un café et du jus, puis le colonel a ordonné qu'on lui lâche un cerf sur le terrain de chasse. Il a tué le cerf hébété en chemin, et les officiers ont raconté pendant des jours à la caserne que le général était bon chasseur. D'où tu quitterais pas une telle armée ? La vérité, c'est que j'ai eu du mal à me séparer de leurs jeans gris-vert olive et de leurs godillots punks.
Tu sais, je m'attache émotionnellement aux détails de mode. Après le collège, j'ai mis trois ans à m'habituer à la vie sans uniforme scolaire ... Mais il fallait que je me tire de là. Juste pour regarder ce qui se passe à distance.
On entend la sonnette. Entrent Slaviša et Sac d’os. Sac d’os porte une guitare. Ils prennent Alen dans leurs bras.
ALEN : Bon sang, Slaviša, vous étiez où ?
SAC D'OS : Vous nous attendiez, hein! Vous n'avez rien à fumer!
SLAVIŠA : On attendait Pero. Il est allé promener son chien au parc.
SAC D'OS : Salam aleykoum et mort au fascisme ! Alors quoi de neuf, Alen, gigolo de Sarajevo ? Des Slovènes se sont arrêtés dans ton coin ? Ou bien tu t'es abandonné à une jolie Slovène ?
ALEN : Mais qu'est-ce que tu deviens, Sac d’os ? Personne peut plus rien pour toi et ton ventre, pas même notre situation politique particulièrement compliquée. On dirait que tu as grossi ?
SAC D'OS : Tu connais ma devise : manger en toute situation ! Bonjour aux dames présentes.
Sac d’os embrasse la main de Saška, puis celle de Matea. Son geste s’attarde un peu sur cette dernière. Matea peine à retirer la main.
SLAVIŠA : Excuse-moi de pas être venu te rendre visite, mes darons ont pris une Maruti à crédit, la banque dans laquelle ma daronne travaille a fait faillite ... J’avais même pas ces putains de cent soixante dinars pour les billets. Je travaille dans un vidéoclub maintenant.
ALEN : Tes cassettes m'ont empêché de devenir fou ...
SLAVIŠA (sortant des cassettes de la poche) : Jama te passe le bonjour. On t'a enregistré de tout. Mission, Faith No More, Pixies, Sisters of Mercy, Cult ...
Alen prend les cassettes. Il met l'une d'elles dans le lecteur de cassettes et augmente le volume. Une chanson du groupe Pixies, de l'album "Doolittle" en sort.
SLAVIŠA : Pipa, j'ai quelque chose pour toi aussi. Roule, mais dans les règles de l'art. Comme si tu étais à l'armée.
PIPA : Peuh, peuh, peuh. L'armée, et puis quoi encore ? Pousse-toi.
Pipa se déplace pour contrer le sort. Slaviša lui lance un sachet. Pipa roule un joint.
ALEN : Allez, fais-nous voir ce miracle de Kardeljevo.
SLAVIŠA : Tu vas voir. C'est mieux que de voir la Vierge !
SAC D'OS : On n'a même pas commencé à fumer que j'ai déjà faim. On se prend une bière ? Allez.
Sac d’os met de la nourriture dans son assiette, ouvre une bière. Il mange et boit tout du long.
SAC D'OS : Ça vaut pas les fayots de l'armée, mais je dois admettre que la pita est excellente.
SLAVIŠA : C’est trop bien les Pixies !
Ils fredonnent / chantonnent. Quelques bruits se font entendre. Tout le monde sursaute. Pipa cache le mélange et les feuilles à rouler sous la table.
ALEN : Papi est en train de pisser.
MIKI : Chut. Papi pisse.
PIPA : Il augmente le taux de communisme dans la Miljacka.
SLAVIŠA (à Alen) : Est-ce qu’il a commenté ton cas ?
ALEN : Oui, bien sûr. Il a parlé de l'histoire, du moment décisif... Genre, maintenant, c’est le moment de rupture...
Putain, il a vraiment vieilli. Il parle que de ruptures. Comme s’il était le courrier du cœur et pas un ancien partisan.
PIPA : Est-ce qu’il parle encore à feu mamie Stana ?
ALEN : Je sais pas. Il sort rarement de sa chambre...
MATEA : On devrait l'appeler, pour que Sac d’os puisse discuter avec quelqu’un de sa génération.
SAC D’OS : Fais pas ça, je t’en supplie. J’en ai marre des histoires. À la maison, c’est analyse sur analyse.
SAŠKA : C’est vrai, d’un coup, tout le monde s’y connaît en histoire et en politique. Tout le monde sait tout.
MIKI : Tout le monde se prend pour Hegel.
MATEA : Comme diraient nos chers humoristes surréalistes, les Nadrealisti : "Sois ce que tu es, mais sois-le !"
ALEN : Tu sais ce qui est surréaliste ? Dès qu’ils apprennent que je suis de Sarajevo, les gens me demandent tous de leur parler comme les Nadrealisti / les Surréalistes.
SLAVIŠA : Un type à Titograd dans un restaurant de ćevapčići, m’a soûlé à me demander comment les cuisiniers de ćevapčići de Baščaršija faisaient pour si bien humecter le pain avec du bouillon avant de le faire cuire. Putain, comme si c’était la formule de la bombe nucléaire.
DENI (prenant un chou farci) : Le chou farci, y’a que ça de vrai. Essayez-le, camarades soldats, c’est sans pesticides. Il donne le chou farci à Saška pour qu’elle le goûte. Tu sais qu’ils mettent des pesticides dans la nourriture des soldats, parce qu’apparemment, avec ça, ils bandent moins ?
SLAVIŠA : Ces deux gars qui racontent des conneries à la télévision, ils viennent dans mon vidéoclub. Ils louent que des pornos. Mon voisin Salko me dit : "Mon Slaviša, ça va pas bien se finir. Ils montent les gens les uns contre les autres, mais on dirait bien que chez eux, ça monte pas beaucoup."
Tout le monde rit.
PIPA : Allez, on va fumer.
SLAVIŠA : Est-ce qu’on doit sortir sur le balcon ?
ALEN : La démocratie n’en est pas encore arrivée à ce stade.
Tout le monde se lève et sort. La scène est vide pendant un moment. On entend la chanson "Deliverance" du groupe The Mission. Après un coup d’œil prudent, Papi, s’appuyant sur sa canne, entre en scène. Il se saisit de la bouteille qui est posée sur la table et prend une gorgée. Il voit que quelqu'un a laissé une cigarette allumée dans le cendrier. Papi prend la cigarette pour la fumer.
GRAND-PÈRE : Eh voilà... Ils ont oublié d'éteindre leur clope... Ah, les jeunes. Les jeunes sont fous. S'ils savaient... Peut-être qu'ils cesseraient d’être des enfants... On peut grandir du jour au lendemain, il faut seulement une bonne raison... Il faut un idéal. Un temps. Ma Stana, nous, nous avions des idéaux, une vision de l’avenir. Alors qu’eux, ils se sont laissés happer par le quotidien. Comme s'il n'y avait rien en dehors... Aucune ambition... Des émotions de pacotille... Un temps. Qu'est-ce que je voulais te dire déjà ? Un temps. Tu te souviens de notre entrée à Sarajevo en avril 45 ? Nous pensions que la ville renaissait de ses cendres. Nous pensions qu'un temps nouveau commençait avec nous. Nous espérions maîtriser le temps... Maintenant, il me semble qu’à cette époque nous essayions de l'accélérer... Et maintenant, le temps s'est en quelque sorte déchiré ?? Un temps. Ma Stana, sommes-nous coupables de ce désespoir ambiant ? Comment se fait-il que les trajectoires entre les générations divergent à ce point ? On ne tient plus compte ni du passé ni de l’avenir... Un temps. Le pire, c'est que je ne me souviens plus de ton sourire... Tu pleures toujours quand je te vois dans mes rêves.
Papi éteint sa cigarette, prend une gorgée à la bouteille et sort. Tous les autres personnages entrent sur scène.
MAJA : C’est rien, ça. Quand nous vivions à Ilidža, ma grand-mère venait jamais chez nous sans y passer la nuit. Une habitante historique de la vieille ville, sa famille était arrivée de Bursa à Sarajevo il y a quatre cents ans. Elle devait expliquer à son fils qu'Ilidža n'est pas un endroit où on vivait. À son époque, les gens y allaient en vacances ! Elle m'a dit un jour : "Ma petite Maja, quand j'y repense, j'ai même vécu au quartier de Bjelave pendant un an !" Elle me montrait avec sa main comme ça, comme si elle vivait sur le Kilimandjaro.
MELISA : Justement, j’ai lu les Neiges du Kilimandjaro d’Hemingway y a pas longtemps.
SAŠKA : Je préfère Hesse.
SAC D’OS : J'ai commencé à vendre des livres. Y a quelqu’un qui veut acheter l’intégrale de Kundera ?
AIDA : J’adore Danilo Kiš. Si un jour tu tombes sur l’intégrale, je te l'achète.
PIPA : Quand je lisais Chagrins précoces de Kiš, j'avais l'impression qu'un ange s'était posé sur mon épaule...
SAC D’OS : J'ai aussi dix exemplaires de la Bible. Un soir, je suis rentré de soirée défoncé et j’ai commencé à lire la Bible. Putain le délire !
MIKI : Moi, j'ai lu Freud à l'armée. Je suis resté coincé à l’infirmerie pendant sept jours et y avait que deux livres là-bas. Le deuxième livre, c’était Armoiries et drapeaux du monde... Freud est complétement cinglé. Plus fou que ses patients...
ALEN : Ah ! Avant mon affectation, j'étais de garde à deux cents mètres de l'asile de la ville. On entendait des cris toute la nuit. Pink Floyd et Ummagumma, c’est de la gnognotte comparé à eux ! J'ai cru que j'allais massacrer tous ces tarés, l’officier de service en tournée, vingt soldats, toutes les femmes enceintes et les mères avec de jeunes enfants, faire sauter la poudrière, buter tous les vieillards et violer toutes les vieilles femmes !
MIKI : Tu te sens bien ? Tu veux t’allonger ?
PIPA : Vraiment, Alen, va t'allonger, repose-toi...
DENI : Ça a pas l’air d’aller.
SLAVIŠA : Allonge-toi ici et parle-nous.
ALEN : Allez vous faire foutre !
MAJA : Franchement, c’est vrai, vous pourriez nous parler un peu de l'armée. C’est vraiment pas sympa de pas vouloir partager ces expériences intéressantes avec nous. Ayez pitié de nous. Si vous avez du mal à parler de l'armée, alors parlez-nous de football. Que quelqu'un nous énumère la composition de l’équipe de Želje contre les Hongrois. Ou de l'équipe qui a apporté la victoire à Sarajevo...
MIKI : Quelle composition ? Sarajevo a été championne deux fois.
MAJA : Les deux, s'il te plaît. L'énumération est la mère du savoir.
SAC D’OS : Nous, les minces, on joue au basket. Maja, laisse-moi seulement te dire quelque chose. Il imite la voix d'un journaliste de télévision. Le match de ce soir des basketteurs de Bosnie était un vrai poème, une vraie chanson traditionnelle bosnienne !
ALEN : C’est vrai, on a abusé sur les histoires. Qu'est-ce qui se passe ici ?
MAJA : La démocratie est arrivée. Tu la sens pas ?
MATEA : On peut la sentir à chaque coin de rue. Les politiques ont plus de fans que les chanteurs de folk.
MELISA : La concurrence est féroce. L'autre jour, j'ai entendu du folk dans un bar en plein centre-ville.
PIPA : Les aveugles font des films, les handicapés marchent sans béquilles, les camés sont clean, les sourds enregistrent des albums, les morts courent vers leurs ossements déterrés, et les retraités savent plus quoi faire de leur argent...
MIKI (à Matea) : Les gens, et si on allait à la mer début septembre, quand Alen sera libre ? Je demanderai à mes vieux d’amener cette caravane à Kupari. On pourrait aller à Dubrovnik... Si la situation se dégrade pas...
ALEN : Ça peut bien se dégrader tant qu’ils veulent. Tant que ça pète pas à Sarajevo.
SAC D’OS : Que Dubrovnik vienne pas jusqu’ici...
MELISA : Vous savez que ce ministre, là, il s’est pas fait tabasser par des fondamentalistes oustachis, comme c’était écrit dans le journal ? Apparemment, c’est des types du Sandjak qui l’ont bastonné à cause de sa maîtresse.
SLAVIŠA : Oh, j'ai regardé le JT croate, puis serbe. Vous imaginez pas la blague ! Des plaisanteries, des vannes et de la bouffonnerie. Les Monty Python peuvent aller se rhabiller.
PIPA : Pour moi, ça ressemble plus à Le Père Noël est une ordure.
ALEN : J'ai une suggestion très constructive. Allons en ville ! La démocratie doit être testée sur le terrain, et pas d’après les médias. Y a des concerts en ce moment ?
MAJA : Miladojkayouneed a joué au centre social ! Inoubliable !
SAŠKA : Vraiment, exceptionnel ! Leurs concerts durent en général quarante-cinq minutes, alors qu’à Sarajevo ils ont joué pendant deux heures !
Un temps.
ALEN : Melisa, on arrive pas à en placer une à cause de toi. Alors ton ex fait encore parti du paysage ?
MELISA : Sept jours après notre rupture, je suis sortie au Cabaret. Tu sais sur qui je suis tombée en premier ? Sur lui. Salut, meuf. Salut, mec. T’as dormi ? Non. Moi non plus. Salut. Salut. C’était ça, notre dialogue. Quand je l'ai vu, comme une imbécile, je me suis précipitée pour l'embrasser. C’est là que je me suis rappelé qu’on n’était plus ensemble. Je me suis retournée... Tu sais quoi ? J’ai fondu en larmes. Ma sœur était avec moi. Quand elle m'a vue pleurer, elle s’est mise à pleurer aussi.
PIPA : Ils ont raison les darons. D’abord les études, puis un travail, l’amour vient après tout ça.
ALEN : Qu’est-ce qui s’est passé avec la fac?
MELISA : Rien. J’ai pas été prise. I'm not good enough to study English in Sarajevo. Je vais apprendre le suédois maintenant.
MATEA : Quelqu’un veut un peu d’eau ?
MIKI : Moi je veux bien.
Matea sort. Un cri se fait entendre. Matea entre.
(...)
MATEA : Une araignée !
Aida se lève et se dirige vers la cuisine. Miki l'arrête d’un geste de la main.
MIKI : Je m’en occupe !
PIPA : Bien joué, Mikulić. T’es un vrai héros.
TOUT LE MONDE (criant comme s’ils étaient ses supporters) : Miki ! Miki ! Miki !
Miki sort. Il revient avec un rouleau à pâtisserie à la main et une passoire sur la tête. Il donne un verre d'eau à Matea. Avec le rouleau à pâtisserie, il pousse quelque chose sur la table.
MIKI : La cuisine est libérée d'un terrible ennemi. Maintenant, on peut même faire une partie de billard avec ce rouleau à pâtisserie.
AIDA : Tu l’as pas tuée, j’espère.
MIKI : Elle est là, sur le mur de l'immeuble, qui joue à Spiderman.
ALEN : Les amis, et si on jouait à sortir en ville ? Sarajevo me manque, merde. Les gens sortent où en ce moment ?
PIPA : Mais arrête, Alen. Tu veux qu’on aille où ? Le BB est fermé, et l’AG et Kuk aussi... C’est les vacances...
MIKI : Pipa a qu’à rester pour s'occuper du grand-père. Nous, on peut aller à la Galerie rouge. Qu'est-ce que t’en dis, Matea ?
SAC D’OS : On peut aller devant le théâtre !
SAŠKA : Non mais c’est Hollywood là-bas, tous des acteurs.
MIKI : Y a plus d'acteurs devant le théâtre que dedans.
MATEA : Des aspirations intellectuelles de partout. L'autre soir, une fille a apporté un livre en ville pour le lire. Et du Shakespeare en plus ! Je lui ai dit : "Ma pote, t’as loupé l'examen de rattrapage en serbo-croate ?"
MIKI : Ça doit être une PHC.
ALEN : C’est quoi une PHC ?
MIKI : Tu as pas entendu la nouvelle abréviation ? La PHC, c’est une pétasse hardcore.
Le coucou de l'horloge murale annonce dix heures.
ALEN : Baisse un peu la musique. Écoutons les bruits de Sarajevo. Écoutez-moi ça.
Tout le monde se tait, la musique s'arrête. On entend le bruit du tram.
MAJA : Ouaiiiiiis ! Mes frères et sœurs, c'était un authentique tramway de Sarajevo.
ALEN : Chut ! C'est pas le sujet. Maintenant, vous allez l’entendre.
On entend le son de la cloche de l'église. Dix heures sonnent.
MAJA : Bravo, félicitations ! Catholique ou orthodoxe ?
ALEN : Chut ! Écoutez maintenant...
Encore une fois, la cloche de l'église sonne dix heures.
MAJA : Et voilà. Dommage qu'on n’entende pas les bruits du quartier juif, c'est un peu loin d’ici.
ALEN : Parfois, avec ces cloches, on peut entendre l'appel à la prière aussi. Aujourd’hui encore, mon grand-père pense qu'un certain Rale a fait exprès de lui attribuer un appartement dans lequel on entend et la mosquée, et les deux églises, parce que mon grand-père lui avait piqué sa petite amie, feu grand-mère Stana, quand ils étaient chez les partisans.
SAC D’OS : On a qu’à aller devant le théâtre pour observer. Les règles du service spécifient que pendant la nuit et à d'autres moments où les conditions de visibilité sont réduites, l'observation est difficile, mais qu’elle est compensée par une écoute attentive. La nuit, l'observateur doit être entraîné à détecter rapidement les cibles par le son et les bruits ...
Tout le monde applaudit.
MATEA : Bravo ! Tu l'as appris par cœur comme un poème.
MAJA : Écoutons ce que les autres soldats ont à nous dire. Pipa pourrait...
AIDA : Les gens, Pipa s'est endormi.
MELISA : On pourrait aller au cimetière Bare, c’est là que les gothiques sortent le soir. On dirait que ça conviendrait à Pipa. SLAVIŠA : Pipa, tu veux t'allonger un peu à côté de papi ?
PIPA (sans ouvrir les yeux) : Règles du service concernant le dortoir. Dans le dortoir, un lit est désigné pour un individu, et il peut pas en changer sans l’approbation d’un supérieur. Une fois levés, les soldats font leur lit uniformément. Le drap du dessous est tendu sur le matelas au-dessus de la couverture, et celui du haut s’enroule avec la deuxième couverture en « arc ». La troisième couverture est sous le matelas. L’oreiller et l’arc s’accordent avec...
AIDA : Pipa, arrête, s’il te plaît !
PIPA : Dans le dortoir, il est interdit de : fumer, cuisiner, réchauffer des aliments, de garder de la nourriture en vrac et qui n’est pas en conserve, sécher et nettoyer les vêtements et les chaussures et nettoyer les armes...
TOUS : Mais arrête !
SLAVIŠA : On s'en fume un autre ?
ALEN : Roule, Pipa ! Guerre ou pas, on finira tous par crever !
SLAVIŠA : Voici le joint. Quand il dort pas, Pipa est vraiment fiable. Le balcon nous appelle...
Tout le monde sort. La scène est vide pendant un moment. On entend la chanson « Fire Woman » du groupe The Cult. Puis le grand-père monte sur scène. Il boit une gorgée à la bouteille. Il prend une cigarette et l'allume.
PAPI : Ah, la folie de la jeunesse... Ils ne font que parler... Un jour l'un d'eux va s’étouffer en essayant de prononcer tous les mots... Nous, au moins, nous sentions que les mots étaient une denrée périssable. Un temps. Même si... Nous savions qui était qui, et qui était de quel côté. Ou du moins, nous pensions que nous le savions... Un temps. Ma chère Stana, je n’en peux plus d’être ici. Il fait froid dans ma chambre... Il fait de plus en plus froid... Les choses perdent leurs contours... Je regarde ta photo, ton visage s’est estompé... Un temps. Qu'est-ce que je voulais te demander ? Un temps. À ton avis, où est-ce qu’on s’est plantés ? Est-ce que tous les deux, on est peut-être partis du principe que ce que nous ressentions l'un pour l'autre était une raison pour que tout le reste soit... Qui sait... Nous avons peut-être simplement manqué le moment... Un temps. Comment une chose en laquelle nous croyions si fortement a pu disparaître si rapidement ? Est-ce parce que c'est devenu une routine ? Pourquoi toutes les faiblesses ont-elles été mises à nu comme ça du jour au lendemain... Un temps. Je ne sais pas, ma Stana... je ne te torturerai plus avec des questions pareilles... Il fait froid dans ma chambre, il fait de plus en plus froid... Ce froid semble m'éloigner même de toi...
Le grand-père éteint sa cigarette. Il boit à la bouteille. Il sort un billet de sa poche et le pose à côté du lecteur de cassettes. Il sort. La scène est vide pendant un certain temps. Les autres personnages reviennent sur scène en riant bruyamment.
PIPA : Je t'avais bien dit, Alen, que ça, ça efface tous les souvenirs de l'armée ? On en a pleuré de rire...
ALEN : Y a un type qui a pleuré quand il a quitté la caserne pour rentrer chez lui. Quelle claque. Va falloir que je me lève plus tôt, maintenant, qu’il dit. Allo ! Plus tôt que ça, ça existe? Ils nous mettent en rangs à 7h du matin ! Et lui, impassible, il dit : "Si, ça existe, moi je suis debout tous les matins à 5h." Il s’est pris en photo avec son casque devant l’avion au moment du départ, pour baratiner les paysannes en leur racontant qu’il était pilote dans l’armée.
SLAVIŠA : Et ben, mon pote, c’est grâce à ça qu’il a culbuté toutes ces paysannes dans le pré depuis des hauteurs dignes de l’aviation. À moins qu’il les ait conduites jusqu'au canal pour inspecter la machinerie par en-dessous.
Tout le monde rit.
ALEN : Les vieux m'ont commandé une veste en cuir de rocker de Londres. Pour me servir de veste civile quand je sortirai de l'armée. Il faut que je l’essaye. Mais allez, allons sentir la vie nocturne de Sarajevo. Là, je serais prêt à passer trois jours de plus à l’armée juste pour pouvoir boire une grosse binouze sarajévienne à l’Herzégovine près de la cathédrale !
PIPA : L'hygiène personnelle est un ensemble de mesures qui doivent être mises en œuvre par chaque individu afin de protéger et de renforcer sa santé et sa forme physique. Ces mesures sont les suivantes : maintenir une bonne propreté du corps, prendre soin des dents et des pieds, hygiène des vêtements et des chaussures, renforcer le corps, préserver et renforcer la condition physique et éviter la consommation d'alcool. Santé !
Pipa boit son verre cul sec.
ALEN : Est-ce que ce serveur qu’on appelait Professeur travaille toujours au bar La Poste ? Si on allait s’asseoir juste une demi-heure sur la terrasse devant La Poste ! Ils laissent encore des chaises dehors ?
MAJA : Mais quelle putain de terrasse? Il pleut dehors. Tout est trempé...
ALEN : Le fameux juillet de Sarajevo... Le soleil brillera-t-il un jour comme il faut dans cette ville ?
MELISA : Il brillera, bien sûr, il n’attend que toi pour briller au beau milieu de la nuit.
DENI : Oh, quel con ! Je te jure sur la tête de Tito ! Nous aussi on se mettait bien comme ça quand on rentrait en permission. SAŠKA : Sarajevo me manque déjà après trois jours quand je suis ailleurs...
MELISA : Eh bien, moi, elle me manquera pas ! Il faut juste que j’arrive en Suède. J'achèterai une Volvo et je viendrai ici comme une vraie émigrée qui vient frimer au pays. Je mettrai mes lunettes de soleil, de la musique, j’ouvrirai les fenêtres et ferai un tour tranquille en ville...
DENI : On pense toujours qu'il y a quelque chose qui se passe en ville, qu’on va rater quelque chose...
ALEN : J'ai tout raté depuis septembre. Alen voit le billet que son grand-père a laissé. Levez-vous ! Les vieux m'ont laissé plus d'argent, je paie le taxi. Sortant. Pipa, range-nous ça en file indienne et sortez par l'entrée ! Sinon, Sac d’os va nous jouer de la guitare !
PIPA : Allez, qu'est-ce qu'on va faire ? Putain, il parle de Sarajevo comme si c'était Londres. Je vais en rouler un pour qu'on fume en ville. Le plus important, c’est la logistique, aussi bien dans l'armée que dans la vie civile.
Tout le monde se lève lentement, se prépare et s'en va. Aida et Pipa, qui roule un joint, restent.
MIKI (sortant) : Maja, il va se passer quelque chose ce soir ?
MAJA : (sortant) : Je comprends pas.
MIKI (sortant) : Avec le podium à Milan. Y va se passer quelque chose sur ce plan-là ?
MAJA (sortant) : Fiche-moi la paix, Miki, s’il te plaît, ça suffit ! Tiens, voilà Matea, chambre-la elle un peu, pour changer.
SAC D’OS (dans le couloir) : Les gars, et cette Slađa, qu’on appelait Néné, elle devient quoi ?
MIKI (dans le couloir) : T'as pas entendu ? Elle s'est mariée.
SAC D’OS (dans le couloir) : Ça me dit vraiment rien. Matea, méfie-toi du mariage. Tu sais que j’ai un petit faible pour toi aussi...
MATEA (dans le couloir) : Ouais, ben affaiblis-moi ce faible, tu feras mieux...
Ils sortent. Pipa et Aida restent sur scène. Aida met une cassette dans le lecteur de cassettes. Ils passent "She's in Parties" du groupe Bauhaus. Aida fredonne.
PIPA : Quel carton de merde... Un temps. Tu sais, tes lettres comptaient vraiment beaucoup pour moi quand j’étais dans l'armée. Tu es toujours à fond sur les animaux ?
AIDA : Je me suis inscrite en biologie...
Un temps.
PIPA : A cause de tes lettres, moi aussi, je me suis intéressé aux animaux... C'est super que tu ailles étudier ça...
AIDA : Je préférerais étudier la pantomime...
PIPA : J'ai attrapé quatre souris dans la caserne. Pendant que j'étais de garde, je leur ai fabriqué un aquarium en plexiglas...
Un temps.
AIDA : Les gens de Sarajevo parlent de plus en plus souvent juste pour cacher le fait qu'ils pensent et ressentent rien...
PIPA : J'ai nommé les souris d'après les officiers... Y en a une qu’était une vraie battante, je l’ai appelée Rambo...
MAJA (arrivant du couloir) : Aida, viens on prend l’escalier, pour pas se serrer dans l'ascenseur avec ces débiles !
Pipa se lève, titube. Ils sortent. La scène est vide pendant un moment. On entend la chanson "Love Will Tear Us Apart" de Joy Division sur le lecteur de cassette.
When routine bites hard,
And ambitions are low,
And resentment rides high,
But emotions won't grow,
And we're changing our ways,
Taking different roads.
Then love, love will tear us apart again.
Alen entre sur scène, vêtu de sa veste en cuir de rocker.
ALEN : Les gens ! C’est horrible ! Papi a disparu.
Nuit.
ACTE II
Minuit. Nouvel an 1992. Le salon dans l’appartement des parents de Miki, dans le quartier d’Alipaša. Il fait nuit. Les bouts incandescents des cigarettes brillent. On entend la chanson « There is a Light that Never Goes Out » du groupe The Smiths. On entend des voix de femmes qui chantonnent. Progressivement, les détonations et les tirs deviennent plus forts que la musique et les voix. Cela dure un certain temps.
SLAVIŠA : Hé, les amis, bonne année!
PIPA : Slaviša, je t’emmerde. Allume la lumière!
La lumière s’allume. Slaviša est debout. Aida, Pipa, Alen, Mršo, Miki et Mateja sont assis à table, une énorme quantité de nourriture devant eux. Ils fument des joints. Saška et Deni s’embrassent. Les autres se taisent pendant un moment, confus.
SLAVIŠA : C’est pas une blague, il est vraiment minuit. Minuit ! On n'a pas eu de décompte ... Vous entendez comme ça tire dehors ? Les gens célèbrent la nouvelle année avec toutes les armes possibles ... Nous aussi, on devrait faire quelque chose pour cette occasion solennelle.
SAC D’OS : Laisse-les, qu’ils s’amusent à vider leur chargeur.
ALEN : C’est pas une blague, mille neuf cent quatre-vingt-douze. Vous savez quoi, c’est un sacré nombre!
MIKI : C’est vrai. Je sais qu’y a un truc qu’on doit faire maintenant mais je me suis un peu perdu dans mes pensées. Je réfléchis sincèrement au sens et à la beauté de nos traditions populaires ...
PIPA : Ça va ? Tu veux t’allonger ?
ALEN : C’est vrai, tu veux que je me décale pour que tu t’étendes un peu ? Tu m’as pas l’air bien.
SAC D’OS : Allez, c’est moi qui vais me décaler. Laissez le mec passer, il a vraiment l’air mal.
MIKI : Allez vous faire foutre ! Allez emmerder quelqu’un d’autre.
SLAVIŠA : On devrait peut-être s’embrasser maintenant ... Le nouvel an, quel exploit !
Slaviša s’avance avec hésitation et tapote l’épaule de Deni qui continue à embrasser Saška.
SLAVIŠA : Bonne année, les tourtereaux. Putain ! Je sais que vous vous étiez séparés et que vous vous êtes manqués, laissez- moi faire d’une pierre deux coups, et vous féliciter à la fois pour votre réconciliation et pour le nouvel an ! Tous mes vœux !
Slaviša embrasse Deni et Saška, puis les autres. Ils se lèvent tous et se souhaitent une bonne année, confus. Slaviša sort les cierges magiques de la boîte et les distribue.
SLAVIŠA : Faut bien marquer le coup.
Ils tiennent tous leur cierge allumé à la main. Matea s’approche de Miki et l’embrasse longuement sur la bouche. Après qu’ils se séparent, Miki est clairement troublé. Il s’approche de la fenêtre.
MIKI : Ma parole, qu’est-ce que ça tire dehors ! Comme si on était en 42 et pas en 92. On se croirait à la bataille de la Sutjeska !
ALEN : La bataille de la Sutjeska a eu lieu en 43 ...
PIPA : On reconnaît bien le garçon qui gagnait au tournoi des « Chemins de la révolution de Tito ». C’est pour ça qu’il s’y connaît en offensives et qu’il est si révolutionnaire.
ALEN : Pipa, tu sais ce qui est vraiment intéressant ? C’est que t’as jamais gagné à l’émission musicale « Le petit carton », mais t’es vraiment cartonné.
On entend un bruit, comme du verre brisé. Tous se tournent vers le balcon.
MIKI : Hein ? Qu’est-ce qui a pété, putain ...
SAC D'OS : Le 11ème étage. C’est la vue sur Sarajevo qui a pété.
Miki sort sur le balcon. Il revient, il tient une balle dans la main.
MIKI : Ça vient d’où ?
ALEN : D’un fusil, logique. T’as entendu les tirs de célébration. On dirait qu’y a plus de fusils que de fenêtres à Sarajevo ... PIPA : C’est le Père Noël qui nous dit bonjour.
SLAVIŠA : Les amis, moi aussi j’ai deux pétards.
Un temps. Slaviša sort deux pétards de sa poche.
SLAVIŠA : Ça vous dit qu’on leur rende ? Qu’on jette ces pétards de façon subtile et discrète ...
PIPA : Oh, écoute-moi ce militant !
ALEN : Mais oui, son daron est militaire. Les armes font partie de sa tradition familiale.
SAC D’OS : Il manque plus qu’il se mette à nous réciter des vers épiques ...
MIKI : C’est vrai. Le trafiquant, il est à fond sur les armes, mais de l’autre côté il se prend pour un rocker. Genre, c’est un mec de la ville, tout ça ...
SLAVIŠA : Vas-y, qu’est-ce qui vous prend ? J’ai acheté ça en chemin quand je suis parti. Un pote en vend devant l’épicerie de la place Sociale ... Vous vous rappelez ce mec brun, Zoka, du quartier Grbavica, vous le connaissez du BB club. Il s’est lancé dans le commerce de détail, il faut soutenir les initiatives dans ce secteur novateur.
PIPA : Et c’est comme ça qu’il te filerait même de la drogue. N’achète pas n’importe quoi, en particulier à un pote. Slaviša, mon ami, tu en oublies la base de la prudence.
SLAVIŠA : J’ai pris deux pétards ... Putain, on dirait que j’ai acheté un tank.
MIKI : Laisse tomber. C’est comme ça que ça commence. Des cierges magiques, puis des pétards, et après ton organisme a toujours besoin de quelque chose de plus fort. C’est comme ça que l’autre grosse tête de la banlieue de Buća Potok s’est mis aux tanks. Il a commencé modestement, juste comme toi. Avec des cierges magiques, des pétards et des pistolets de détresse. Maintenant, il fait la guerre à Vukovar.
PIPA : Ça veut dire que pour la grosse tête, ça pète pour de vrai !
Ils rient tous.
AIDA : Comment ça se fait qu’il a atterri à Vukovar, la Grosse tête ? Je croyais qu’il avait des relations ?
MATEA : Et moi qui pensais qu’il était toujours dans les bons plans.
MIKI : Mais il l’était. Il était le chauffeur du général, mais il a été fait prisonnier. Il a obtenu 15 jours de permission, comme Alen quand il était prisonnier en Slovénie. Il a appelé son vieux, et le vieux lui a hurlé dessus. Il lui a dit de pas rentrer à la maison, que c’était un traître au peuple serbe parce qu’il s’était rendu sans même tirer une seule balle ... Lui, le pauvre, qu’est-ce qu’il pouvait faire ... Pour s’en sortir, il s’est porté volontaire à Vukovar ...
PIPA : Oh là là ! Faut qu’on bouge. Pour pas que ça nous arrive aussi.
Ils rient tous.
ALEN : Est-ce qu’il se procure des grenades de seconde main, maintenant, comme Pero se procurait du haschisch ?
MIKI : Mais non, il a sa propre plantation maintenant, comme l’autre Kreda. Il en cueille la quantité qu’il veut, quand il veut. SAC D’OS : Les gens, Kreda est tombé !
Tous regardent Sac d’os.
SAC D’OS : C’est vrai, il est tombé. Il racontait aux paysans autour de la maison de campagne qu’il plantait de la nourriture pour les oiseaux, et eux ils en prenaient soin pour lui, ils arrosaient ... Un soir, il y est allé en voiture pour récupérer l’herbe, mais les voisins ont cru que quelqu’un cambriolait la maison et ils ont appelé la police. Les poulets l’ont attrapé avec les sacs. Il venait de charger la bagnole ...
MIKI : Putain, il paraît qu’aujourd’hui même les poulets, ils dealent, peut-être qu’il empiétait sur leurs platebandes ...
PIPA : Les gros titres dans les journaux : Il est tombé en raison de l’inquiétude exagérée de ses voisins.
SAC D’OS : Je l’ai croisé l’autre jour dans le bus de nuit, à 3h30. Je lui demande ce qu’il fait là, où est sa fameuse voiture. Il dit : "Mon poto, l’avocat l’a mangée, comme les porcs qui ont mangé la Trabant ..." On dirait qu’il fera pas de prison.
Un temps.
ALEN : Est-ce que les porcs ont fini par tirer d’affaire le paysan dont ils ont mangé la Trabant ? La question se pose.
PIPA : C’est vrai, est-ce que les gens ont mangé la Trabant en mangeant les porcs qui ont mangé la Trabant ? Est-ce que l’âme de la Trabant est passée dans le troupeau de porcs ?
DENI : Genre, ils foncent à 60 à l’heure, les porcs sur la broche. On peut pas les rattraper ...
SAŠKA : Genre, tu commandes dans un resto. Donnez-moi de l’épaule, avec un peu plus de capot.
AIDA : Excusez-moi, c'est un peu trop gras, c’est l’huile de la Trabant qui a fui.
MATEA : Nous avons un pot d’échappement de porc fumé. Il est frais, il n’a pas beaucoup de kilomètres et il est bien entretenu.
SAC D’OS : À côté d’une pita pareille, je mange ni du porc, ni de la viande de Trabant.
Rires. Slaviša regarde le calendrier au mur.
SLAVIŠA : Mon pote, ton calendrier retarde. On est déjà en 92. Elle est moche, la photo de décembre, passe à janvier.
MATEA : C’est vrai, montre-nous quelque chose de plus gai.
AIDA : Passe à avril.
SAŠKA : Vraiment Miki, en tant que maître de maison, tu devrais faire quelque chose ...
SLAVIŠA : Le mieux, c’est qu’on jette tous les deux les pétards du balcon. Tu es un maître de maison sérieux. On doit leur rendre leur tir de balles.
MIKI : Oh, j’ai de l’eau dans le genou. Et comme dirait Goran Bregović, dehors y a du brouillard, c’est le mois de décembre et la nuit.
SLAVIŠA : Je savais que tu dirais ça. On est plus en décembre. Ça fait 10 minutes qu’on est en janvier ! Prosinac, comme on dit en croate ? Eh bien au revoir, prosinac. Bienvenue, oh toi, siječanj, pour continuer en croate ! Le gel fait des dessins sur les vitres ... Et avec lui une balle. Allez, vas-y, qu’ils entendent que nous aussi on est armés.
MIKI : J’ai pas le droit de sortir sur le balcon. Les médecins m’ont même strictement interdit de regarder la neige et le givre de Sarajevo. Et il faut que je finisse mon joint, pour vous rattraper. Au début, j’ai fait semblant d’être le maître de maison, maintenant faut que j’allume cette Marie-Jeanne.
SLAVIŠA : Pipa, mon ami, viens avec moi jeter un pétard.
PIPA : Mon pote, j’ai été traumatisé par le service militaire, mais j’aurais bien aimé. Dans ma lettre de renvoi de l’armée, il est clairement stipulé que je dois en aucun cas utiliser des armes, pas même des jouets d’enfants.
SAŠKA : Et voilà. Il va recommencer avec l’armée. Aida, Matea, il se passe quoi chez nous, les filles ? On a lu un magazine féminin récemment ? La Femme pratique paraît toujours?
MATEA : Ma chérie, tu t’imagines pas. J’ai feuilleté le dernier Burda couture, si tu voyais les patrons, sublimes. Y a une robe avec des froufrous, elle est un peu difficile à faire, mais ça vaut le coup d’essayer. Il faut que je trouve du tissu très fleuri. Elle irait bien avec le chapeau qu’Aida m’a offert.
AIDA : Dans le nouveau numéro de Nada, j’ai vu un motif de broderie vraiment sympa. Un cerf boit de l’eau dans un ruisseau, et autour de lui, des fleurs. Si tu savais comme il est beau ! C’est comme si c’était le printemps. Si je pouvais trouver les autres motifs aussi, pour faire une composition. Je l’appellerai les quatre cerfs de l’année et je les accrocherais aux quatre murs de ma chambre. Peu importe vers quel côté je me tournerais, j’aurais un jeune cerf déshydraté qui me regarderait.
SAŠKA : Il faut que je t’apporte le nouveau Bazaar. Si tu savais les recettes qu’ils proposent. Moi, j’ai pas le temps de cuisiner car je suis à fond dans la coiffure. Je me demande, est-ce que je me fais faire une permanente, ou je me teins les cheveux. Quoi que ... Si je réfléchis bien, même la nouvelle coiffure de Madonna n’est pas si mal que ça. Un temps. Encore que, d’un autre côté, quand je regarde les photos de la sortie qu’on avait faite en 4ème ... Vous savez quoi ? La coupe au bol à la Lokica Stefanović est intemporelle ... Elle encadre bien le visage et fait ressortir les traits.
MATEA : On pourrait trouver des motifs différents toutes les trois. On brode chacun le sien, puis on les combine. C’est à la mode maintenant ...
AIDA : Ou alors on combine Burda, Nada et Bazaar.
MATEA : Il y a nada (l'espoir) pour Burda au bazar.
SAŠKA : La Nada de Burda a fait un tour au bazar.
AIDA : Le jeune vendeur du bazar a donné nada à Burda.
SLAVIŠA (chuchote, pour que les filles ne l’entendent pas) : Sac d’os, allez viens lancer les pétards du balcon avec moi.
SAC D’OS (chuchote comme Slaviša) : Je suis trop jeune pour ces conneries.
SLAVIŠA : Mais c’est pour les enfants ...
SAC D’OS : C’est pour ça que je peux pas, crois-moi. L’autre soir, on s’est préparés, moi et Deba du quartier de Vratnik, et on se promenait en ville. Toute la nuit on a eu des hallucinations et on voyait les gens nous viser sur le trottoir avec des poussettes de bébés. Des bébés - à l’assaut ! On s’est vraiment chié dessus ! De la Mosquée de Gazi Husrev-bey, on s’est enfui vers le Mont Trebević, puis on s’est rendus compte que le téléphérique fonctionnait pas à cette heure-là. On s’est enfui près du marché de Markala, puis dans la rue Dalmatinska vers le quartier de Mejtaš, on est presque arrivés au quartier de Sedrenik ...
SLAVIŠA : Deni, mon pote ...
DENI (l’interrompant) : N’attends rien de moi, mon pote. Depuis que ça chauffe en Slovénie et en Croatie, je suis à fond dans le mouvement hippie. J’écoute plus que Janis Joplin et Jimmy Hendrix. Le pacifisme à fond. Tu vois que je me laisse pousser les cheveux. Peace, brother !
SLAVIŠA : Et ben, vous êtes vraiment des idiots, c’est clair ! Bon, je vais en lancer un, et que quelqu’un d’autre allume l’autre ... Pourquoi vous me faites chier ? C’est la musique qui vous a un peu fait redescendre ? Allez je m’en occupe ...
Slaviša s’approche du radio-cassette et change de musique. On entend les Ramones.
SLAVIŠA : La punkette va vous requinquer un peu.
SAŠKA : Quand j’entends les Ramones, j’ai une envie soudaine de lancer des pétards.
AIDA : Moi, j’ai envie de faire du vélo avec des pétards à la main et les Ramones dans le Walkman.
MATEA : Moi, la punkette me donne une envie irrésistible d’avoir ma propre usine de feux d’artifice. Ou même une fabrique de canons !
Le téléphone sonne. Miki se lève et répond.
MIKI : Monte un peu le son. C’est sûr que c’est mes darons qui appellent pour demander si ça chauffe à Sarajevo. Dans le combiné. Maman, j’ai nourri les poissons. Un temps. Meilleurs vœux à toi aussi. Non, on boit pas. Un temps. Je vais aérer, t’inquiète pas. La Pita est excellente. Non, on n’a pas encore fini la salade russe. Un temps. Je sais où se trouve le frigo. J’ai fait des étiquettes avec les noms et je les ai collées sur les meubles et les appareils. Sur le sèche-cheveux, j’ai même mis une étiquette disant qu’à la vitesse maximum, il marche pas comme il faut. Un temps. Oui, maman, je vais la souhaiter à tout le monde. Ils dansent un slow, mais ils vous la souhaiteraient aussi s’ils n’étaient pas en train de danser. Non, je vais sortir nulle part ce soir, t’inquiète pas. On fera peut-être juste un tour à Pale, ils y ont ouvert une nouvelle discothèque. Un temps. Je plaisante, bien sûr. Pourquoi tu hurles direct ? Allez, ciao. Passe le bonjour à tout le monde là-bas. On se voit après-demain. Embrasse mon père et tata.
Miki repose le combiné. Ils rient tous.
MIKI : Oh, une fête à Zenica ! La musique qu’on entend en fond est mortelle.
SLAVIŠA : Les filles, vous allez lancer les pétards avec moi. Eux c’est des couilles molles des plus ordinaires ! Allez, Saška, ma chère amie.
SAŠKA : Ce serait de vraies bombes, je le ferais tout de suite. Tu sais bien que je suis une Serbe d’une vieille famille de Solun, et Sava Kovačević, le partisan, est un de mes cousins éloignés. Imagine si ma famille apprenait que je réponds à de vraies balles avec de fausses armes ? Ils me renieraient.
SLAVIŠA : Allez, toi alors, Aida. T’es pas serbe.
AIDA : Tu me cherches ? Ça se voit tant que ça, franchement ?
Elle sort un miroir de son sac et se regarde. Slaviša la regarde, confus.
AIDA : Tu sais qu’avec l’école, on a dû aller au champ de tir du Mont Paša ? J’ai failli me casser le nez avec leur vieux fusil ... C’est quel modèle de fusil déjà ? M-48 ? Et bien, ce 48 a failli me défigurer. Je me disais justement que ça avait bien cicatrisé, et tu remues le couteau dans la plaie ...
SLAVIŠA : Matea, t’es une légende ! T’es courageuse, la plus courageuse du groupe. Comment t’as envoyé balader le contrôleur dans le tramway l’autre jour ! Vous auriez dû entendre ça ! Aucun mec aurait fait mieux. Les fameux contrôleurs de Sarajevo ont battu en retraite. Ils se sont tus, ils pouvaient rien faire. Ils se sont tenus tranquilles comme des chatons devant la reine Matea ! Si tu as pu répondre aux contrôleurs, tu peux bien répondre à cette balle aussi !
MATEA : Qui, moi ? Tu sais ce qui m’est arrivé l’autre jour ? Je suis partie avec Danka à un cours sur la méditation transcendantale. Là-bas en ville, dans la rue Šenoa. On est arrivées à l’adresse, mais il faisait tout noir dans l’entrée. Tout s’est assombri devant nous. On sonne à l’interphone. Une voix vraiment étrange nous demande : c’est qui ? Nous deux, on a flippé, on a failli se faire dessus tellement on a eu peur. Dommage qu’on n’ait pas jeté un œil ... Mais on n’allait pas prendre le risque.
ALEN : Je t’écoute attentivement mais je vois pas le rapport avec les pétards ?
MATEA : Attends la conclusion. J’ai compris que je m’intéresse ni à la méditation ni au courage.
ALEN : Vous êtes de piètres Yougoslaves, vous qui avez peur de simples pétards. Chez nous, ça fait pas partie de la tradition. Au contraire. La traditionnelle absence d’une telle peur a même trouvé sa place dans notre hymne. Il chante. Les tréfonds de l’enfer, le feu du tonnerre menacent en vain.
MIKI : On dirait le prof qui nous a enseigné le marxisme au lycée. Tu interprètes cet hymne comme si c’était la Bible.
ALEN : Oh, d’où tu penses à lui ? C’était un Dieu !
MIKI : Je l’ai vu y a pas longtemps dans le quartier de Baščaršija. Il m’a demandé de la thune, putain ! Genre, il en avait besoin d’urgence pour des médicaments. Je lui ai donné quelques pièces, et lui, il court au café près de l’hôtel de ville Viječnica.
Un temps.
MIKI : Mec, on dirait qu’on était à l’école y a deux cents ans ... Le prof de serbo-croate est devenu un vrai vampire ... il erre dans les rues la nuit ...
SAŠKA : Moi je rêve encore que j’ai pas eu un 6/20 en fabrication d’outils. Genre je dois faire les dessins et je me réveille tout en sueur ... L’autre soir je rêve que je m’enfuis du bahut près du Holiday Inn dans le quartier de Marindvor, et la prof qui me court après le cahier d’appel à la main. Moi, je me cache sous le guichet du grill de la station de tramway.
MATEA (une coupelle à la main) : Miki, elle est vraiment belle cette coupelle. Vous l’avez achetée où ? J’en avais une qui ressemblait, mais maladroite comme je suis, j’ai réussi à la casser.
MIKI : Tu vas pas me croire mais j’ai rapporté ça à ma daronne d’un spectacle de masse.
Un temps.
SAC D'OS : Et ben, quand on voit tous ceux qui allaient à ces spectacles de masse pour marquer l’anniversaire de Tito ... Ces crétins ont consacré la Journée de la jeunesse au plus grand fils de nos peuples après sa mort. Il fallait bien que le pays du fils se désintègre. Santé ...
Sac d’os boit et mange.
MIKI : C’est vrai, les amis, on est allés au dernier spectacle. Il s’avère que ce Boléro, on l’a dansé pour un enterrement, pas pour un anniversaire ...
ALEN : Oui, c’est vrai, ces quinze jours à Belgrade restent inoubliables ... Qu’est-ce qu’on s’est marrés ... Des fayots de l’armée et un logement sous les tentes de l’armée ... Des filles de Zagreb et Skoplje ... Et Pipa qui est tombé amoureux de la petite Macédonienne ! Pipa, elle s’appelait comment déjà ?
PIPA : J’en ai aucune idée. Elle avait un nom de ville ... Bitola, Strumica ... quelque chose comme ça.
SLAVIŠA : Vous êtes vraiment des imbéciles ! Pendant le spectacle, vous pouviez tenir le flambeau et danser, mais avec moi vous voulez pas lancer un pétard en représailles contre les balles qui ont été tirées. Et voilà, Tito était un bien meilleur camarade pour vous que moi. Vous voulez que je vous passe le Boléro ?
ALEN : Miki, je crois qu’y a quelqu’un qui sonne.
SAŠKA : C’est peut-être les témoins de Jéhovah. Ils sonnent chez moi tout le temps.
SLAVIŠA : Attends ! C’est peut-être quelqu’un d’armé ! Faut mettre au point une tactique. Et si c’était quelqu’un qui était venu seulement pour balancer un pétard dans le couloir avant de s’enfuir ? Demande d’abord qui c’est.
La sonnette.
MIKI : On aurait dû inventer un mot de passe pour ce soir.
Un temps.
PIPA : Par exemple, Père Noël - DRING.
Un temps. Une sonnerie.
DENI : C’est peut-être quelqu’un qui apporte de l’herbe, on en a plus à rouler.
Un temps. Sonnerie.
ALEN : C’est peut-être feu mon grand-père qui est là pour nous aider avec l’attaque de Slaviša.
Un temps. Sonnerie.
PIPA : C’est peut-être la police militaire. Y aurait pas une mobilisation spéciale du Nouvel an ?
Un temps. Sonnerie.
SAC D'OS : C’est peut-être des meufs ...
Un temps. Sonnerie.
AIDA : C’est peut-être Maja, elle a dit qu’elle passerait.
Miki sort.
SAC D'OS : Faites de la place à Maja près d’Alen. Elle est pas venue pour la salade russe. Pas vrai, le Russe ?
ALEN : Spasiba, tavarišč. Eta očenj harašo. Tu as pensé à une carrière de comique ? Tu pourrais devenir célèbre. On manque un peu d’artistes dans ce domaine.
Entrent Miki et Maja.
ALEN : Slaviša, voilà du renfort. Maja va lancer le pétard avec toi. C’est une avant-garde redoutable ...
MAJA : Vous êtes graves ! Ça fait dix minutes que je sonne, je suis gelée ! J’ai croisé la police en chemin, ils portent leur fusil comme une guitare, putain ! Ça tire de partout ... Je suis traumatisée.
MATEA : Merci, Maja. Mes meilleurs vœux à toi aussi ...
MAJA : Bonne année à vous tous. On n’est pas obligés de se faire la bise.
AIDA : Comment c’était chez vous ?
MAJA : Rien de spécial ... Sid est défoncé ... Il a bu presque un litre de whisky et un litre de vin ... Il est gonflé à bloc et le voilà maintenant qui tape dans les bières ... Classique.
SLAVIŠA : Allez, Maja, viens lancer un pétard avec moi, s’il te plait. Je t’ai attendue toute la soirée. Il montre la balle et les pétards. Tu vois, ça c’est la balle qui a été tirée de quelque part sur notre fête ! On doit leur rendre la pareille avec ces pétards.
MAJA : Allez, c’est Alen qui va le faire. Il a suivi une formation militaire très sérieuse.
SLAVIŠA : Allez, Alen, c’est vrai. C’est toi qui es revenu le dernier de l’armée.
ALEN : Pas moyen. J’ai rêvé y a peu de temps que j’étais François-Ferdinand. Genre, je suis debout avec Pipa près du Musée de la Jeune Bosnie, et de l’autre côté, y a Gavrilo Princip les pieds dans ses empreintes et il nous tire dessus avec une mitraillette. On essaie de s’enfuir, mais on n’y arrive pas. Pipa appelle une femme pour nous sauver. La femme se retourne et se met à crier. Je suis pas Sofija ! Je suis pas Sofija. C’est là que je me réveille, trempé de sueur ! J’ai encore la chair de poule en pensant aux tirs. J’ai même eu du mal à tenir avec le cierge magique.
SLAVIŠA : Allez, Maja, s’il te plait. On a allumé des cierges magiques. Toi aussi tu dois faire quelque chose, c’est le Nouvel An. Regarde, on va faire comme ça. T’auras qu’à lancer le pétard. C’est moi qui vais l’allumer et qui vais ouvrir la porte du balcon. C’est pas compliqué.
MAJA : Oh non, je peux pas. Y a peu de temps j’ai rêvé que j’étais Sofija, et Gavrilo voulait même pas me regarder. Pas même à travers le viseur.
SLAVIŠA : Arrêtez de faire genre. Il faut bien défendre notre ... notre Nouvel an, avec ce feu d’artifice civil symbolique.
MAJA : Tu sais que je suis allée en Chine avec ma mère ? Elle regarde Alen. J’ai vu tellement de feux d’artifice incroyables, les nôtres me font plus rien. Tiens, vois avec Saška.
SLAVIŠA : Saška, mon amie, s’il te plaît. Toi au moins t’as pas de penchant pour les drogués, comme l’autre là.
SAŠKA : Qui se ressemble s’assemble. L’amour m’a responsabilisée.
SLAVIŠA : Matea, mon amie. Oh, cœur intrépide. Allez, s’il te plaît.
MATEA : Tu sais que j’ai participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques en 84 ? Pas en Chine, mais à Sarajevo, au stade de Koševo ? Je me suis brûlée avec la flamme olympique. Depuis, je peux plus rien toucher qui brûle. T’as remarqué que j’ai pas de briquet et que c’est toujours quelqu’un d’autre qui m’allume mes cigarettes ? Vas-y, allume m’en une, tant qu’on y est.
Slaviša lui allume une cigarette. Puis il s’assoit et s’allume un joint.
SLAVIŠA : Et ben, avec qui je fais la fête pour le Nouvel an, moi, mon cher Tito ! C’est pas une célébration, ça, c’est une ... c’est une ... tragédie!
SAC D'OS : J’ai un bon bouquin pour toi, il est pas cher. Il s’appelle la Tragédie du génie. Je te le fais moitié prix. Et avec ça, je t’offre gratuitement le disque du groupe Extreme.
MAJA : Moi, j’y vais. J’ai promis à Sonja que j’allais dormir chez elle dans le quartier de Gorica. Je suis passée seulement pour vous souhaiter une bonne année.
ALEN : Passe le bonjour à Kusturica, si tu le vois. Sonja n’arrête pas de se vanter qu’ils étaient voisins dans le quartier de Gorica.
MAJA : Aida, tu viens avec moi ?
AIDA (regardant Pipa) : Je sais pas ...
PIPA : Reste encore un peu ... Le temps qu’on voie ce qui va se passer avec les pétards ...
MAJA : Matea, et toi ?
MATEA : Je vais dormir ici.
TOUS : Oh oh !
SAC D'OS : Et ben, Miki. T’as une mariée qui vient de se glisser chez toi, ni vue ni connue.
MIKI : C’est vrai, vous êtes vraiment des gros lourds !
MAJA : Ciao tout le monde, à une autre fois. Je dois me dépêcher avant que Sonja s’endorme. Ça serait de trop que j’attende à nouveau quelque part devant une porte.
Maja sort.
SLAVIŠA : Elle est maligne. Il faut s’enfuir d’ici, et même plus loin que le quartier de Gorica. Melisa est la plus intelligente. Elle s’est barrée tranquille en Suède. C’est le pays de la solidarité où personne n’est seul, en particulier s'il faut se défendre. Il paraît que c’est eux qui sont les plus proches du communisme, et pas à cause de l’éducation ou de la santé, mais parce qu’ils partagent tout ... Ici, t’as même personne avec qui partager un pétard défensif.
AIDA : Elle a donné des nouvelles à quelqu’un, Melisa ?
MATEA : Elle m’a écrit à moi. Elle va bien. Elle traîne avec des Vietnamiens, des Indonésiens, des Pakistanais ...
ALEN : Y a que le Mouvement des non-alignés qui l’intéresse.
SLAVIŠA : Pipa, tu as fini par te faire faire un passeport ? Emmène-moi avec toi chez ton frère en Hollande. C’est plus vivable ici.
Un temps.
AIDA : Vous n’allez pas me croire. Pipa s’est encore endormi.
MATEA : C’est la punkette de Slaviša qui l’a tué ...
MIKI : Je vais vous mettre quelque chose de plus lent. Ça a servi à rien que Slaviša mobilise la population avec la punkette.
Miki change la musique du radio-cassette. On entend la deuxième strophe de la chanson « Love Will Tear Us Apart » du groupe Joy Division. Pipa dort, Sac d’os mange. Aida, Miki, Matea, Alen, Deni et Saška chantonnent.
Why is the bedroom so cold?
You've turned away on your side.
Is my timing that flawed?
Our respect runs so dry.
Yet there's still this appeal
That we've kept trough our lives.
But love, love will tear us apart again.
Love, love will tear us apart again.
On entend deux explosions. Puis l’éclat d’une vitre brisée. Tous sursautent. Pipa bondit, il regarde confusément autour de lui. Slaviša est debout, il a les bras écartés et montre ses mains vides. À part Aida et Pipa, tous se mettent à rire. Aida tient la coupelle brisée à la main.
AIDA : Crétin !
Les rires s’arrêtent.
PIPA : T’as fumé quoi, putain ...
Pipa prend le petit miroir d’Aida de la table et le jette vers Slaviša. Le noir. On entend l’éclat de verre brisé.
ACTE III
Début du mois d’avril 1992. La maison de campagne d’Aida dans les environs de Sarajevo. Juste avant l’aube. La pièce ressemble à un entrepôt temporaire, ou à une cave transformée en abri de guerre. Au milieu de la pièce se trouve une vieux téléviseur en noir et blanc. Une antenne est posée dessus et à côté se trouve un jerrican. Un escabeau est posé contre le mur, des sacs à dos et des sacs à main y sont suspendus. À côté de l’escabeau, il y a une chaise pivotante cassée, et dessus un grand aspirateur. Quelques jerricans d’eau sont éparpillés dans la pièce, dans un coin se trouve un grand groupe électrogène, le radio-cassette y est branché. Dans un autre coin se trouvent une fourche et une bêche. À côté du poêle en fonte se trouvent du bois et une petite hache. À travers la pièce est étendue une guirlande de papier premier prix en couleur. Il y est écrit : JOYEUX ANNIVERSAIRE. Il y a une coupure d’électricité, et quelques bougies sont allumées. Sur la table se trouvent des bouteilles de bière, de vin et d’alcools forts, quelques assiettes vides. Pipa, Sac d’os, Alen et Maja sont assis à table. Saška et Deni sont sur le canapé. Elle est allongée, la tête sur les genoux de Deni, sa jambe est enveloppée d’un bandage et surélevée sur un coussin. Deni « joue de la musique » avec ses doigts dans les cheveux de Saška. Sac d’os a une guitare à la main et gratouille les cordes. Miki est debout et essaie d’ouvrir une boîte de conserve avec un couteau. Aida marche et allume de nouvelles bougies.
AIDA : Il reste des bougies ... Et de toute façon, il va bientôt faire jour.
SAŠKA : C’est plus romantique sans électricité. Du moment qu’y a à nouveau de l’eau, pour que je puisse changer les bandages sur ma jambe. Comment j’ai glissé, putain ... C’est vrai que je suis maladroite. Je me serais éclatée si Deni m’avait pas rattrapée. Il fallait que ce soit à moi que ce serpent tende un piège ...
AIDA : C’est pas un serpent, mais un orvet. C’est un lézard.
SAŠKA : C’est pareil. Le béton de Sarajevo me convient très bien, je suis pas faite pour les forêts et les prairies.
MAJA : On est comme chez les Scouts. Toute la journée, il nous manque des choses. Elle froisse un paquet de cigarettes vide. On a plus de cigarettes, non plus ... Et moi qui commençais juste à me mettre dans l’ambiance ...
AIDA : On a des cigarettes.
Aida sort, elle revient et met sur la table un bol plein de cigarettes.
MAJA : D’où tu sors ça ?
AIDA : Ma défunte mère travaillait dans une usine de cigarettes ... Il y a des Morava et des Drina.
ALEN : Putain, y a quelqu’un qui saurait pourquoi toutes nos cigarettes ont des noms de rivières ?
PIPA : Filter 57 tient son nom d’une montagne en Slovénie. Je pense que c’est son altitude ...
MAJA : Eh, les amis, on pourrait boire un café. C’est pas un anniversaire sarajévien sans café. Aida, je vais le préparer. Comment on fait déjà ? Un café de bienvenue, un café sucré et le café du départ.
SAC D'OS : C’est trop tard. Y a longtemps que le feu s’est éteint. Ne lâchant pas la guitare, il prend la couverture d’un livre déchiré. Le marxisme brûle grave, on n’a même pas besoin de bois. Putain, j’ai encore une intégrale toute neuve dans mon garage. Même la famille proche de l’auteur n’en veut pas.
MAJA : On a de la chance d’avoir le groupe électrogène et le radio-cassette. Hein ? Vous en dites quoi ? Comment j’ai embobiné le voisin d’Aida en lui racontant que pour des raisons de santé, on pouvait pas rester une seule minute sans musique. Avouez que c’était un travail de maître.
MIKI : Tu lui as fait une proposition qu’il pouvait pas refuser. Vu comme il te regardait, il t’aurait même donné sa maison et
son étable, et toutes ses vaches, alors un groupe électrogène ... Il faut dire qu’il nous a soûlés avec son histoire de printemps, de semences, de chaulage des arbres fruitiers et patati et patata ...
SAC D'OS : Et à la fin il a emporté le chapeau de Deni.
PIPA : C’est bien que le printemps soit enfin là. Et qu’on soit nous aussi dans la nature. J’en ai ma claque de la neige et de la grisaille de Sarajevo.
SAC D'OS : Il dit quoi, Pipa la légende ? Cher monsieur le voisin, j’ai une préférence pour la crème. Quel personnage !
MIKI : Il est émoussé, ce couteau, et je vois rien ... Putain de conserve !
AIDA : Avec les voisins, ici, c’est comme avec l’électricité, soit y en a pas du tout, soit y en a trop. Cette maison, qui appartenait à mon grand-père, a brûlé deux fois. La première fois, pendant la Seconde Guerre mondiale, les voisins n’ont pas réussi à la sauver, et la deuxième à cause de l’électricité. L’installation était pas conforme.
MIKI : Je le savais ! Je me suis coupé.
AIDA (s’approchant de Miki) : Fais-moi voir. Attends. Matea ! Matea !
Matea entre.
MATEA : Qu’est-ce qui se passe ?
AIDA : Ton mec est vraiment un boulet. Donne-moi un pansement !
MATEA : Ils sont où ?
AIDA : Dans le petit meuble du couloir. Premier tiroir. Miki, assieds-toi là, tends le bras. Pipa, lève-toi pour que Miki puisse s’asseoir. Pipa, c’est à toi que je parle. Lève-toi !
Pipa se lève à contre-cœur et s’assoit de l’autre côté de la table. Miki s’assoit à la place de Pipa. Matea sort, et revient rapidement avec les pansements. Aida et Matea pansent la main de Miki.
PIPA : Camarade Mikulić, ta main droite sait pas ce que fait ... ta main droite. Ah, mon ami, tu peux pas cuisiner ta conserve bourré. Qui plus est sans les outils adéquats et avec une visibilité réduite.
AIDA : Donne-moi un peu de ce cognac, que je lui en mette sur la plaie.
PIPA : N’utilise pas ça pour lui, arrose-le plutôt de cette piquette.
ALEN : Coupez-lui le doigt, comme dans le film de partisans. Ou même carrément la main, pour qu’il souffre pas ...
MIKI : Tu penses à la Marche sur le Mont Igman ? Vous vous souvenez de la scène ? Il joue une scène du film. Matea ! Matea, de quelle couleur sont tes yeux ?
MATEA (sévèrement) : Calme-toi !
MIKI (confus) : Il s’est passé quoi ?
MATEA : Calme-toi qu’on te fasse un beau bandage.
SAC D'OS : Moi, ce que je préfère dans ce film, c’est le partisan qui rêve de petits pains chauds.
MIKI : Sac d’os, tu pourrais porter un ouvre-boîte comme pendentif autour du cou.
SAC D'OS : J’emmerde l’électricité. On peut aussi faire chauffer une conserve à la bougie.
Sac d’os pose la guitare, prend la hache et ouvre la conserve. Il tient la conserve à la main et l’approche de la bougie, il la montre à tout le monde tel un trophée. Il a caché l’autre main dans sa manche et fait semblant d’être manchot.
SAC D'OS : Chers camarades, la conserve a été vaincue ! Avec des pertes incontestables, mais elles restent minimes ! Qu’est-ce qu’une main à côté d’un tel trésor ! Nous pouvons maintenant la réchauffer sans crainte qu’elle explose. La maison va quand-même pas à nouveau prendre feu ... Avec un peu de chance.
Sac d’os réchauffe la conserve à la bougie, puis il prend une fourchette et mange.
ALEN : Heureusement que Slaviša n’est pas là, il a un penchant pour la pyrotechnie.
MIKI : Ce taré est à Belgrade. Il court après les papiers pour aller en Australie. Ses vieux se sont séparés. Fait chier, son vieux est militaire, sa mère est Croate de Listice ... Ça a fini par craquer au niveau du raccord. Il part pour Sidney chez son oncle.
MATEA : Au moins, il verra un vrai feu d’artifice pour le Nouvel an.
PIPA : On fume plus, du coup il s’est tiré ... Kardeljevo s’appelle plus Kardeljevo mais Ploče. Y a plus de haschisch, y a plus de seconde main de Pero ... Et comme on le voit dans la présente fête, y a plus d’herbe non plus. Ils vendent plus que de l’héro. C’est sa raison principale ... Il s’est sauvé pour pas devenir accro.
ALEN : Pipa, y a diverses herbes ici ... Tu pourrais nous rouler des pissenlits, il paraît que ça fume bien. Mon grand-père m’a raconté qu’ils fumaient ça chez les partisans. Peut-être qu’il dit des conneries là-dessus aussi, mais ça vaut le coup de tenter.
PIPA : T’inquiète pas pour ça, vu que de toute façon tu fumes plus. Tu es devenu sérieux. Notre étudiant n’a pas allumé ... un joint. Depuis longtemps.
AIDA : Matea, allez aide-moi.
Matea et Aida sortent.
MIKI : Pipa, Slaviša t’a pas proposé d’aller avec lui ?
PIPA : Et j’irais où maintenant ? Il s’arrête. Vérifie qu’Aida est bien sortie. Je viens juste de tomber vraiment amoureux.
À part Pipa, tout le monde rit.
PIPA : Rigolez, j’en ai rien à battre ... C’est pas des conneries. Je vais peut-être aller chez mon frère en Hollande, si ça se calme pas. Il a une bonne sécu, sa copine vient de trouver un taf, elle s’occupe d’une vieille dame, et lui, il vend des journaux. Et le plus important, c’est que tout est légal.
DENI : Crni et Sanela sont partis à Londres.
SAŠKA : Elle aurait pu au moins appeler avant de partir.
MAJA : Melisa est en Suède, Slaviša à Belgrade, les deux-là à Londres ... on s’éparpille doucement. Bientôt on sera si peu nombreux qu’on pourra tous tenir dans deux maisons de campagne comme celle-ci.
MIKI : Vous avez des nouvelles de Sid ? Vous êtes plus ensemble ? Il paraît qu’il va aller au Canada ?
MAJA (se levant de table) : Je sais pas comment expliquer ... Ces derniers temps, je me comprends pas moi-même, alors les autres, t’imagines ... J’arrête pas de changer d’humeur et de décisions ... D’une certaine façon, j’ai l’impression que je suis trop bizarre pour pouvoir être avec quelqu’un sur le long terme. Pour pouvoir sortir avec quelqu’un comme on dit. Parfois j’ai l’impression que c’est pas moi ... J’ai l’impression qu’une personne horrible est entrée dans mon corps, et moi je la regarde, complètement impuissante. Je suis en train de devenir une cruche superficielle et prétentieuse. Je me comporte de façon débile, et j’y peux rien. Et malgré le nombre de personnes qui sont autour de moi constamment, qui me draguent et qui me baratinent, qui se confient à moi, rient avec moi, qui se droguent, qui boivent ... je me sens complètement seule ... et j’ai parfois l’impression que ça serait tellement simple de vaincre cette distance. Il faut seulement tendre le bras ... Elle titube, manque de tomber ... Mon Dieu, j’ai trop bu ...
SAC D'OS : Qu’est-ce que tu fous à te plaindre ? J’ai trente-deux ans, je vis avec mes vieux. Je traîne avec vous parce que vous me donnez l’illusion d’être encore jeune. Alors arrêtez de me raconter des histoires de vieux ici. Allez, santé !
ALEN : Pour vous dire la vérité, moi ça se passe très bien avec ma nouvelle copine. Ça fait que cinq jours qu’elle est en Allemagne avec sa chorale et elle me manque déjà. Je mets des croix sur les jours en attendant son retour, croyez-moi. Je me suis un peu retiré, je sors presque plus en ville.
PIPA : Et ben, ce croisé, toute la vie, il met des croix sur les jours. D’abord il met des croix à cause de l’armée, maintenant à cause de sa copine. Il va bientôt commencer à mettre des croix sur les heures jusqu’à la prochaine pause pipi. Allo, le Templier, repose-toi un peu !
ALEN (faisant semblant de ne pas entendre ce que Pipa raconte) : On regarde des films, on écoute de la musique, on joue aux cartes et au Yam’s. On attend que ce bordel se calme. Je me concentre sur la fac. Voilà, j’avoue, je suis devenu un intello. Le professeur Grebo m’a mis un 10/10 l’autre jour, je suis pas obligé d’aller passer l’examen. Il a posé une question pendant le cours, j’ai levé la main et j’ai répondu ...
PIPA : Bien sûr, l’étudiant en Master que tu es voulait aller à la fac par-dessus les barricades. Oh là là, quand je me souviens du mois de mars et de la fête chez Dario dans le village de Borak ! Je dois aller à la fac, y a rien d’autre qui m’intéresse. De quelles barricades vous parlez, laissez-moi. Pour un peu, les mecs des barricades drogués à l’héro avec leur chaussette sur la tête l’interrogeaient sur ses cours.
MIKI : C’est vrai, ils leur ont partagé les fusils et leur ont promis de l’héroïne s’ils foutaient bien la merde. Y avait aussi l’autre, Suhi, je l’ai vu à la télé.
SAC D'OS : Ils ont planté son pote l’autre jour. Apparemment il portait une toque de tchetnik et provoquait les gens en ville. Il est tombé sur des malades du quartier de Bistrik.
ALEN : Les amis, Pipa était le meilleur élève et le plus intelligent dans sa classe. Il faut forcer ce crétin à finir ses études. Pour qu’il puisse gagner son pain.
PIPA : On vit pas que de pain ... Les potes sont importants aussi ...
ALEN : Pipović, tu me donnes justement l’impression que notre jeunesse était un désastre. Et une vraie catastrophe en termes de préjugés. C’était super tout ça, nous nous prenions pour Mick Jagger, mais c’est rien à côté de ce qu’on aurait pu être en prenant en compte les capacités qu’on avait. Allez, je vais pas en faire un roman, faut tourner la page. C’était super, mais faut regarder vers l’avenir. Je sais pas, je suis peut-être pas aussi attaché à cette histoire de groupe de potes parce que maintenant je pense plus à ma copine. On économise. L’été prochain, on part en Égypte, en passant par la Grèce ... On reviendra en traversant la Jordanie, le Liban jusqu’à la Turquie ... Et y a plein de gens de chez nous là-bas.
PIPA : S’il-te-plaît, passe pas à côté de la Terre Sainte. Putain, tu as réussi à te sauver, tu as ouvert les yeux ... Alen, c’est vrai, je te dis ... tes yeux sont comme ces bougies ... Tu es l’œil sur le corps de notre groupe, tu vois tout et nous ouvre les yeux à tous ... Tu nous donnes à voir la vérité ...
SAC D'OS : J’emmerde la vérité ! Allez, vaut mieux jouer aux cartes hongroises, ou jeter les dés ...
MIKI : C’est vrai, on dirait que des fantômes camés sortent de ces bouteilles ... Vous avez tellement bu, manquerait plus que vous vous lanciez dans la politique. Y a que Saška et moi qui sommes pas allés voter au référendum. Moi, j’ai perdu ma carte d’identité, et elle, elle avait une absence justifiée ... On s’en bat les couilles de la politique. C’est pas vrai, ma pote ?
SAŠKA : Je sais pas pour toi, mais moi j’ai participé au référendum.
MIKI : Tu déconnes. Mais on s’est vus avec Deni le premier mars et il m’a dit que tu étais chez ta tante à Novi Sad.
SAŠKA : Je suis sérieuse, j’ai participé au référendum.
DENI (lâchant la main de Saška et s’éloignant) : Ben quand est-ce que t’es allée au référendum ? Pourquoi tu le fais marcher? Tu étais chez ta tante ces deux jours-là.
SAŠKA : Je suis pas allée au référendum de mars. Je suis allée à celui de novembre. Avec mon peuple.
DENI : Au plébiscite ?
Silence embarrassé. Deni s’écarte de Saška et se lève.
SAŠKA : Pourquoi est-ce que ça te paraît si étrange ? Je vais te rappeler les faits, au cas où tu t’en souviendrais plus. On n’était plus ensemble. Pour être plus précise, on vérifiait la stabilité de notre relation, comme tu l’avais dit à ce moment-là. Tu te souviens de ton discours sur les chaînes de l’égo, sur la question de la liberté ... En gros, j’ai rien compris à ton histoire ... Sauf qu’on se séparait à cause de quelque chose.
Deni sort. Un silence désagréable dure un moment.
PIPA : Y a une certaine logique. Le mec se sépare de toi, et toi, ni une ni deux, tu rejoins directement ton peuple.
SAŠKA : Pipa, me parle pas de logique, toi, s’il-te-plaît. Tu vois même pas ce qui se passe sous ton nez.
Saška sort, en colère. Elle manque de heurter Aida près de la porte.
AIDA : Qu’est-ce qui se passe ?
MIKI : Rien. Ils sont partis changer les pansements.
Un temps.
PIPA : Elle est fâchée. Comme si elle était pas née à Sarajevo mais à Colèreville.
Un temps.
MIKI : Oh, vous savez ce que j’ai fait au dernier cours du premier semestre ? Le prof avait signé tous les relevés de notes et il me les a donnés pour que je les distribue à tout le monde à la fin du cours. Moi, j’étais arrivé de mauvaise humeur, j’avais mal dormi, la veille, on était resté jusqu’à 3h30 au club BB. J’ai pris les relevés, j’en ai fait deux piles et je les ai séparées. À la fin du cours, les filles toutes apprêtées arrivent, et je leur dis : là, vous avez les relevés des étudiants de Sarajevo, et sur la pile là-bas, vous avez les relevés des étudiants d’ailleurs. Vous auriez vu comment les poulettes de la ville se sont précipitées à la vitesse de la lumière pour prendre leur relevé et ont foncé vers la porte.
MAJA : Arrête ça, camarade Mikulić. De ce que j’entends, la copine d’Alen vient pas non plus du centre-ville de Sarajevo.
ALEN : Elle est née en plein milieu de Sarajevo, dans la rue Logavina, si les biographies d’inconnus t’intéressent ... Tu commences à faire de la provoc, comme Pipa. Même si c’est lui, bien sûr, le champion toutes catégories. Ça m’étonne qu’il réagisse pas. Alors, le provo, pourquoi tu dis rien ?
Pipa fait le mort. Aida s’approche de lui.
AIDA : Pipa, Pipa, tu es vivant ?
Aida lui prend le pouls, Pipa sursaute légèrement puis continue à dormir, la tête sur la table.
AIDA (inquiète) : Eh, Pipa, Pipa ... tu es vraiment un phénomène.
ALEN (prenant la bêche dans le coin) : Je propose qu’on lui lise une sourate du Coran et qu’on lui rende un dernier hommage. Le mieux, ce serait de l’enterrer ici dans le potager, avec ces plantes tout à fait ordinaires.
MAJA : Vu le spécimen, il sortirait de terre au bout de 3 jours ...
SAC D'OS : En ton souvenir. Repose en paix. Il boit à la bouteille et fait le signe de croix. Amen.
La bouteille à la main, Sac d’os s’approche de Pipa et le soulève.
SAC D'OS : Pipa, tu es un héros pour moi. Il s’était endormi comme ça, sur mon épaule, une fois au bar. Je l’ai porté toute la soirée.
PIPA (marmonne, les yeux toujours fermés) : Les morts portent les morts.
AIDA : Qu’est-ce que tu dis ?
PIPA (marmonne) : Lève-toi dans ta robe blanche, pars dans la nuit après le cadavre et chante-lui un chant funéraire ...
SAC D'OS : Eh, espèce de cadavre, pile pour que moi aussi je baise ce soir. Au moins, je serai pas obligé de te violer.
Miki, avec un bras, aide Sac d’os à sortir Pipa. Aida les devance et porte une bougie. Cela ressemble à un étrange cortège funéraire. Maja s’approche du radio-cassette et met de la musique.
MAJA : Quelque chose d’approprié pour la situation.
On entend la chanson « Atmosphere » de Joy Division. Le cortège sort. Maja et Alen restent seuls. Silence gênant. Maja s’assoit sur le sol. Alen se lève, prend la bougie et les cigarettes de la table. Il s’assoit sur le sol près de Maja.
ALEN : On a de bonnes stats ... Heureusement qu’on traîne pas plus souvent dans les maisons de campagne ...
MAJA : Quelles stats ?
ALEN : Ben ça a bien commencé aujourd’hui ... D’abord l’autre pauvre fille qui se foule le pied, puis qui blesse Deni en plein cœur avec son plébiscite et son peuple serbe ...
MAJA : T’as raison. Miki s’est coupé, Pipa s’est défoncé, comme d’hab ...
ALEN : Y a plus d’eau, y’a plus d’électricité ...
MAJA : On n'a pas bu de café de la journée ...
ALEN : L’autre qui a tapé dans la conserve, nous, on fume ces cigarettes en vrac desséchées ... Putain, comme si on avait survécu à une offensive ... Papi serait fier.
MAJA : Un paysan a volé le chapeau de Deni ...
ALEN : Matea a eu mal à la tête toute la journée ...
MAJA : Soit dit entre nous, Matea n’a pas mal à la tête. Elle m’a dit hier, mais c’est un secret, que son ex lui propose de le rejoindre en Slovénie. Mais elle sait pas quoi faire de Miki ... Tu as vu qu’elle l’a évité toute la journée.
ALEN : Oh putain ! Encore une stat ... Ici on dirait que personne s’entend avec personne ....
Un temps. Entre Aida.
AIDA : Maja, tu viens dormir avec moi ?
MAJA : T’inquiète, je reste un peu ici, à écouter de la musique.
AIDA : Vas-y, écoute.
ALEN : Moi, je vais rejoindre Pipa et Sac d’os ...
Aida va pour sortir, marche sur une poupée. Elle la prend. Il lui manque une jambe. Aida scrute la pièce.
AIDA : Quel est l’enfoiré qui a réussi à arracher la jambe de ma poupée ? N’importe quoi ...
MAJA : On la retrouvera demain quand on rangera. Allez, va avec les autres parler en toute sincérité.
Aida pose la poupée sur le téléviseur et sort.
MAJA : Je comprends rien à ces deux-là.
ALEN : À qui ?
MAJA : Pipa et Aida. Pourquoi ils passent pas à l’action, depuis le temps qu’ils se tournent autour ...
ALEN : C’est un crétin peureux, lui ...
MAJA : Elle aussi, elle est bizarre, elle a peur des émotions, d’une certaine façon .... Je la comprends ... Depuis que sa mère est morte ...
ALEN : Pour être franc, qui n’a pas peur des émotions ?
MAJA : Je pense qu’elle nous a invités dans la maison de campagne pour qu’il se passe rien avec Pipa ...
ALEN : Et c’est pour ça que l’autre imbécile s’est défoncé ...
Un temps.
MAJA : Elle est comment, ta nouvelle copine ?
ALEN : Je me force à croire qu’elle est super ...
Un temps.
ALEN : Et qu’est-ce qui se passe entre toi et Sid ?
MAJA : Je sais pas, les gens pensent qu’on s’aime pour de vrai ... Mais quand j’y réfléchis, c’est pas vraiment le grand amour ... Pour être honnête, c’était plutôt une sorte de divertissement pour les masses populaires ...
Un temps. Un instant, ils semblent être sur le point de s’embrasser. La musique s’arrête. Maja sursaute. Elle se lève et va jusqu’au radio-cassette. Elle sort la cassette. Elle prend un stylo et rembobine la cassette.
MAJA : J’en peux plus de ce silence ... la cassette s’est emmêlée, et moi, Joy Division me convient bien. Maja met la musique. Elle revient près d’Alen.
MAJA : On en était où, déjà?
ALEN : Au divertissement pour les masses populaires ...
MAJA : N’importe quoi ...
ALEN : Moi aussi, je me mens à moi-même avec ma nouvelle copine ... Un temps. On dirait que dans la vie, tout n’est que mensonge ...
Ils semblent à nouveau être sur le point de s’embrasser. Entre Deni, il porte sur son épaule un oreiller et une couverture, comme un baluchon de réfugié.
DENI : Vous acceptez les réfugiés ? Je vais dormir ici.
MAJA : Oh, putain, ça a vraiment pété entre vous ! Et ça a mené à un déplacement de population.
ALEN : La FORPRONU va les réconcilier. Ils sont compétents pour ce type de situation. Comment il s’appelle déjà l’Indien qui dirige les casques bleus ?
MAJA : Satish ... quelque chose ...
ALEN : Demain, dès qu’on rentre à Sarajevo, on va l’embaucher lui-même personnellement pour vous réconcilier. C’est un homme bon, un ami et un chef.
Deni prend la bouteille de vin rouge de la table, puis il s’allonge entre Alen et Maja. Ils boivent tous à la bouteille. Entre Aida. Elle s’assoit à côté d’eux. Maja la prend dans ses bras tendrement et lui caresse les cheveux. Au loin, on entend l’appel à la prière.
MAJA : C’est l’anniversaire le plus fou que j’ai vu. Voilà, on a fêté ça jusqu’au petit matin.
AIDA : Ça vient de la mosquée de la colline d’en face ... Elle montre par la fenêtre. Quand j’étais petite, ma grand-mère me faisait une balançoire sur le cerisier en bas ... Pendant le ramadan, je me balançais et j’attendais qu’on allume les lumières de la mosquée.
Un temps.
AIDA : Quand le ciel est dégagé, de la balançoire on voit même les contours de Sarajevo ... Regardez là-bas, à gauche de la colline. Un petit peu, un tout petit peu, on entrevoit la ville. Mon jeu préféré était de fermer les yeux et, dans ma tête, d’imaginer les parties de Sarajevo qu’on voit pas ...
MAJA : C’est vrai, les gens, on voit un peu Sarajevo d’ici. Un temps. Oh, comme j’ai eu peur ! J’ai confondu l’arbre là-bas avec le grand-père d’Alen marchant dans la prairie avec sa canne.
DENI : Moi, cet arbre me fait penser à ... Nous voilà comme avant, au début de notre carrière, dans le parc près du lycée ... Santé !
Deni penche la bouteille.
ALEN : Tout est pareil. Il manque plus que Maja se mette à vomir.
Deni se met à rire et renverse du vin sur sa chemise blanche. Il a une tache rouge sur la poitrine.
DENI : Merde, fait chier.
MAJA : C’est ta punition. C’est pas bien de se moquer des filles sans expérience.
ALEN : Voilà, je t’ai dit que Saška l’avait blessé au cœur avec le plébiscite ! Cet homme saigne, et on n’a pas beaucoup de produit désinfectant. On a tout utilisé pour le doigt de Miki ...
DENI : J’ai laissé mon autre T-shirt dans la chambre ...
Aida se lève, et donne à Alen un haut de survêtement.
AIDA : Tiens, prends ce haut de Sac d’os. On va pas réveiller Saška.
Deni enlève sa chemise. Il met le haut de survêtement qui est trop grand pour lui de 5 tailles.
DENI : Alors, comment ça me va ?
MAJA : Un vrai réfugié.
ALEN : Ah, mon ami, tu as maigri si vite. Donne ta recette de régime à Maja, pour qu’elle la vende aux mannequins. On va se faire plein d’argent.
La lumière s’allume.
MAJA : Voilà l’électricité ! Juste à temps ...
ALEN : Et la lumière fut !
DENI : Elle nous a niqué nos souvenirs ...
AIDA : Je pense que ce groupe électrogène est de toute façon en fin de vie ...
Alen éteint la bougie, il se lève, débranche le radio-cassette du groupe électrogène et le branche à l’électricité. Il revient et s’assoit. Entre Miki.
MIKI : Putain, les gars, on dirait que ça pète en ville ! On met la radio ? Pour voir ce qui se passe ...
MAJA : Touche pas à la musique ! Ou je t’arrache les doigts qui te restent !
MIKI : Oh, ça va, me menace pas de prise de karaté direct. Elle nous a enquiquinés toute la journée avec ses ordres, comme si on était dans un camp de concentration ...
ALEN : Allez, va dormir. Ça peut pas péter à Sarajevo ...
AIDA : Y a du tonnerre et des éclairs quelque part au loin ... Je suis sortie tout à l’heure ...
MAJA : Va chez Matea, qu’elle te chuchote la météo à l’oreille. Et toi, d’en haut, tu nous racontes.
DENI : Va rêver .. Pour lui-même. Tant que tu as quelqu’un avec qui le faire ...
Miki sort. Entre Matea. Maja la vise avec l’oreiller.
MAJA : Qu’est-ce que tu fais ? Le siège de notre chambre ?
MATEA : Je suis désolée, je voulais seulement prendre quelques cigarettes. Saška et moi, on n'a pas envie de dormir. On a des choses à se raconter ...
Matea prend les cigarettes de la table et sort.
MAJA : Eh, on se rendra pas si facilement ...
DENI : On donnera notre territoire pour rien au monde.
ALEN : On prend pas ce qui est aux autres, on garde ce qui est à nous.
Maja se lève et s’approche de la table. Elle met sur sa tête une couronne de fleurs des champs. Elle prend une poignée de cigarettes de la table et revient en dansant. Elle s’assoit à côté d’Aida et jette les cigarettes par terre.
MAJA : Tu sais quoi, Aida ? Il est super ce cadeau que t’a offert Pipa. Je vais le porter un peu tant qu’il est pas fané ... Entre Miki. Maja fait un geste avec l’oreiller.
MAJA : Encore lui !
MIKI : Tire pas ! Je toucherai pas à la musique. Les deux autres discutent sérieusement, et moi j’ai pas envie de dormir. Je vais rester un peu avec vous.
Miki s’assoit, boit du vin à la bouteille et allume une cigarette. Du radio-cassette parvient la troisième strophe de « Love Will Tear Us Apart. »
MIKI, AIDA, MAJA, DENI, ALEN (chantonnent) :
Do you cry out in your sleep?
All my failings exposed
And there's a taste in my mouth,
As desperation takes hold. Just that something so good Just can't function no more?
La lumière s’éteint. La musique s’arrête.
MAJA : Et voilà!
MIKI : Ça aura duré longtemps ...
DENI : Putain d’électricité !
AIDA : On va survivre sans !
MAJA : Allez, on chante !
MIKI, AIDA, MAJA, DENI, ALEN (chantent) :
But love, love will tear us apart again.
Love, love will tear us apart again.
Love, love will tear us apart again.
Love, love will tear us apart again.
Pendant qu’ils chantent, la scène est dans la pénombre. Les bouts des cigarettes sont allumés. Quand la chanson se termine, on entend un coq qui chante à trois reprises, puis on entend le chant des oiseaux. Le silence se fait pendant un court moment. À la suite de quoi on entend un bruit au loin, comme si des grenades tombaient vraiment sur Sarajevo.
Nuit.
traduit par Svetlana Dojić, Fanny Trtica et Nikolina Oljača
dans le cadre de l’Atelier de traduction littéraire 'TransLab Sarajevo-Paris'
Dans le cadre du projet il était prévu de traduire une partie du texte Spleen de Sarajevo et ce travail a été réparti entre trois traductrices. Grâce à Svetlana Dojić, qui a pris en charge le reste de la traduction, nous pouvons présenter l'intégralité de l’œuvre. Merci et bravo !
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à propos de TransLab Sarajevo-Paris
Le projet TransLab Sarajevo-Paris* a pour ambition de développer, renforcer et faciliter la relation entre les langues et les cultures de la Bosnie-Herzégovine et de la France, ainsi que le dialogue académique et littéraire entre deux Universités, celles de Sarajevo et de Paris. Il s'agit en effet d'un espace d'apprentissage et d'échange dans lequel se croisent et travaillent ensemble les étudiants en langue et littérature françaises de la Faculté des lettres de Sarajevo et les étudiants de l’UFR Études slaves de l’Université de Sorbonne (bosnien/serbe /croate /monténégrin*).
Initialement, le projet de rencontre entre deux Universités a été rendu possible grâce à l'espace virtuel du réseau internet. Ainsi, de septembre 2022 à janvier 2023, neuf ateliers d’initiation à la traduction littéraire ont été proposés à douze étudiants traduisant du français vers le bcms (bosnien/croate/monténégrin/serbe) et vice versa. Toutes et tous se sont vu engagés dans un processus de partage et d'échange entre collègues tout en saisissant l’opportunité d'étude avec des traducteurs expérimentés, professeurs universitaires, écrivains, dramaturges et lectrices parmi lesquels : Françoise Wuilmart, Vladimir Pavlovic, Nicolas Raljević, Daniel Barić, Miloš Lazin, Vesna Kreho, Chloé Billon, Vanda Mikšić, Jakuta Alikavazović, Marion Roussay, Julie Raton, Sandra Zlotrg et Marie-Agnès Faix Vujić.
Après huit mois de travail en individuel, en binôme et en groupe, les étudiants ont proposé leur traduction de textes de prose, poésie et dramaturgie des auteurs francophones et bosniens suivants : Almir Kaplan, Mehmed Begić, Vladana Perlić, Almir Bašović, Faruk Šehić, Alexis Michalik, Nicolas Bouvier, Alice Rivaz i Xavier Durringer. En plus des textes proposés à la lecture dans ce recueil, d’autres travaux seront également publiés dans le quotidien bosnien Oslobođenje (Libération) ou sur le site du Courrier des Balkans....
Pour mettre en place ce projet entre deux pays représentés respectivement par leur capitale Sarajevo et Paris, il a fallu déployer et mettre en synergie des ressources du Département des langues romanes de la Faculté des Lettres de Sarajevo, de l’Unité de formation et de recherche des langues slaves de l'Université de Sorbonne (Département de BCMS), de l'Association des amis de la langue française « Ni plus ni moins » et de la Fondation Publika, tout en montant une équipe de coordination formée des personnes les plus motivées et enthousiastes telles que : Lejla Osmanović et Ivan Radeljković (enseignants à Faculté des Lettres de Sarajevo), Aida Čopra (lectrice à la Sorbonne, Paris), Ivana Bilić (traductrices littéraires, l’association « Ni plus ni moins ») Mirela Alikalfić-Terzić (traductrices littéraires, Fondacija Publika) et Azra Pita Parente (traductrices littéraires, fondatrice de TransLab en B-H, Fondacija Publika).
Le projet TransLab Sarajevo-Paris a été financièrement soutenu par l’Ambassade de Suisse en Bosnie-Herzégovine, l’Agence universitaire francophone (AUF), l’Initiative théâtre de Sorbonne Université (Paris), l’Ambassade de France en B-H, Wallonie-Bruxelles, agence de la coopération internationale (WBI) et Le Ministère fédérale de la culture et du sport de B-H.
*Le projet TransLab Sarajevo-Paris s'inscrit dans le cadre du programme plus large TransLab, un laboratoire de la traduction littéraire en Bosnie-Herzégovine, piloté par la Fondation Publika de Sarajevo (www.publika.co.ba).
Azra Pita Parente
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Svetlana Dojić, titulaire d’un baccalauréat scientifique, poursuit des études d'anglais à l'Université Sorbonne Nouvelle et, en 2000, elle obtient une maîtrise LLCE d'anglais. Après avoir passé une année à l'Université de Sussex à Brighton au Royaume-Uni, en 2002, elle obtient son CAPES d'anglais. En 2003, elle débute sa carrière de professeure d'anglais en collège, puis, en 2006, obtient un poste au lycée Gaston Bachelard à Chelles, en Seine-et-Marne, où elle enseigne encore aujourd'hui. En 2015, elle passe avec succès l'agrégation d'anglais. En 2020, elle reprend ses études à l'UFR d'Etudes Slaves de Sorbonne Université, et obtient une licence LLCE de BCMS en 2022. Elle est actuellement en Master 1 de BCMS.
Fanny Trtica, titulaire d’un baccalauréat scientifique, elle suit une classe préparatoire aux Grandes Ecoles - CPGE MPSI avant de se réorienter vers un BTS Assistant de Gestion PME-PMI. Ensuite, elle obtient une Licence puis une Maîtrise AES (Administration économique et sociale) parcours Ressources Humaines à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle suit également les cours de 2ème année du Master CEES (Chargé.e.s d'études et de recherche économiques et sociales). À l’issue de cette formation, elle travaille comme Consultante Chargée d’études socio-économiques pendant 7 mois au sein du cabinet DEGEST à Paris. Elle décide de reprendre ses études en s’inscrivant en 1ère année de Master LLCER parcours Etudes Slaves : Bosniaque, Croate, Monténégrin, Serbe à Sorbonne Université, spécialité langue juridique. Elle est actuellement étudiante en Master 2 LLCER: Etudes Slaves : BCMS.
Nikolina Oljača a terminé ses études en langue et littérature françaises à Banja Luka, et est actuellement en deuxième année de master dans le domaine de la traduction littéraire à l’Université Sorbonne à Paris.
Dans le cadre de la rédaction de son mémoire de fin d'études, elle travaille sur la traduction du roman Jefferson de Jean-Claude Mourlevat du français vers le BCMS.